Un peu partout en Amérique latine, l’épidémie de coronavirus a accentué les inégalités économiques. Après un long confinement qui a fait basculer les plus précaires dans la pauvreté, la lenteur de la campagne de vaccination alimente le ressentiment des populations vis-à-vis des gouvernements, mais aussi de ceux qui peuvent s’offrir un voyage aux États-Unis pour obtenir les précieuses injections. Décryptage.
Une seule dose de Johnson & Johnson, administrée dans une pharmacie de Miami. Ce dimanche 9 mai, l’ancien président argentin Mauricio Macri a révélé sur son compte Facebook qu’il s’était fait vacciner aux États-Unis, à l’occasion de sa participation à un forum international sur la « défense de la démocratie dans les Amériques ». L’occasion pour lui de souligner que « l’Argentine aurait pu avoir des millions de doses à sa disposition si elle avait su négocier ». Critiquant la stratégie de son successeur, le péroniste Alberto Fernandez, l’ex-président conservateur met en garde contre les gouvernements « populistes » en Amérique latine, qu’il accuse d’incompétence.
Le même Mauricio Macri avait pourtant promis en février qu’il « ne se ferait pas vacciner tant que le dernier des Argentins à risque et les travailleurs des secteurs essentiels ne l’auraient pas été ». Au-delà de la polémique et des affrontements politiques autour de la gestion de l’épidémie, la lenteur de la campagne de vaccination dans les pays latino-américains suscite colère et frustration.
En dehors du Chili, les gouvernements latino-américains peinent à se fournir en vaccins. Dans les pays pauvres d’Amérique centrale, le nombre de doses se compte en quelques milliers seulement, éloignant aux calendes grecques la perspective d’un redémarrage de la vie économique et sociale. Lassés, ceux qui en ont les moyens envisagent d’aller se faire vacciner aux États-Unis, pays qui facilite plutôt ce « tourisme vaccinal ».
Miami, le hub vaccinal des riches latinos
À Miami, pour le deuxième week-end consécutif, les autorités municipales ont mis en place des points de vaccination sur la plage. Les règles sont simples : pas besoin de certificat de résidence ni de répondre à des conditions d’âge. Une occasion en or pour de nombreux Latino-Américains, qui s’y sont pressés. En effet, la vaccination est gratuite, elle s’effectue en une seule dose Johnson & Johnson et les nouveaux vaccinés repartent avec un certificat délivré par l’État de Floride.
Parmi les candidats à la vaccination, samedi, se trouvait Maria Bonilla, une comptable de 40 ans venue du Honduras, accompagnée de ses parents et de sa fille. « Dans mon pays, l’épidémie est hors de contrôle, déclarait-elle à l’AFP. Il y a très peu de chances pour que nous ayons accès à la vaccination rapidement, il fallait trouver une solution à l’étranger. » Les pieds dans le sable, quelques mètres plus loin, Blanca Diaz, une Mexicaine de 50 ans, ajoutait que « là-bas, on peut être infecté à tout moment et ils ont à peine commencé à vacciner les personnes âgées ».
Depuis quelques semaines, le phénomène s’accélère. Dans la presse colombienne, des agences de voyage proposent des allers-retours à Miami « all inclusive » (vols, transferts vers des centres de vaccination, hôtel) à partir de 450 dollars. Au Mexique et au Guatemala, des séjours « Fais-toi vacciner au Texas » sont proposés à moins de 1 000 dollars.
Andreína Arocha, 30 ans, une Vénézuélienne de Caracas, s’est elle rendue deux fois en Floride avec sa mère, en avril et en mai, pour recevoir des injections de Pfizer, dépensant deux fois 1 500 dollars par personne. Si elle le pouvait, dit-elle, elle emmènerait toute sa famille.
Les Mexicains font le mur
Les États frontaliers du Mexique enregistrent, eux aussi, une vague de candidats latinos au vaccin qui traversent la frontière pour se rendre en Californie ou au Texas. Le quotidien El Pais rapporte le témoignage de Carlos, médecin à Guadalajara, qui s’est fait vacciner il y a une quinzaine de jours à San Diego car il « en avait assez d’attendre » : « Je n’en peux plus de soigner des patients sans savoir s’ils sont contagieux ou non. Je suis déçu par mon pays. » Au Mexique, les médecins du secteur privé sont exclus du programme de vaccination établi par le gouvernement.
À l’aéroport de Mexico, la correspondante de RFI constatait, début mai, que les vols à destination des États-Unis étaient pris d’assaut par des milliers de passagers mexicains disposant d’un visa de touriste, d’un test PCR négatif… et d’un rendez-vous dans une pharmacie sur place. Car avec le succès de la campagne de vaccination aux États-Unis, au moins cinq États ont levé toutes les restrictions, notamment de résidence.
En Floride, depuis dix jours, les étrangers n’ont plus besoin d’un certificat de résidence pour se faire vacciner. Ce qui n’empêchait pas les candidats au vaccin venus d’Amérique latine de contourner de mille façons cette restriction, en se domiciliant par exemple dans un Airbnb.
Un continent latino-américain délaissé
Alors que la pandémie a plongé le continent latino-américain dans une profonde récession économique, les stratégies de contournement adoptées par les élites met les gouvernements au pied du mur.
Au Brésil, en Argentine, au Pérou, les systèmes de santé publique sont souvent débordés quand ils n’ont pas dépassé le point de rupture. Les autorités font face à la colère populaire et ne parviennent pas à accélérer l’arrivée des vaccins. Des 22 millions de doses promises par le dispositif Covax pour le mois de mai aux pays latino-américains, seulement un quart devraient arriver. Une goutte d’eau.
Quant aux envois très médiatisés de vaccins par la Russie et la Chine, ils sont loin de suffire pour que le continent puisse s’approcher du rythme de la vaccination en Europe ou aux États-Unis. La planche de salut qu’envisagent les gouvernements de la région consiste à produire des vaccins localement, sous licence.
L’Argentine et le Mexique mettent ainsi en place avec AstraZeneca une chaîne de production censée fournir des doses dès la fin du mois. En attendant, de nombreuses voix réclament que les gouvernements autorisent l’importation de vaccins par les particuliers et les entreprises. Un recours au secteur privé qui renforcerait encore un peu plus les inégalités et les injustices du « sauve qui peut vaccinal » qui s’est mis en place ces dernières semaines.
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