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Israël-Palestine : le vertige du vide politique

Editorial du « Monde ». Les tirs de roquettes du Hamas contre Jérusalem, lundi 10 mai, ont d’autant plus surpris que la veille, devant les correspondants militaires, des responsables de l’armée israélienne jugeaient peu probable une escalade avec le mouvement islamiste au pouvoir à Gaza. Elle s’est pourtant engagée. Lundi matin, le Hamas avait tiré quelque 200 roquettes, dont plus de 90 % ont été interceptées par le bouclier antimissile Dôme de fer. En retour, Israël a visé 130 cibles militaires. Ces frappes, les plus importantes depuis novembre 2019, ont fait au moins vingt-quatre morts à Gaza, dont neuf enfants.

Les autorités israéliennes ont sous-estimé les effets de la répression policière massive menée lundi matin dans le sanctuaire d’Al-Aqsa, le cœur de la Ville sainte, durant laquelle 520 Palestiniens et 32 policiers ont été blessés. Les vidéos amateurs de grenades assourdissantes explosant en cascade dans la principale mosquée du site ont aussitôt fait le tour du Proche-Orient et soulevé l’indignation.

En visant Jérusalem pour la première fois depuis 2014, le Hamas fait un pari extrêmement risqué. Mais que lui reste-t-il à perdre ? Le report sine die par le président Abbas, fin avril, des premières élections législatives et présidentielle prévues dans les territoires palestiniens depuis quinze ans a porté un coup durable à la stratégie de « normalisation » du mouvement islamiste armé.

L’assurance croissante de l’extrême droite

En s’engageant dans ce processus électoral, le Hamas avait cherché à intégrer le pouvoir dans les territoires. Il souhaitait se décharger d’un fardeau : l’administration exclusive de 2 millions d’âmes depuis 2007 dans la bande de Gaza, sous blocus israélien. Il entendait à terme se rendre incontournable pour les interlocuteurs étrangers des Palestiniens, en rejoignant les instances dirigeantes de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Ce pari-là est perdu. Reste la violence brute.

La crise qui s’ouvre depuis lundi n’était cependant pas inéluctable. Elle est pour partie le fruit d’un inquiétant vide du pouvoir en Israël, où le gouvernement n’a pas su prendre la mesure des opérations policières qu’il multiplie à Jérusalem depuis un mois, et de l’assurance croissante de ses alliés d’extrême droite dans la rue. Après quatre élections législatives non concluantes en deux ans, le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, en procès pour corruption, apparaît isolé. Nombre de ministères sont sans tête, les affaires pressantes sont négligées.

Cette crise est aussi le fruit d’une absence totale de perspective dans les territoires palestiniens, qu’Israël entretient. L’Etat hébreu n’a pas fait mystère de son opposition aux élections, qui risquaient d’ébranler l’apathie dans laquelle végètent la Cisjordanie et Gaza. En faisant obstacle à la tenue du vote à Jérusalem-Est, la part palestinienne de la ville annexée après la guerre de 1967, Israël a fourni un prétexte à M. Abbas, qui craignait de perdre le contrôle du scrutin.

A Washington, l’administration Biden n’a rien fait pour résoudre ce blocage. Elle cherche à s’impliquer le moins possible. L’Union européenne et la France n’ont guère fait mieux. S’accommodant du statu quo, elles n’étaient pas même parvenues à organiser l’envoi d’observateurs électoraux. La grave préoccupation dont le Quai d’Orsay a fait part lundi « face aux affrontements et aux violences qui ont lieu depuis plusieurs jours à Jérusalem » et sa condamnation des tirs de roquettes du Hamas ont, dans ce contexte, des allures de remords tardifs.

Le Monde

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