Le Conseil de surveillance de Facebook doit décider mercredi si l’ex-président américain Donald Trump peut revenir sur le réseau social. Il en a été banni après l’assaut sur le Capitole par ses partisans, en janvier. La décision de cette « cour suprême » est cruciale pour savoir si ce mécanisme inventé pour trancher les questions de modération les plus épineuses peut tenir la route.
Les Américains se réveilleront peut-être, mercredi 5 mai, pour découvrir un revenant sur leur réseau social favori. Le Conseil de surveillance de Facebook doit annoncer à 9 heures (15 heures à Paris) si Donald Trump peut de nouveau s’exprimer sur la plateforme aux près de trois milliards d’utilisateurs dans le monde.
Le cas de l’ex-président américain représente un test clé pour cette jeune structure, surnommée la « cour suprême » de Facebook, qui a été instaurée par Mark Zuckerberg en octobre 2020 pour s’occuper des affaires de modération les plus épineuses et controversées.
The Oversight Board will announce its decision on the case concerning former US President Trump on its website at https://t.co/NNQ9YCrcrh on May 5, 2021 at approximately 9:00 a.m. EDT.
— Oversight Board (@OversightBoard) May 3, 2021
Un « conseil des sages » pour répondre aux critiques
Difficile, en effet, de s’aventurer sur un chemin plus glissant que celui du sort réservé par les réseaux sociaux à Donald Trump après l’assaut mené par ses partisans contre le Capitole à Washington, le 6 janvier dernier. La décision de Facebook de le bannir « indéfiniment » – pour avoir publié une vidéo où il appelait les assaillants à rentrer chez eux, tout en ajoutant qu’il « les aimait beaucoup », avait valu au réseau social des critiques de toutes parts. Pour les uns, Facebook avait réagi tardivement, laissant le dirigeant distiller ses messages haineux bien trop longtemps, tandis que d’autres jugeaient que la censure d’un chef d’État, aussi controversé soit-il, constituait un dangereux précédent.
Mark Zuckerberg a reconnu qu’il s’attendait à voir la sanction contre Donald Trump contestée. « De nombreuses personnes ont affirmé qu’une entreprise privée ne devrait pas prendre ce genre de décision toute seule. Nous sommes d’accord », avait déclaré le PDG de Facebook. C’est la raison pour laquelle le groupe a saisi sa « cour suprême ». Après tout, n’est-ce pas la raison d’être de cette structure ?
La genèse du Conseil de surveillance de Facebook remonte à 2018. Le réseau social est alors critiqué de toute part. Il est enlisé dans le scandale Cambridge Analytica – qui avait trait à une immense fuite de données personnelles utilisées à des fins de propagande politique -, tandis que le souvenir de la campagne russe sur Facebook pour influencer l’élection présidentielle américaine de 2016 reste vivace.
Le concept d’un « conseil de sages » indépendant qui agirait comme une sorte de quasi-tribunal est alors suggéré à Mark Zuckerberg par Noah Feldman, un professeur de droit à l’université d’Harvard, connu pour avoir contribué à écrire la nouvelle Constitution irakienne après l’invasion américaine du pays en 2003. Le patron de Facebook saute sur l’idée. « Il avait l’impression de ne plus pouvoir s’occuper du développement des produits et d’avoir à consacrer toute son énergie à gérer des problèmes de politique », raconte Kate Klonick, juriste à la Saint John’s University qui a été autorisée par Facebook à suivre l’élaboration de cette « cour suprême », dans un article du New Yorker. Un Conseil de surveillance permettrait de le décharger quelque peu.
Après des mois de consultations un peu partout dans le monde, Facebook parvient à réunir un comité de vingt experts venus de différents pays et issus du monde académique, du journalisme et du milieu associatif. Ces « juges » ne font, bien sûr, pas l’unanimité aux États-Unis. Les conservateurs dénoncent un panel « trop à gauche ». Donald Trump téléphone même personnellement à Mark Zuckerberg pour se plaindre de la nomination de Pamela Karlan, une juriste qui avait témoigné contre lui lors du premier procès en destitution. Les démocrates aussi ont des doléances, notamment concernant la présence d’un ancien juge qui avait défendu en 2000 le droit des boy-scouts d’exclure les homosexuels de leurs rangs.
Des décisions qui s’imposent à Facebook
Mark Zuckerberg tient bon. Ce sont ces 20 experts qui, depuis octobre 2020, ont la lourde tâche de décider in fine si le réseau social a eu raison de censurer ou non un contenu. Le Conseil de surveillance peut être saisi par Facebook ou des utilisateurs qui s’estiment lésés. Dans ce dernier cas, ce sont les experts qui décident si le grief est légitime et vaut la peine d’être examiné.
Pour chaque affaire, Facebook désigne ensuite cinq membres du comité qui seront chargés de trancher. Leurs noms sont gardés secrets « afin d’éviter tout lobbying », explique le Washington Post. Ils ont alors 90 jours pour aboutir à une conclusion, soumise au reste des membres du Conseil de surveillance qui ne peuvent s’y opposer que par un vote à la majorité.
Leur décision s’impose à Facebook. Ces experts ont d’ailleurs déjà commencé à censurer la censure du réseau social. Ils l’ont obligé, fin janvier, à remettre en ligne un message posté en France qui faisait l’apologie de l’hydroxychloroquine, le très controversé traitement contre le Covid-19 qui a connu son heure de gloire en 2020. Ils ont aussi annulé la décision de suppression d’une publication contenant une citation attribuée à Joseph Goebbels, le célèbre ministre de la propagande de l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale.
Des premières décisions qui suggèrent que cette « cour suprême » a une conception assez généreuse de la liberté d’expression, juge Evelyn Douek, une professeure de droit d’Harvard, sur le blog Law Fare.
En ira-t-il de même avec Donald Trump ? L’affaire est autrement plus sensible. « C’est la première fois qu’un acteur privé limite ainsi la possibilité pour un chef d’État de faire entendre sa parole politique », souligne Eliska Pirkova, qui s’occupe des questions de gouvernance des plateformes Internet pour AccessNow, une association de défense de la liberté d’expression en ligne, contactée par France 24.
Une décision qui dépasse le cas de Donald Trump
Les experts du Conseil de surveillance sont d’ailleurs conscients de ne pas avoir le droit à l’erreur dans cette affaire. Ils devaient rendre leur décision fin mars, mais ont demandé, et obtenu un délai supplémentaire en raison du caractère « très sensible » de cette question.
Ils savent que cette décision, très attendue, sera, pour eux, l’occasion de répondre au principal reproche qui leur est adressé : celui de l’indépendance. « Ce sont certes tous des experts reconnus dans leur domaine, mais il n’en reste pas moins qu’ils sont liés à Facebook et, à ce titre, il y aura toujours des doutes sur la transparence de leur décision », explique Eliska Pirkova.
Le cas Trump devra leur permettre – ou non – de prouver qu’ils sont légitimes à être les juges suprêmes de ce qu’il est permis de dire ou non sur le plus puissant des réseaux sociaux. Surtout que des alternatives ont été proposées, comme la création d’un « Conseil international des médias sociaux« , promue notamment par David Kaye, l’ancien rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression. Un organisme qui, lui, n’aurait aucun lien avec Facebook, mais dont le groupe californien ne veut pas.
Au-delà des questions de légitimité, la décision de ce Conseil de surveillance aura « des répercussions bien au-delà du cas de Donald Trump », souligne le Washington Post. Si ces experts valident la sanction prononcée par Facebook, c’est « une manière de reconnaître à cette entreprise privée le droit de censurer n’importe qui », souligne Martin Moore, directeur du centre d’études des médias au King’s College de Londres, contacté par France 24.
Facebook perdant quelle que soit la décision
Mais d’un autre côté, s’ils le laissent revenir, « cela lui laisse le champ libre pour utiliser Facebook afin de continuer à déstabiliser la démocratie américaine », ajoute cet expert. D’après lui, d’autres dirigeants aux tendances populistes pourraient s’engouffrer dans la brèche et estimer qu’ils ont dorénavant aussi le droit d’utiliser cette plateforme pour « diffuser des contenus haineux ».
Il n’y a donc pas de bonne fin à cette histoire pour Mark Zuckerberg, note Martin Moore. « Facebook est perdant dans les deux cas, car quelle que soit la décision du Conseil de surveillance cela ne fera que souligner que ce réseau social a trop d’influence sur le débat public à l’échelle internationale », conclut-il.
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