La démonstration de force qui s’est jouée au large de l’île anglo-normande de Jersey, jeudi 6 mai, a révélé les tensions qui persistent entre la France et le Royaume-Uni sur les conditions de la pêche dans la Manche après le Brexit. Une cinquantaine de bateaux français ont tenté de bloquer le port de Saint-Hélier pour protester contre les nouvelles conditions de pêche imposées par le Royaume-Uni. Si, depuis le 1er janvier, un nouvel accord commercial entre Bruxelles et Londres régit l’accès aux eaux britanniques, la France reproche au Royaume-Uni d’ajouter de nouvelles modalités non prévues par l’accord.
En réponse à cette protestation, Londres a déployé deux navires de guerre « par précaution », selon le premier ministre britannique, Boris Johnson. La France a, elle, envoyé deux patrouilleurs, « pour la sécurité de la navigation et la sauvegarde de la vie humaine en mer », a précisé une porte-parole de la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord. A la fin de la journée, tous étaient rentrés au port, mais les crispations demeurent autour d’un accord qui avait provoqué des remous. Explications.
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Pourquoi la pêche dans la Manche est-elle un sujet majeur pour la France ?
Comme c’est le cas pour plusieurs pays européens, la pêche française dépend des eaux très poissonneuses qui se situent autour des îles anglo-normandes, dans la Manche. La part de la pêche dans les eaux britanniques représentait, en 2018, 17 % du chiffre d’affaires total réalisé par les bateaux français dans l’Atlantique nord-est, selon un rapport d’information de l’Assemblée nationale datant de juin 2020.
Trois régions sont particulièrement concernées : les Hauts-de-France, la Bretagne et la Normandie. En tonnage, environ à 18 % de la capture bretonne, première région de pêche française, a été effectuée dans les eaux britanniques en 2018. Ce taux s’élève à 58 % pour les Hauts-de-France et à 34 % pour la Normandie, selon le rapport.
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Quelles étaient les règles avant le Brexit ?
Avant le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), les pêcheurs français, comme ceux de l’ensemble de l’UE, pouvaient travailler dans les eaux britanniques, et vice-versa, dans le respect de la politique commune de la pêche (PCP), instaurée en 1983, qui a fixé des quotas de capture par espèces de poissons et par zones.
Seulement, les Britanniques estimaient que ce partage était déséquilibré. « La pêche européenne [dans les eaux britanniques] est 8,4 fois plus importante que la pêche britannique pratiquée dans les eaux des pays de l’UE. Dans le même temps, les Européens génèrent dans les eaux britanniques des revenus 4,9 fois plus élevés que les Britanniques dans les eaux européennes », rappelle ainsi le site du gouvernement français Viepublique.fr. S’estimant lésés, les pêcheurs d’outre-Manche ont d’ailleurs soutenu le Brexit à 92 %.
En quittant l’UE, le Royaume-Uni a donc abandonné cette politique et repris la pleine possession de ses eaux. Mais pour éviter que les pêcheurs européens ne pâtissent trop brutalement du Brexit, un nouvel accord a été conclu entre Bruxelles et Londres, à la fin du mois de décembre 2020. Celui-ci prévoit que, progressivement, sur cinq ans, les Européens devront renoncer à 25 % de leurs prises dans les eaux britanniques. Puis, à partir de l’été 2026, l’accès sera renégocié annuellement. Selon l’accord, durant cette période de transition, les pêcheurs français pourront continuer à pêcher entre 6 et 12 milles marins (11 et 22 km) au large des côtes britanniques, à condition d’avoir une licence octroyée par les îles anglo-normandes.
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Que reprochent les marins français aux Britanniques ?
Pêcheurs et gouvernement français dénoncent, entre autres, la lenteur des autorités de Jersey à délivrer des licences permettant d’accéder aux eaux britanniques. De plus, pour obtenir ces licences, les professionnels doivent prouver aux autorités du Royaume-Uni qu’ils ont l’habitude d’y pêcher, ce qui est compliqué pour certains navires.
Surtout, les Britanniques ont ajouté plusieurs exigences concernant les zones où les navires pourraient se rendre pour pêcher dans la Manche, mais qui n’avaient pas été discutées dans le cadre de l’accord commercial post-Brexit.
Ces nouvelles conditions ont déclenché une vive indignation. La ministre de la mer française, Annick Girardin, a déploré que celles-ci n’aient « pas été notifiées à la Commission européenne ». « On a découvert ces nouvelles mesures techniques, qui ne sont pas applicables en l’état à nos pêcheurs », avait déclaré lundi 3 mai, le ministère de la mer à l’Agence France-Presse.
Mardi 27 avril, Mme Girardin assurait être prête à recourir à des « mesures de rétorsion », si les autorités britanniques continuaient à restreindre l’accès à leurs eaux. La ministre faisait notamment allusion à des répercussions éventuelles sur le « transport d’électricité par câble sous-marin » qui alimente l’île de Jersey depuis la France, provoquant à son tour l’indignation des Britanniques.
Jeudi soir, après une rencontre qu’il a qualifiée de « constructive » entre les responsables de l’île et les pêcheurs, John Le Fondré, le ministre en chef de Jersey, a proposé l’instauration d’un forum de discussion entre les deux parties pour résoudre le différend.
« Nous ne transigerons pas, le droit est très clair, les conventions doivent être respectées, (…) les décisions qui ont été prises par les Britanniques, nous les considérons comme nulles et non avenues », a prévenu pour sa part, le ministre du commerce extérieur français, Franck Riester, vendredi matin, au micro de Sud Radio.
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