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Tchad : « L’opposition en exil a été irritée par la présence de M. Macron aux funérailles d’Idriss Déby »

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Le journaliste tchadien Makaïla Nguebla, en exil depuis plus de vingt ans, en région parisienne, en avril 2021. Le journaliste tchadien Makaïla Nguebla, en exil depuis plus de vingt ans, en région parisienne, en avril 2021.

Depuis la mort du président tchadien Idriss Déby, annoncée le 20 avril, il est branché en continu sur France 24. Et son téléphone ne cesse de sonner : des opposants, des militants, des reporters français veulent échanger avec lui. Et pour cause : le journaliste Makaïla Nguebla, 49 ans, tient, depuis le salon de son appartement en banlieue parisienne, makaila.fr, l’un des sites d’information les plus suivis sur le Tchad par la diaspora.

En exil depuis plus de vingt ans, expulsé de plusieurs pays d’Afrique où il avait trouvé refuge pour ses critiques contre le régime de N’Djamena, le journaliste veut mettre fin au règne de la famille Déby.

Qu’avez-vous ressenti à la mort du président Idriss Déby ?

Un soulagement. Idriss Déby a été le verrou d’un pays bloqué et a cristallisé toutes les frustrations sociétales. Il a mené une politique terrible de privation des ressources, des libertés, d’un Etat de droit et de l’égalité des chances entre tous les enfants du Tchad. A cause de lui, je vis en exil depuis plus de vingt ans et son régime m’a pourchassé depuis lors en me confisquant mon passeport. Je n’ai même pas pu aller enterrer ma mère, morte en 2018. L’exil est une répression morale.

Avec sa disparition, c’est la fin d’une époque. Malgré cela, l’arrivée de son fils, le général Mahamat Idriss Déby, à la tête de l’Etat et du Conseil militaire de transition [CMT] signifie la continuité du règne de la famille Déby.

Justement, Mahamat Idriss Déby a promis des « élections libres et démocratiques » dans dix-huit mois…

Je n’y crois pas du tout. Le CMT a prévu une période de transition de dix-huit mois avant de prétendre confier le pouvoir aux civils. Mais cette période peut être prorogée une fois. Pourquoi ? Parce que pour être candidat à l’élection présidentielle du Tchad, il faut avoir 40 ans. Or, Mahamat Idriss Déby a aujourd’hui 37 ans. Faites le calcul : dans trente-six mois, il aura bien 40 ans.

Pour moi, il est inévitable qu’il se présentera à la présidentielle à la fin de la transition qui sera forcément prolongée. C’est encore un complot contre le peuple tchadien. Va-t-il lui aussi régner pendant trente ans comme son père ? D’ici là, tous les opposants auront disparu.

La présence d’Emmanuel Macron aux funérailles d’Idriss Déby vous a-t-elle surpris ?

L’opposition en exil a été irritée. A la rigueur, que Jean-Yves Le Drian [ministre des affaires étrangères] soit envoyé n’était pas surprenant. Mais le chef de l’Etat français ? Sa présence a montré tout l’intérêt que Paris porte à la disparition d’un allié stratégique dans la sous-région. C’est une caution du plus haut niveau accordée à Déby, à sa famille et aux militaires qui prouve à quel point la France est redevable au défunt président et à l’engagement de l’armée tchadienne au Sahel.

Pourquoi dites-vous que « l’opposition en exil a été irritée » ?

On constate que Paris mise davantage sur la junte militaire que sur le peuple tchadien composé de 15 millions de personnes. M. Macron a oublié que le Tchad vient juste de sortir d’une élection présidentielle massivement rejetée par la société. Cet aspect aurait dû constituer une première alerte, tout comme l’incursion de rebelles [dans le nord du pays] en pleine tenue du scrutin. Le président français a fait fi de ces signaux.

Je serai toujours reconnaissant à la France de m’avoir accordé l’asile politique en 2013, mais je n’aurais jamais pensé qu’elle pouvait ignorer les droits de l’homme au nom de la lutte contre le terrorisme au Sahel. La France est dans une position ambivalente : d’un côté, elle accueille des réfugiés au nom de la liberté ; de l’autre, elle continue à soutenir des régimes autocratiques qui bafouent ces mêmes valeurs.

Quel regard portez-vous sur l’action de M. Macron en Afrique ?

Le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou [la capitale du Burkina-Faso, en 2017] a suscité un très grand espoir pour la société civile. Et la mise en place du Conseil présidentiel pour l’Afrique, composé essentiellement de membres de la diaspora, devait permettre au chef d’Etat français d’avoir une lecture saine de ce qu’il se passe sur le continent. On a déchanté très vite quand on a vu que Paris composait toujours autant avec les dictatures et non avec les défenseurs des droits de l’homme.

Aujourd’hui, des activistes comme moi n’avons aucun accès à l’Elysée. L’action de Macron sur le continent est inquiétante, il est dans la continuité de la politique de ces prédécesseurs : c’est la Françafrique qui perdure… Il n’est pas étonnant de voir que des slogans antifrançais ont été brandis lors des dernières manifestations au Tchad.

Quelle doit être la stratégie de l’opposition ?

Par principe, je suis opposé à la prise du pouvoir par les armes. J’ai toujours plaidé en faveur de la tenue d’un dialogue politique inclusif avec la participation de la diaspora, de la société civile, des partis politiques et des groupes politico-militaires [les rebelles]. Les Tchadiens veulent un changement et continueront de manifester, de N’Djamena à Paris, jusqu’à ce que la junte quitte le pouvoir.

Mais la répression va se durcir, il y aura beaucoup de morts. Le clan Déby a l’intention de conserver le pouvoir au prix du sang. C’est pourquoi j’appelle la France à lâcher la junte au profit des civils.

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