Spécialiste de l’histoire des relations politico-militaires, Philippe Vial est maître de conférences en histoire contemporaine de l’université Paris I-Panthéon- Sorbonne. Il est actuellement détaché auprès de la Direction de l’enseignement militaire supérieur.
Comment interprétez-vous, comme historien, l’émoi politique suscité par la publication des tribunes attribuées à des militaires retraités et d’active, dans « Valeurs Actuelles », ces trois dernières semaines ?
C’est un émoi, à mon sens, qui est à relativiser. Il s’est certes abondamment manifesté à travers les médias et les réseaux sociaux, mais je ne suis pas certain qu’il ait vraiment concerné l’ensemble du pays. L’armée, aujourd’hui, est fondamentalement démocratique et non partisane, nous ne sommes plus dans une période où l’on pouvait s’interroger sur sa fiabilité. Mais si cela a résonné, cela veut dire que ce sujet reste encore, à certains égards, une matière politique vivante. Donc ces tribunes ont renvoyé, pour une part, à notre inconscient collectif. C’est-à-dire à un passé qui est le nôtre, et qui a souvent été singulier du point de vue des rapports entre la toge – l’autorité civile – et les armes.
C’est-à-dire ?
La France est aujourd’hui une démocratie apaisée du point de vue qui nous intéresse, mais cela n’a pas toujours été le cas. L’émoi qui a pu accompagner la publication de ces tribunes, fait écho, dans une certaine mesure, à ce passé qui est aussi un passif, et nous modèle encore, non sans paradoxes. Nous sommes au lendemain de l’anniversaire de la crise du 13 mai 1958. A l’époque, la menace d’un coup de force militaire avait joué un rôle central dans le retour au pouvoir du général de Gaulle et l’avènement de la Ve République. Pour autant, devenu chef de l’Etat, de Gaulle a lui-même brisé le putsch d’Alger, en avril 1961. Et après avoir envisagé de recourir à l’armée en mai 1968, il a quitté le pouvoir un an plus tard, à l’issue d’un référendum perdu.
Qu’est-ce que cela nous dit sur la situation d’aujourd’hui ?
Notre héritage politique national est fait de cet emboîtement de paradoxes, même quand ils sont peu ou mal connus. Ces derniers jours, le choix du président de la République de commémorer le bicentenaire de la disparition de Napoléon et les modalités retenues n’ont guère prêté à discussion, alors même que le général Bonaparte a accédé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, le 9 novembre 1799 : une marque longtemps infamante aux yeux des républicains. Le parallèle entre ce coup d’Etat et le 13 mai 1958 fut un élément central de la rhétorique anti-de Gaulle au début de la Ve République. Tout cela n’a plus guère de résonance aujourd’hui, jusqu’au moment où l’inconscient collectif est sollicité.
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