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“Underground Railroad” : la série événement sur l’esclavage et la condition noire aux États-Unis

Le réalisateur oscarisé Barry Jenkins signe pour Amazon une épopée onirique et symbolique à travers l’Amérique esclavagiste en adaptant le chef d’œuvre de l’écrivain Colson Whitehead, primé par le National Book Award et le Prix Pulitzer en 2017. Avec « Underground Railroad », le cinéaste de 41 ans propose une réflexion puissante autour du débat sur la condition noire aux États-Unis.

C’est « un chemin de fer » qui traverse l’histoire culturelle des États-Unis. De « Beloved » de Toni Morrisson, au « Monde connu » d’Edward P.Jones en passant par la série « Underground », de nombreuses œuvres ont perpétué sa mémoire. Pourtant, il ne s’agit ni d’un train, ni d’un métro. 

« L’Underground Railroad » est en réalité un réseau clandestin d’aide aux esclaves fugitifs. Il se composait de refuges, de routes, de moyens de transport et aurait permis, au cours du XIXe siècle, à plusieurs dizaines de milliers de personnes de fuir les plantations esclavagistes du Sud du pays vers le Mexique ou les États du Nord.

Mais dans l’imaginaire de nombreux petits américains, cet « Underground railroad » est un véritable chemin de fer souterrain. C’est de cette idée enfantine qu’est né le best-seller de Colon Whitehead.

L’histoire raconte l’évasion de Cora d’une plantation de Géorgie où les pires sévices sont infligés aux esclaves. Quand elle prend la route en compagnie de Caesar, un autre compagnon d’infortune, elle le fait en empruntant ce mystérieux chemin de fer avec ses gares, ses tunnels et ses conducteurs de locomotive.

Mais les deux affranchis sont loin d’être au bout de leur peine. Ils découvrent ailleurs, en Caroline du Sud et du Nord, dans le Tennessee ou l’Indiana d’autres formes d’oppression et de contrôles du corps noir : expérimentations médicales, eugénisme, paternalisme… pour trouver le chemin de la liberté, ils devront fuir ces mondes alternatifs qui oscillent entre réalité historique et visions de l’Amérique du futur. 

>> À voir : Avec « The Underground Railroad », Barry Jenkins nous fait regarder l’esclavage dans les yeux

Projet pharaonique

Pour réaliser le tour de force d’adapter cette odyssée cauchemardesque, il fallait un cinéaste à la hauteur de la dimension politique, historique et métaphorique de l’œuvre de Colson Whitehead. Auteur de trois longs métrages, dont « Moonlight », oscar du meilleur film en 2017, Barry Jenkins se révèle être l’homme de la situation.

Avec ses lumières éblouissantes, sa caméra virtuose et un remarquable travail sonore, Barry Jenkins ose la sensualité et offre à l’actrice sud-africaine Thuso Mbedu son premier grand rôle. « La distribution relève du hasard, précise toutefois Barry Jenkins lors d’une interview, mais c’est aussi la preuve flagrante que l’esclavage et le colonialisme sont universels. »

Tout en restant fidèle à l’atmosphère glaçante du livre, le réalisateur de 41 ans évite avec habileté toute forme de complaisance vis-à-vis de la violence visuelle. « Le besoin de dire la vérité sans être dévoré par sa barbarie, ça a été la tâche la plus difficile de ma carrière artistique. », explique t-il.

Pour cette série très attendue dans un pays où les thèmes de l’esclavage et de la condition afro-américaine restent brûlants, Amazon a sorti les grands moyens. Selon le New York Times, le projet a nécessité 116 jours de tournage, dont certains ont coûté 1,5 million de dollars l’unité.   

Et le pari semble réussi : la nouvelle série du géant du commerce en ligne est saluée par la presse internationale. « Un splendide voyage à travers la face sombre de l’Amérique », s’enthousiasme le magazine Rolling Stones tandis que The Guardian évoque « une extraordinaire adaptation du roman de Colson Whitehead. »

Représenter l’esclavage

Si la nouvelle fiction d’Amazon crée autant l’événement, c’est que les séries ou les films américains consacrés à l’esclavage sont relativement peu nombreux au regard de l’importance historique de cette période. 

« C’est d’ailleurs étonnant venant des États-Unis car c’est une nation qui est très prompte à s’emparer de son histoire, même très récente, pour en faire du cinéma, analyse Ursula Michel, critique et journaliste pour Slate, interrogée par France 24. On l’a vu notamment avec la guerre du Vietnam où des cinéastes n’ont pas attendu la fin de la guerre pour traiter le sujet ».

L’esclavage est en effet souvent resté tabou ou alors c’est la vision idéalisée qui a dominé à Hollywood, machine à fabriquer des mythes et à réécrire le passé.  

En 1915, le très controversé « Naissance d’une Nation », de D.W Griffith, adopte le point de vue sudiste pour raconter les événements de la Guerre de sécession américaine et la reconstruction du pays. Film le plus cher de l’histoire à l’époque, il décrit la période de l’esclavage comme un âge d’or. 

En 1939, « Autant en emporte le Vent » offre également de la plantation l’image d’une institution bienveillante et paisible dans laquelle l’esclave est un élément du décor. Jugé raciste, le long-métrage avait même été retiré de la plateforme HBO Max en juin 2020 avant de faire son retour accompagné d’une vidéo explicative. Le film « présente le Sud d’avant la guerre comme un monde de grâce et de beauté sans reconnaître la brutalité de l’esclavage sur lequel ce monde était basé », prévient dans cette vidéo d’introduction l’universitaire Jacqueline Stewart, spécialiste du cinéma.

Le véritable tournant dans la représentation de l’esclavage à l’écran se situe au cours des années 1960, dans le sillage du mouvement des droits civiques avec notamment « Slaves » d’Herbert Biberman en 1969. 

Au rayon des séries, « Roots » en 1977 reste une référence. Cette grande fresque historique qui s’étale sur un siècle est la première fiction à sérieusement documenter cette période.

https://www.youtube.com/watch?v=_9dc4fcsKPE

En 2013, « 12 years of slave » de Steve Mac Queen marque un nouveau jalon par son réalisme et la précision de sa description de la société esclavagiste. Il permet également à son réalisateur de devenir le premier cinéaste noir à remporter l’Oscar du meilleur film. « La visibilité des réalisateurs noirs a permis de remettre sur le devant de la scène une histoire que beaucoup ont voulu mettre sous le tapis pendant des décennies », explique Ursula Michel.

Depuis, plusieurs productions américaines ont su elles aussi se débarrasser des stéréotypes hollywoodiens pour forger une représentation frontale de l’esclavage comme le film « The Birth of a Nation » ou les séries « Underground » en 2016 ou encore « The Good Lord Bird » l’année dernière.

Avec « Underground railroad », Barry Jenkins ajoute une pierre à la construction de cette représentation. Sans prétendre à l’exhaustivité historique, il donne chair au débat sur la condition noire aux États-Unis à travers un réalisme magique et onirique. « Je ne pense pas qu’il faille s’en tenir aux faits pour atteindre la vérité historique, expliquait au journal le Monde l’écrivain Colson Whitehead en 2017. Juxtaposer des descriptions réalistes et des univers fantastiques me permet de parler de l’oppression au sens large, et de mon pays. »

Source

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