Le président américain, Joe Biden, a surpris tout le monde, mercredi, ont annonçant que les États-Unis soutiennent dorénavant une levée provisoire des brevets sur les vaccins contre le Covid-19. Un changement de cap important, dans un vieux débat plus compliqué qu’il n’y paraît.
C’est un virage à 180 degrés qualifié “d’historique” et “d’héroïque” pour les États-Unis. L’annonce, mercredi 5 mai, par le président américain, Joe Biden, qu’il était favorable à une levée temporaire des brevets sur les vaccins contre le Covid-19 a pris tout le monde par surprise.
Washington comptait, en effet, parmi les plus farouches partisans des brevets pharmaceutiques. Les États-Unis s’étaient encore opposés, en octobre 2020, à la demande alors introduite par l’Inde et l’Afrique du Sud devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de lever cette protection légale dont bénéficie les laboratoires le temps de la pandémie. Il s’agit pourtant de la même proposition à laquelle Joe Biden vient d’apporter son soutien de poids.
L’urgence et la pression politique
Ce retournement de veste – salué par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les pays du sud et des ONG tels qu’Oxfam et Médecins sans frontières – doit beaucoup à la pression politique aux États-Unis et sur la scène internationale.
Des personnalités influentes au sein du Parti démocrate demandent depuis plusieurs mois au président américain de considérer un soutien à la levée des brevets sur les vaccins. C’est le cas, depuis février 2021, de quelques “stars” de l’aile gauche du parti telles que Bernie Sanders ou Elizabeth Warren. Mais des démocrates plus modérés, et non moins influents, comme Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, ont également exprimé leur soutien à un changement de position.
Tous ces élus américains n’ont fait qu’amplifier un message porté par un nombre grandissant d’organisations internationales, de pays et de scientifiques. Que ce soit Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur de l’OMS, un collectif de plus de 70 épidémiologistes et virologues, ou encore près d’une centaine d’États, il semblait difficile d’ignorer cette revendication.
Selon eux, il y a urgence. L’opposition traditionnelle des pays riches et des laboratoires pharmaceutiques à cette levée des brevets est, aujourd’hui, “imprudente et revient à de l’automutilation », assure Gabriel Scally, un chercheur en santé publique à l’université de Bristol, dans une tribune publiée par le Guardian.
L’apparition de variants du SARS-CoV-2, plus transmissibles et potentiellement plus résistants aux vaccins, a changé la donne, d’après lui. Les pays riches ne peuvent plus se permettre de s’accaparer les stocks de vaccins disponibles pour protéger leur population au détriment des pays plus pauvres. Ce serait laisser le champ libre au virus dans de vastes parties du globe où il pourrait muter jusqu’à devenir plus fort que les vaccins. Auquel cas, “tous les efforts entrepris dans les pays aisés pour revenir à une vie normale grâce aux campagnes de vaccination auraient été en vains”, conclut-il. “C’est une course contre la montre”, confirme Ellen ‘t Hoen, spécialiste américaine des questions de brevets et de politique de santé, dans un article du site économique Barron’s.
Moins de brevets pour plus de vaccins
Mais pour vacciner au plus vite le monde entier, il “faut d’abord augmenter la capacité de production”, ajoute Ellen’ t Hoen. “La capacité annuelle de production des vaccins contre le Covid-19 est actuellement de 3,5 milliards de doses alors qu’il faudrait en fabriquer 11 milliards pour vacciner (administrer les deux doses) à 70 % de la population (mondiale) et atteindre l’immunité collective”, précise-t-elle.
Et c’est là que le bât blesse. Plusieurs laboratoires pharmaceutiques en Inde, au Canada ou encore au Bangladesh, ont demandé à Pfizer, Moderna et Johnson & Johnson de partager leur savoir-faire avec eux pour augmenter les capacités de production. Sans succès, rappelle le quotidien Indian Express.
La levée des brevets permettrait à tous d’avoir accès aux recettes de ces vaccins. “Les pays à faible ou moyen revenu pourraient ainsi mettre en place leur propre infrastructure de production pharmaceutique”, souligne Tedros Adhanom Ghebreyesus. Cela permettrait de distribuer plus rapidement les vaccins à la population locale, et ces génériques pourraient être vendus beaucoup moins cher.
Pour le patron de l’OMS, cette levée temporaire des brevets ne serait pas qu’une bénédiction pour venir à bout de cette crise sanitaire. En développant des infrastructures localement et en acquérant un savoir-faire vaccinal, les pays en voie de développement seraient mieux préparés pour les épidémies futures.
L’opposition en ordre de bataille
Les fabricants de vaccins rétorquent que c’est justement pour mieux lutter contre les menaces sanitaires futures qu’ils ont besoin de la protection des brevets. Le lobby de l’industrie pharmaceutique américaine a ainsi adressé une lettre, début mai, à Joe Biden, pour le prévenir qu’une telle décision inciterait moins les laboratoires à investir dans la recherche.
L’argument est connu. Les brevets leur permettent d’empocher le fruit de leur découverte sans craindre la concurrence et ces profits sont ensuite réinvestis pour développer des nouveaux traitements. Une logique à laquelle les investisseurs sont très sensibles puisque l’action en Bourse des principaux groupes pharmaceutiques a chuté après l’annonce de Joe Biden.
Mais ce n’est pas le seul reproche adressé à la levée des brevets. Des personnalités de premier plan, comme le milliardaire philanthrope Bill Gates ou Anthony Fauci, le Mr Covid de l’administration américaine, ont suggéré que ce n’était peut-être pas la bonne solution pour la situation actuelle.
Ils estiment que c’est une “fausse bonne idée”. Les brevets, en eux-mêmes, ne suffiraient pas à fabriquer les vaccins, surtout “pour une technologie aussi novatrice que les vaccins mRna (à ARN messager, ceux de Moderna et Pfizer)”, souligne le Washington Post. Ces brevets “sont comme des recettes. Ils donnent les informations essentielles pour les ingrédients et la procédure à suivre, mais ne renseignent pas forcément sur la bonne manière de faire ou sur la petite touche du chef qui assure la qualité du plat”, résument Ana Santos Rutschman et Julia Barnes-Weise, deux spécialistes du droit de la propriété intellectuelle, respectivement à l’université Saint Louis et Harvard, dans un article publié par la faculté de droit d’Harvard.
Il faudrait donc mettre en place tout un régime de collaboration entre les groupes qui ont développé les vaccins et les laboratoires amenés à les reproduire. “Cela nécessiterait d’innombrables allers et retours, avec l’intervention d’avocats à chaque étape. Cela prendrait beaucoup de temps”, estime Anthony Fauci, interrogé par le Financial Times.
Pour lui, cette énergie serait peut-être mieux utilisée ailleurs. Il faudrait “encourager ces sociétés à passer volontairement des accords de coopération avec des centres de production pour augmenter la disponibilité des vaccins” un peu partout dans le monde. Les États feraient tout aussi bien de mettre davantage au pot de mécanismes déjà existants, comme Covax, le programme de partage et de distribution de vaccin de l’OMS.
Mais pour les partisans d’une levée des brevets, l’appel à la bonne volonté des laboratoires pharmaceutiques “n’a jamais, jusqu’à présent, produit des résultats satisfaisants”, souligne Ellen‘ t Hoen.
L’obstacle de l’OMC
Ce qui ne signifie pas que l’annonce de Joe Biden va, du jour au lendemain, résoudre le problème. “C’est la première des trois étapes. D’abord, il faut lever les brevets, ensuite, il faut organiser le transfert des technologies et, enfin, il faudra augmenter massivement la capacité de production”, résume Rachel Cohen, directrice de l’Initiative pour les médicaments et maladies négligées, une ONG américaine, interrogée par la revue scientifique Nature.
Si les deux dernières étapes prendront probablement du temps, l’urgence est déjà de passer cette première étape. Et l’unanimité à l’OMC est de rigueur sur ces questions. Ce n’est, déjà, pas gagné.
“L’annonce de Joe Biden va pousser d’autres pays jusqu’alors réfractaires à l’idée d’adhérer à cette initiative”, estime le Washington Post. L’Allemagne et la France, jusqu’alors opposées à l’idée, ont suivi l’exemple américain, mercredi. Mais il suffit d’une voix pour tout faire capoter. Cette réunion de l’OMC, qui doit se terminer jeudi, est probablement l’une des plus importantes pour savoir dans quelle direction ira la lutte contre la pandémie.
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