Publié le : 10/05/2021 – 12:41Modifié le : 10/05/2021 – 14:07
Le tribunal d’Évry a jugé irrecevables les demandes de Tran To Nga, une Franco-Vietnamienne à l’origine des poursuites contre 14 multinationales accusées d’avoir produit l’agent orange. Ce produit chimique ultratoxique a empoisonné des millions de personnes pendant la guerre du Vietnam.
C’est un verdict historique. Le tribunal d’Évry a jugé irrecevables, lundi 10 mai, les demandes de Tran To Nga, une Franco-Vietnamienne de 79 ans qui poursuivait au civil 14 multinationales de l’agrochimie, en tant que victime de « l’agent orange », défoliant très toxique utilisé par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam.
Le tribunal a donné raison aux 14 sociétés, en considérant qu’elles avaient « agi sur ordre et pour le compte de l’État américain » et qu’elles pouvaient se prévaloir de « l’immunité de juridiction ». Ce principe du droit international établit qu’aucun État souverain ne peut assujettir un autre État souverain à sa juridiction.
Une personne de droit privée – ici, en l’occurrence les multinationales assignées – peut en bénéficier « lorsqu’elle intervient dans l’accomplissement d’un acte sur ordre ou pour le compte de cet État, constitutif d’un acte de souveraineté ».
L’avocat du groupe Monsanto (absorbé en 2018 par la société allemande Bayer), Me Jean-Daniel Bretzner, avait ainsi fait valoir qu’un tribunal français n’était pas compétent pour juger l’action d’un État étranger souverain dans le cadre d’une « politique de défense » en temps de guerre. « Mme Tran contourne la difficulté » en s’attaquant à des entreprises de droit privé plutôt qu’à l’État américain, avait lancé Me Bretzner, lors de sa plaidoirie en janvier.
Des entreprises qui ont agi « pour le compte de l’État américain »
Bayer-Monsanto, sollicité par l’AFP, s’est dit « d’accord avec la décision » en réaffirmant lundi que ces entreprises « ne sont pas responsables des dommages allégués associés à l’utilisation par le gouvernement d’un tel produit en temps de guerre ».
La justice française a estimé, après examen des pièces portées au dossier, que les sociétés avaient bien agi « sur ordre et pour le compte de l’État américain, dans l’accomplissement d’un acte de souveraineté », est-il indiqué dans la décision que l’AFP s’est procurée. Tran To Nga a confirmé à Reuters que la plainte déposée à l’encontre des sociétés comme Dow Chemical et Monsanto avait été rejetée et qu’elle ferait appel de la décision.
Ces entreprises « ont répondu à un appel d’offre » et n’ont donc pas agi sous la contrainte du gouvernement américain, ont rétorqué lundi les avocats de Tran To Nga dans un communiqué, réagissant à la décision. En outre, « les préconisations posées par l’administration américaine n’imposaient pas de fabriquer un produit comportant un taux de dioxine aussi élevé que celui de l’agent orange », ont encore dénoncé les avocats du cabinet Bourdon
Me William Bourdon avait déjà estimé au procès que « le commandement de l’autorité légitime (…) n’est pas exonératoire », en citant le principe de refus d’obéissance à un gouvernement si l’ordre donné est criminel « et illégal ».
Un combat engagé en 2014
Des dizaines de millions de litres de ce défoliant avaient été épandus par l’armée américaine, entre 1962 et 1971, sur les forêts et les cultures vietnamiennes et laotiennes afin d’empêcher la progression de la guérilla communiste.
Née en 1942 dans l’Indochine française, Tran To Nga s’était engagée dans le mouvement indépendantiste du nord du Vietnam et avait aussi couvert la guerre (1955-1975) comme journaliste. Elle affirme y avoir alors été exposée aux effets durables du produit chimique ultratoxique, surnommé « l’agent orange ».
Depuis 2014, cette grand-mère franco-vietnamienne mène une bataille judiciaire, au civil, contre les 14 firmes, pour avoir produit ce composé.
Tran To Nga dit souffrir de pathologies « caractéristiques » d’une exposition à cet herbicide. Atteinte d’un diabète de type 2 avec une allergie à l’insuline « rarissime », elle a aussi contracté deux tuberculoses, a eu un cancer et une de ses filles est décédée d’une malformation cardiaque.
Cette Franco-Vietnamienne entend ainsi participer à la reconnaissance internationale du crime « d’écocide » : « Ce n’est pas pour moi que je me bats » mais « pour mes enfants » et « ces millions de victimes » ayant souffert des effets durables de « l’agent orange », avait-elle déclaré au procès.
Avec AFP et Reuters
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