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Assassinats en Irak : les voix dissonantes menacées d’élimination avant les élections

Le journaliste irakien Ahmed Hassan est entre la vie et la mort, victime d’une tentative d’assassinat perpétrée 24 heures après la liquidation d’Ehab al-Ouazni, l’une des voix les plus respectées du mouvement de contestation né à l’automne 2019. À l’approche des élections anticipées prévues en octobre, la liste des meurtres de militants issus de la société civile ne cesse de s’allonger, provoquant une explosion de colère dans le pays.

La colère gronde en Irak, où des manifestants ont brûlé, dimanche 9 mai, des pneus et des préfabriqués devant le consulat d’Iran à Kerbala, ville sainte chiite du sud, en réaction à l’assassinat d’Ehab al-Ouazni, figure du mouvement de contestation populaire apparu en octobre 2019.

Très actif et très populaire, l’influent coordinateur des manifestations anti-pouvoir à Kerbala, engagé depuis des décennies contre la corruption et l’incurie de la classe politique, est mort sur le coup, dans la nuit de samedi à dimanche, après avoir été mortellement atteint par des tireurs venus l’abattre devant chez lui.

Moins de 24 heures après son assassinat, alors que l’onde de choc n’est pas retombée avec des manifestations signalées à Kerbala, mais aussi à Nassiriya et Diwaniya, d’autres villes du sud, un journaliste, Ahmed Hassan, a été pris pour cible tôt, lundi, dans la même région. Après avoir subi plusieurs opérations au cerveau et au crâne, il « restera encore deux semaines en soins intensifs », a indiqué l’hôpital spécialisé qui l’a pris en charge à Bagdad.

Trente-quatre activistes tués depuis « la révolution d’octobre »

Ils sont les dernières victimes de la vaste campagne d’assassinats, d’enlèvements et de menaces visant les voix dissonantes et les acteurs du mouvement de contestation depuis près de deux ans. Une campagne que les activistes imputent à l’Iran, le puissant voisin chiite, dont les alliés sont très influents sur la scène politique irakienne.

Selon le Haut-Comité pour les droits de l’Homme en Irak, 34 activistes ont été tués depuis le début de la série d’assassinats en cours, tandis que 81 tentatives visant des acteurs ou des leaders du mouvement de contestation ont été répertoriés depuis le début des manifestations contre le pouvoir en octobre 2019.

Lors de ses funérailles, les proches d’Ehab al-Ouazni ont pointé un doigt accusateur en direction de groupes armés proches de l’Iran, dont il dénonçait ces dernières années la mainmise grandissante sur le pays. En février, l’activiste avait même interpellé, via Facebook, le Premier ministre, Moustafa al-Kazimi, accusé de laxisme : « Tu es au courant de ce qu’il se passe ? Tu sais qu’ils enlèvent et tuent ou bien tu vis dans un autre pays que nous ? ».

Une semaine avant son assassinat, Ehab al-Ouazni, dont la vie était menacée en permanence et qui avait échappé à un guet-apens en décembre 2019, avait demandé au gouvernement de Moustafa al-Kazimi de lui accorder une protection. En vain. 

Un climat de terreur et d’impunité

La colère de la rue n’épargne pas le gouvernement, accusé de ne pas protéger les militants de la contestation et d’entretenir un climat d’impunité et de terreur. Les autorités avaient par ailleurs promis de faire la lumière sur la mort de plus de 500 manifestants en 2019, sans résultat probant.

« Nous nous attendions à ce que le gouvernement actuel, qui est arrivé au pouvoir grâce à la contestation qui a fait chuter l’équipe gouvernementale précédente, agisse différemment et qu’il protège la liberté d’expression et la vie des militants et leur droit à participer aux élections, confie Ali al-Bayati, membre du Haut-Comité irakien pour les droits de l’Homme, à France 24. Hélas, ce n’est pas le cas, et cela pose la question des mesures réelles prises par le pouvoir car nous ne voyons rien de sérieux en matière de poursuites judiciaires contre les criminels qui s’attaquent aux militants depuis le début du mouvement en octobre 2019. »

Selon Amar al-Hameedawi, grand reporter à France 24, spécialiste de l’Irak, un fossé se creuse entre, d’un côté, une jeunesse et une société civile laïque qui réclament la chute du régime et la fin de la mainmise de l’Iran sur l’Irak – et de l’autre, les partis politiques irakiens, notamment les mouvements religieux chiites, qui s’appuient sur des milices armées soutenues par Téhéran, et font la loi dans le pays.

« Le gouvernement ne peut pas intervenir contre ces groupes armés, pas plus que la police, les forces de sécurité ou l’armée ne peuvent leur demander des comptes, ni arrêter un membre de ces milices, et c’est pour cela que les activistes sont tués les uns après les autres sans qu’un responsable ne soit désigné ou jugé ».

« Opération de liquidation »

En Irak, sympathisants et acteurs du mouvement de contestation craignent que les groupes qui se cachent derrière ces assassinats et qu’ils accusent d’agir à des fins politiques avant les élections anticipées prévues en octobre, n’accélèrent le rythme des éliminations.

Certains partis politiques issus de la contestation, dont Al-Beit al-Watani, ont d’ailleurs appelé les militants et les autres mouvements à boycotter la sphère politique et les élections. « Comment un gouvernement qui laisse passer sous ses yeux des pistolets avec silencieux et des bombes peut-il garantir un climat électoral sûr ? », s’est interrogé Al-Beit al-Watani dans un communiqué.

« Les acteurs de la contestation, qui sont présents dans plusieurs régions du pays, entendent provoquer un changement en Irak, faire évoluer le pays vers une démocratie réelle et respectueuse des droits de l’Homme, souligne Ali al-Bayati. C’est dans ce but que des personnalités influentes, issues ou proches du mouvement, ont annoncé vouloir participer aux élections prévues en octobre ».

Or, la campagne d’assassinats s’apparente, selon lui, à un règlement de compte envers le mouvement de contestation tant celui-ci incarne une menace pour « certaines parties qui ont peur de perdre gros » sur la scène politique. « Cette opération de liquidation vise à réduire au silence, préventivement et définitivement, les voix des militants et des cadres influents du mouvement afin de les empêcher de participer aux élections ou d’influer sur les résultats du vote », juge-t-il.

Programmer des élections ne consiste pas uniquement à organiser le scrutin, estime Ali al-Bayati. « Il faut également que le gouvernement garantisse un climat propice au déroulement du processus démocratique, avant et après le vote. Or, ces assassinats et ces violations de la liberté d’expression portent déjà atteinte à la crédibilité de ces élections dont les résultats, dans un tel contexte, ne pourront qu’être considérés comme faussés ».

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