Alors que la répression se poursuit en Birmanie, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’UE ont progressivement réimposé des sanctions économiques contre les militaires. Leur objectif : couper leurs revenus. Même si ces nouvelles mesures auront certainement un impact limité, elles ont un effet psychologique positif sur les manifestants.
Couper les revenus des généraux birmans pour mettre fin à la répression sanglante. Après le coup d’État du 1er février, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont progressivement réimposé des sanctions contre les militaires, visant notamment deux vastes conglomérats contrôlés par l’armée, la Myanmar Economic Holdings Public Company Limited (MEHL) et la Myanmar Economic Corporation Limited (MEC).
En 2019, alors que la communauté internationale s’alarmait des exactions commises par l’armée sur les Rohingya et d’autres ethnies minoritaires, une mission internationale indépendante d’experts du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU avait rendu un rapport détaillant l’emprise de l’armée sur l’économie du pays. Elle dévoilait qu’à eux deux, ces conglomérats contrôlaient environ 120 sociétés dans le pays, allant de l’exploitation de jade et des pierres précieuses, aux banques et au tourisme.
Or toutes ces sociétés profitent de partenariats avec des sociétés étrangères. Depuis 2018, l’ONG Burma Campaign UK dresse ainsi une « Dirty List » (une liste noire) de ces entreprises chinoises, indiennes, mais aussi américaines ou européennes qui « collaborent » avec la Tatmadaw, l’armée birmane.
Contacté par France 24, Mike Farmaner, le président de cette association, explique que ces sanctions étrangères auront certainement un effet limité, les militaires pouvant compter sur d’autres partenaires économiques comme la Chine. En revanche, elles ont un effet psychologique majeur sur les militants qui manifestent depuis maintenant trois mois.
France 24 : Quelle est la situation économique en Birmanie actuellement ?
Mike Farmaner : Aujourd’hui, l’économie birmane est complètement à l’arrêt. Mais il faut bien comprendre que c’était là l’un des objectifs des manifestants : les militaires ne peuvent pas gouverner un pays dont l’économie est bloquée.
Les Birmans sont d’ailleurs les premiers à avoir appelé les sociétés étrangères à cesser leurs activités dans le pays et à avoir réclamé une réaction de la communauté internationale. On l’a vu dès les semaines qui ont suivi le coup d’État, le pays est entré dans une grève générale et la plupart des entreprises ont laissé faire.
Les militaires sont désormais en train de serrer la vis. Ils multiplient les menaces sur les patrons et les entreprises sont en train de rouvrir progressivement. Certains menacent même leurs employés de licenciement s’ils ne reviennent pas travailler.
Chaque entreprise étrangère qui cesse son activité dans le pays est donc saluée par les manifestants car elle participe à désorganiser l’économie. Il en va de même pour les sanctions décidées par les États.
Des entreprises étrangères ont-elles déjà quitté la Birmanie ? Pourquoi le cas de Total cristallise-t-il les tensions ?
Les premières entreprises à s’être retirées de la Birmanie ne sont pas occidentales, mais asiatiques : ce sont des entreprises de transport de marchandises singapouriennes et coréennes. Certaines entreprises européennes et américaines ont tout de même suivi, comme la société française Voltalia. EDF s’est aussi retiré d’un projet de barrage. Ces deux entreprises ne font d’ailleurs plus partie de notre « Dirty List ».
Aujourd’hui, tous les regards sont portés sur Total et Chevron. Pour cause, si on veut réellement porter un coup aux militaires, il faut viser des domaines stratégiques. Et rien n’est plus stratégique que le pétrole, le gaz et les pierres précieuses. Total est le premier investisseur privé du pays et une source de revenus inestimables pour l’armée. C’est non seulement un cas symbolique, mais son retrait aurait une réelle influence sur la situation.
Certains plaident, par ailleurs, que si Total cesse son activité, une autre entreprise, probablement chinoise ou thaïlandaise, viendrait immédiatement le remplacer. C’est certainement vrai. Mais sur le plan symbolique, le geste resterait fort et serait perçu comme un véritable revers pour les militaires.
Qu’en est-il des campagnes de boycottage initiées dans le pays ?
Le combat se mène aussi sur le front économique et cela, les Birmans l’ont bien compris. Depuis le coup d’État, les ventes de certains produits liés aux conglomérats de l’armée se sont effondrées. Jusqu’alors, il était impossible d’aller en Birmanie sans boire de la Myanmar Beer. Plus personne n’en consomme. Il en va de même pour les cigarettes Ruby.
On voit aussi de plus en plus de personnes changer d’opérateur téléphonique et délaisser le réseau MyTel, géré par l’armée. Dans les magasins, tous les encarts publicitaires vantant des produits liés aux militaires ont été retirés.
C’est quelque chose de totalement inédit. Pour beaucoup, plus qu’une façon de couper les revenus des militaires, c’est une façon de continuer à manifester malgré la répression sanglante. Il est facile d’arrêter des manifestants dans les rues, il est beaucoup plus difficile d’arrêter quelqu’un qui privilégie une marque de cigarettes à une autre… Ces boycotts sont une forme de résistance tout à fait remarquable.
Les sanctions économiques peuvent-elles faire plier les militaires ?
Les sanctions économiques ne seront pas suffisantes à elles seules. Les pays occidentaux ont une influence trop limitée sur l’économie birmane pour cela, surtout face à d’autres pays comme la Chine qui restent des partenaires de premier plan de la junte.
Elles représentent, en revanche, une première étape dans la mise en place d’une pression économique sur les militaires. Il faut bien comprendre que toutes les entreprises liées à l’armée ont bénéficié, si ce n’est d’investissements étrangers, au moins d’une expertise étrangère à un moment donné. Couper ce robinet, au moins partiellement, c’est porter un premier coup aux militaires.
Plus qu’un impact économique, ces sanctions ont un impact émotionnel et psychologique. Les militaires ne s’attendaient pas à une telle résistance de la part de la population. Ils ont beau arrêter les opposants, fermer les réseaux sociaux, la mobilisation se poursuit. Chaque décision prise contre les militaires est ainsi perçue comme une victoire pour les manifestants et comme un argument pour poursuivre le mouvement.
Cela est d’autant plus vrai que la communauté internationale a mis du temps à imposer ces sanctions. Il a fallu plusieurs semaines aux États-Unis et au Royaume-Uni et trois mois pour l’Union européenne.
Pour que la communauté internationale joue réellement un rôle, il faut désormais qu’elle renforce la pression diplomatique et décrète un embargo général sur les armes. Elle doit aussi refuser en bloc de reconnaître la junte comme gouvernement officiel, et de facto légitime, de la Birmanie.
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