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Covid-19 : la première crise économique qui s’en prend aux femmes en priorité

L’ONG Oxfam a affirmé, jeudi, que les femmes privées de travail en raison de la crise sanitaire mondiale avaient perdu 800 milliards de dollars de revenus. Le montant choc vise surtout à attirer l’attention sur le fait que la crise économique engendrée par la pandémie est la première à autant les affecter.

Un trou de 800 milliards de dollars. C’est le montant des pertes de revenus des femmes dans le monde depuis le début de la pandémie, a affirmé Oxfam jeudi 29 avril.

Le montant représente plus du double du budget annuel de la France (250 milliards d’euros, soit 300 milliards de dollars) et dépasse même les dépenses annuelles des États-Unis pour assurer leur défense (732 milliards de dollars). 

Ce chiffre choc doit rappeler “que les femmes sont économiquement bien plus durement touchées par la pandémie de Covid-19”, souligne Gabriela Bucher, directrice adjointe d’Oxfam International, dans un communiqué. Elles ont perdu 63 millions d’emplois en 2020 au niveau mondial, soit une baisse de 5 %, contre une diminution de 3,9 % pour les hommes, selon les chiffres de l’Organisation internationale du travail (OIT). 

Pandémie et “She-cession”

Oxfam a pris le nombre de ces pertes d’emplois, l’a multiplié par le salaire moyen d’une femme dans le monde – là encore déduit des données de l’OIT –pour aboutir aux 800 milliards de dollars de revenus partis en fumée depuis le début de la pandémie pour les femmes.

Le chiffre, approximatif, a ses limites en raison de son calcul fondé sur des situations salariales très diverses de par le monde, reconnaît Oxfam. “Le salaire moyen diminue, par exemple, l’importance des inégalités de revenus entre les femmes”, note l’organisation.

Il n’en reste pas moins que ces 800 milliards de dollars illustrent l’une des particularités de la crise économique engendrée par la situation sanitaire. “C’est la première ‘she-cession’ (contraction en anglais désignant une récession affectant en premier lieu les femmes)”, note Alexandra Fischer, une économiste de l’université d’Exeter, dans une étude sur les inégalités de sexe à l’heure du Covid-19 parue en mars 2021

Jusqu’à cette pandémie, la plupart des crises économiques “dues à des chocs financiers, commerciaux ou liées à des catastrophes naturelles affectaient en priorité les usines de production où les hommes sont surreprésentés”, rappelle Armine Yalnizyan, l’économiste canadienne qui a inventé en 2008 le terme “he-cession” (une récession qui touche surtout les hommes) en 2008, interrogée par la chaîne de télévision canadienne Global News.

Mais tout a changé avec l’apparition du Covid-19. Cette fois-ci, “la première victime du confinement à travers le monde a été le secteur des services, qui emploie beaucoup de femmes, notamment dans les pays en voie de développement”, souligne Hélène Maisonnave, une économiste à l’université du Havre qui a travaillé sur l’impact économique de la pandémie sur les femmes, contactée par France 24.  

Ironiquement, “les services qui n’ont pas été perturbés par la pandémie, comme l’information, la communication ou encore l’assurance, emploient en majorité des hommes”, souligne la Commission européenne dans un rapport de mars 2021

Une pression domestique accrue

Hélène Maisonnave a pu vérifier cette fragilité professionnelle des femmes face à la pandémie en Afrique du Sud, un pays que cette spécialiste a étudié en détail. “80 % des femmes y travaillent dans seulement quatre sous-catégories du secteur des services (travail à domicile, services à la personne, commerce de détail et services financiers) très affectées par les mesures de confinement”, a-t-elle constaté.

Les femmes s’annoncent aussi comme les perdantes de la reprise économique qui se dessine. Alors que les usines ont recommencé à produire à plein régime, “le secteur des services, qui implique souvent un contact humain plus direct, peine, quant à lui, à redémarrer”, souligne Hélène Maisonnave.

Dans les pays en développement, les femmes sont également surreprésentées dans le secteur informel, souligne une note de l’OIT. “Que ce soit en Asie du Sud, en Afrique subsaharienne ou en Amérique latine, ces emplois très précaires, non déclarés, ont souvent été les premiers à disparaître”, souligne Oxfam.

Même lorsque la pandémie ne les a pas directement privées de leur travail, certaines femmes ont dû mettre leur carrière entre parenthèses en raison du confinement. Dans bon nombre de pays, “ce sont encore elles qui ont la charge des tâches domestiques : elles s’occupent des enfants, soignent les malades et maintiennent la maison en ordre. Avec la fermeture des écoles, cette pression domestique s’est considérablement accrue, rendant beaucoup plus difficile, voire impossible, le télétravail pour celles qui auraient pu y avoir recours”, explique Hélène Maisonnave.

Un problème qui ne touche pas que les pays pauvres. Dans son premier discours au Congrès mercredi, le président américain, Joe Biden, a ainsi expliqué que “3,7 millions d’Américaines avaient quitté le marché du travail depuis février 2020”, principalement à cause des “responsabilités domestiques supplémentaires”. C’est même, officiellement, l’une des principales raisons pour lesquelles le président américain a consacré toute une partie de son plan de soutien à l’emploi au développement des structures d’accueil pour les enfants et les personnes âgées.

Des réponses pas à la hauteur

Si la pandémie a déjà coûté très cher aux femmes , l’addition pourrait encore s’alourdir. “On a constaté après l’épidémie d’Ebola (en 2014) que les femmes qui avaient perdu leur emploi et étaient restées longtemps éloignées du marché du travail pour s’occuper des tâches domestiques avaient eu plus de mal que les hommes à retrouver un poste”, rappelle Hélène Maisonnave. Cette économiste craint que le même phénomène menace les femmes à l’issue de la pandémie de Covid-19.

Un effet qui pourrait même se ressentir sur plusieurs générations. “On remarque que les mères demandent souvent en priorité à leurs filles de les aider pour les tâches domestiques, ce qui peut aboutir à des situations de déscolarisation ou de retards”, souligne-t-elle. Auquel cas le Covid-19 pourrait faire très mal à long terme à la lutte pour l’égalité économique entre les hommes et les femmes.

Pour Hélène Maisonnave, le problème est que “ce phénomène est largement sous-estimé et qu’on n’est pas du tout à la hauteur de l’enjeu”. Rares sont les dirigeants qui, à l’instar du président américain, ont intégré cette dimension dans leurs réponses aux défis économiques posés par la pandémie. 

Seul onze pays ont introduit des règles spécifiques pour permettre aux salarié(e)s d’aménager leurs heures de travail afin de s’occuper en parallèle des tâches domestiques, a constaté le Forum mondial économique dans une étude des politiques de soutien aux femmes adoptées à travers le monde durant la pandémie. Et 35 seulement ont mis en place un soutien financier spécifique pour celles – et ceux – qui ont dû quitter leur travail afin de prendre soin d’un proche ou d’enfants. Si le chiffre de 800 milliards de dollars de revenus perdus par les femmes est approximatif, voire exagéré, le diagnostic du problème est, lui, tout ce qu’il y a de plus précis.

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