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Violences policières et diffamation : Assa Traoré, une militante obstinée et controversée

Devenue figure de proue de la lutte contre le racisme et les violences policières en France depuis la mort, en 2016, de son frère Adama, Assa Traoré comparaît devant le tribunal de Paris pour diffamation à l’égard des gendarmes qu’elle accuse d’être responsables de sa mort. Une nouvelle épreuve pour celle qui a fait de « la vérité pour Adama », le combat de sa vie.

« Je suis juste une sœur qui a perdu son frère et qui demande justice. » Figure emblématique de la lutte contre les violences policières depuis la mort de son frère, Adama, en 2016, Assa Traoré comparait depuis le jeudi 6 mai devant le tribunal de Paris pour diffamation.

« C’est une tribune que j’assume pleinement, à 1 000 % », s’est-elle défendue, droite à la barre, défendant chaque mot de la tribune qui lui vaut d’être attaquée par les gendarmes qu’elle accuse d’être responsable du décès de son jeune frère.

En juillet 2019, au troisième anniversaire de la mort d’Adama, elle avait publié une tribune intitulée « J’accuse » sur le compte Facebook du collectif « La Vérité pour Adama », dans une référence assumée à Émile Zola. Y étaient cités les noms des gendarmes qu’elle accuse dans une anaphore « d’avoir tué (son) frère Adama Traoré en l’écrasant avec le poids de leurs corps », « de ne pas (l’)avoir secouru » et « d’avoir refusé de (le) démenotter en affirmant qu’il simulait alors qu’il était en train de mourir ».

Médecins légistes, procureurs, juges d’instruction… Toute une brochette de personnes impliquées dans l’enquête sont également épinglés dans son texte. « Je le réécrirais et le prolongerais avec le nom des personnes qui continueront à entraver la manifestation de la vérité dans la mort de mon frère », a maintenu Assa Traoré à la barre.

« La vérité pour Adama », une quête à laquelle elle consacre aujourd’hui sa vie, un mouvement dont elle est la figure de proue, et un combat plus large, contre les violences policières et le racisme, autour duquel elle a su mobiliser, fédérer, en France et bien au-delà.

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Porte-voix

« Guardian of the year ». C’est par ces mots que le célèbre hebdomadaire américain Time honorait en décembre dernier l’action de la militante française antiraciste, consacrant à Assa Traoré un large portrait dans son traditionnel numéro de fin d’année, dédié aux personnalités ayant marqué l’actualité des douze derniers mois.

« C’est un honneur que me fait le Time, une consécration pour le combat que l’on mène depuis la mort de mon petit frère », avait-elle réagi auprès de l’AFP quelques mois après avoir rassemblé, en juin 2020, des dizaines de milliers de personnes à Paris, Lyon, Marseille, Lille, ou encore Bordeaux, dans le sillage de l’affaire George Floyd aux États-Unis.

« Quand on voit que la France a réduit notre combat à des insultes et des accusations, on a besoin qu’une consécration vienne de l’étranger », avait ajouté cette figure de l’antiracisme, qui a également reçu le BET Global Good award, prix décerné par une chaîne de télévision américaine à des personnalités afro-américaines ou issues de minorités.

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Âgée de 36 ans, Assa Traoré a grandi dans une famille de 17 enfants de quatre mères différentes. Son père, chef de chantier d’origine malienne a, selon elle, contribué à faire de la famille Traoré une famille soudée. Une famille dont Assa Traoré endosse le rôle de cheffe dès 1999, année du décès de son père, en s’occupant de ses frères et sœurs.

Et puis, le 19 juillet 2016, tout bascule. Éducatrice spécialisée à Sarcelles (Val-d’Oise), Assa Traoré est en déplacement professionnel en Croatie quand la nouvelle s’abat sur elle. Son frère, Adama, 24 ans, vient de mourir dans la caserne de Persan, près de deux heures après son arrestation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), au terme d’une course-poursuite, un jour de canicule.

Après plusieurs jours de manifestations à l’initiative de la famille pour demander la transparence sur les circonstances de l’interpellation, Assa, choisie par les Traoré comme porte-voix, prend la tête du Comité Vérité et Justice pour Adama, qui se mobilise pour faire reconnaître la responsabilité des gendarmes dans la mort de son frère, et plus généralement contre les violences policières. « C’est un peu aussi une maman qui a perdu son fils », dit d’elle son frère aîné, Lassana Traoré, rappelant à l’AFP le rôle joué par Assa dans la fratrie.

Au fil des années, le comité Adama acquiert une capacité de mobilisation et une notoriété importantes dont le leitmotiv demeure le combat pour la vérité sur la mort d’Adama Traoré, jalonné depuis plus de quatre ans par des expertises et contre-expertises médicales. Une procédure judiciaire marquée par de nombreux rebondissements qui ne sauraient faire plier la grande sœur charismatique devenue porte-étendard de la lutte contre le racisme en France.

Alliances

« Ce 19 juillet 2016, Adama Traoré sort dans la rue et on le tue, on l’abat. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais la mort de mon frère ne restera pas un fait divers. Pas Adama Traoré, pas mon petit frère. Et le combat, on va le mener. » Dans une interview à Time, Assa Traoré évoque des comités Adama à travers le monde et un travail de quatre ans contre « toutes les formes d’injustice » et la discrimination.

En effet, depuis 2016, cette dernière multiplie les manifestations, prises de paroles et interviews, appuyée par un solide comité d’une vingtaine de proches et de nombreux militants. Devenue elle-même militante à temps plein, Assa Traoré, mère de trois enfants de 6, 8 et 12 ans, n’a jamais repris son travail d’éducatrice spécialisée et se consacre au combat mené au nom de son petit frère.

« Avec le nom de mon frère, je changerai tout ce que je peux changer », affirmait-elle à l’AFP, en juin dernier. Si bien qu’aujourd’hui, le prénom d’Adama habille les pancartes et s’affiche sur les t-shirts de manifestants battant le pavé pour des causes toutes plus diverses les unes que les autres.

En 2018, Assa Traoré prenait la tête d’une manifestation contre la politique d’Emmanuel Macron, puis défilait aux côtés des Gilets jaunes. L’été dernier, elle se mobilisait aux côtés des soignants, et le comité Adama co-organisait plus tard une marche, à Beaumont-sur-Oise, avec Alternatiba, un mouvement citoyen engagé dans la lutte pour le climat. L’objectif d’Assa Traoré : scander le nom de son frère « partout où il y a de l’injustice, de l’inégalité et de la répression », a-t-elle expliqué au Monde, préférant parler d’ »alliances », plutôt que de « convergence ». Celle-ci s’est notamment plusieurs fois tenue aux côtés de Sofia Chouviat, fille de Cédric Chouviat, mort en janvier 2020 à la suite d’une interpellation violente par la police à Paris.


« Une sœur de victime »

Souvent comparée à Angela Davis (ancienne membre de Black Panther Party, universitaire et militante pour la défense des droits des Noirs américains), Assa Traoré, dont le combat judiciaire, devenu combat politique, s’attire les critiques féroces de l’extrême droite, peut néanmoins compter sur le soutien et l’admiration de nombreuses personnalités médiatiques, intellectuels et figures politiques de gauche. « Vous êtes une chance pour la France », lui a notamment déclaré l’ex-garde des Sceaux, Christiane Taubira, en juin dernier dans l’émission Quotidien.

En 2019, Assa Traoré cosignait « Le combat d’Adama », un ouvrage écrit avec le philosophe et sociologue Geoffroy de Lagasnerie, qui, à l’AFP, disait avoir été séduit par sa « manière tout à fait nouvelle de parler de la société, du racisme, des classes sociales ».

Mais ses méthodes ne sont pas du goût de tous, et Assa Traoré, condamnée au civil par la cour d’appel de Paris en février dernier pour atteinte à la présomption d’innocence des gendarmes, doit aujourd’hui se défendre d’avoir « jeté en pâture » le nom des gendarmes qu’elle accuse d’être responsables de la mort de son frère, selon les termes de l’avocat de deux d’entre eux.

« Je n’ai jamais vu une sœur de victime se retrouver au tribunal parce qu’elle a donné le nom des personnes qui ont tué son frère », a fustigé, jeudi à la barre, Samir Elyes Boulaadj, figure du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB). 

Assa Traoré, elle, garde la même ligne. « Si mon frère n’avait pas croisé la route de ces gendarmes, il ne serait pas mort. Si la justice avait fait toutes les investigations, je n’aurais pas été là aujourd’hui. »

Avec AFP

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