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Boris Johnson dans le piège écossais

Editorial du « Monde ». Près de sept ans après le vote des Britanniques en faveur de la sortie de l’Union européenne (UE), quatre mois après un accord signé à l’arraché, le Brexit est tout sauf un dossier clos. Non seulement pour les voisins européens des Britanniques, avec lesquels aucun des grands dossiers de la séparation – procédures douanières, Irlande, pêche, équivalences financières – n’est vraiment réglé. Mais aussi pour le Royaume-Uni lui-même, où le Brexit exacerbe les tendances séparatistes dans les deux « nations » – Ecosse et Irlande du Nord – qui, ayant voté majoritairement pour demeurer dans l’UE, se sentent trahies par le « Brexit dur » de Boris Johnson.

Dans ce contexte, la majorité renforcée remportée au Parlement d’Edimbourg par les deux partis écossais favorables à l’indépendance – le Parti national écossais (SNP) et les Verts – aux élections du jeudi 6 mai sonne comme un nouveau signal d’alarme pour l’union entre l’Angleterre et l’Ecosse scellée voici 314 ans.

Le Brexit, manifestation d’un nationalisme anglais longtemps contenu, a légitimé un nationalisme écossais déjà renforcé par les transferts de pouvoir au gouvernement local et l’intelligence des dirigeants du SNP. Alex Salmond puis Nicola Sturgeon ont transformé un parti autrefois folklorique en une efficace machine politique proeuropéenne, d’inspiration sociale-démocrate, capable de conjuguer un nationalisme hostile à « Westminster » à une vraie ouverture aux immigrés.

Réaction en chaîne des nationalismes

Confortée par le vote de jeudi, Mme Sturgeon, première ministre du gouvernement d’Edimbourg, promet un nouveau référendum sur l’indépendance d’ici deux ans et demi alors que, en 2014, 55,3 % des Ecossais avaient choisi de rester dans le Royaume-Uni. Elle y est encouragée par une série de sondages favorables. Boris Johnson, lui, maintient son refus d’une nouvelle consultation des Ecossais, insistant sur la nécessité de rassembler toutes les forces contre le Covid-19 et spéculant sur un récent recul des opinions indépendantistes.

Avec le reflux de la pandémie, espère-t-il, les électeurs reporteront davantage d’attention sur les performances moyennes du gouvernement écossais dans certains domaines, comme l’éducation. Mais il sait qu’une opposition prolongée de sa part ne fera que renforcer le camp indépendantiste. Mme Sturgeon, qui a besoin de l’aval de Londres et refuse l’hypothèse d’une consultation sauvage à la catalane, envisage de faire voter dès 2022 par le Parlement d’Edimbourg une loi appelant à un nouveau référendum. Le conflit avec Londres lui permettrait alors de nourrir un procès en déni de démocratie. Déjà, son parti accuse M. Johnson de se comporter en « suzerain » de l’Ecosse.

L’indépendance de l’Ecosse ne va nullement de soi, ni d’un point de vue économique – la province est subventionnée par Londres – ni politique – quid de la frontière entre une Ecosse membre de l’UE et l’Angleterre ? Mais le Brexit, en entraînant contre leur gré les Ecossais hors de l’UE, en a renforcé la rhétorique. Le choix de M. Johnson d’un divorce violent d’avec l’Europe et les multiples incertitudes liées au nouvel isolement du pays nourrissent aussi les tendances centrifuges. De même que son refus de consulter Edimbourg pendant la pandémie.

Un premier ministre qui a agité avec succès l’idée de souveraineté pour justifier la sortie de l’UE pourra-t-il longtemps dénier aux Ecossais le droit d’exercer la leur vis-à-vis de l’Angleterre ? Le Brexit a déclenché une réaction en chaîne des nationalismes, au risque d’un scénario longtemps inimaginable : le délitement progressif du Royaume-Uni.

Le Monde

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