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Tribune. Cela fait plusieurs siècles que le répertoire créatif africain inspire le reste du monde. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les nombreuses œuvres d’art africain disséminées à travers les plus prestigieux musées de la planète. Aujourd’hui, alors que l’héritage culturel africain fait l’objet de débats passionnés, la manière dont les grandes maisons de mode internationales redécouvrent et s’inspirent librement de la créativité africaine suscite des interrogations légitimes.
La Fondation Cartier est l’une des premières à avoir ouvert le bal en organisant avec succès l’exposition « Beauté Congo » en 2015. En 2017, Louis Vuitton a choisi Virgil Abloh, créateur d’origine ghanéenne, pour prendre la direction artistique de cette incarnation par excellence du luxe à la française. La même année, les Galeries Lafayette ont lancé « Africa Now », une saison africaine au cœur du temple de la consommation parisien. En 2019, c’était au tour de Dior de mettre la mode africaine à l’honneur à l’occasion de la présentation de sa collection Croisière, dont une partie des pièces fut produite en Côte d’Ivoire.
Et le phénomène ne semble pas près de s’essouffler : cette année, les trois principales fashion week européennes, à Paris, Londres et Milan, ont mis en avant la créativité africaine avec, concernant Paris, le défilé Ebony de Virgil Abloh pour Louis Vuitton qui était, dans une large mesure, une ode à l’héritage africain.
Ce regain d’intérêt est-il vraiment une bonne nouvelle pour les créateurs du continent ? Sans doute, mais à certaines conditions. Il faut éviter que les industries créatives africaines ne soient victimes de la malédiction des industries extractives. L’extraordinaire richesse du sous-sol africain ne lui a pas, loin s’en faut, apporté la prospérité attendue.
Une période charnière
La véritable valeur ajoutée se trouve à l’international, chez ceux qui transforment et commercialisent minerais, diamants et pétrole. Comment faire pour que le talent des entrepreneurs créatifs africains soit reconnu sur la scène internationale tout en générant des retombées à long terme pour le continent ?
Car, aujourd’hui, la plupart des pays du continent ne disposent ni des ressources financières, ni des savoir-faire, ni des chaînes de valeur qui permettraient aux talents africains de lancer des entreprises rentables dans la durée. Si bien que l’appel de l’international est irrésistible pour les acteurs du luxe. Si ces conditions persistent, un phénomène de « fuite créative » semble inéluctable.
C’est d’autant plus vrai que les consommateurs africains les plus fortunés préfèrent encore faire leur shopping à Londres ou à Paris, où ils se procurent des marques de luxe dont le savoir-faire et la propension à susciter l’adhésion autant qu’à symboliser un héritage culturel ne sont plus à démontrer. Les marques africaines doivent pouvoir se positionner sur ce terrain pour convaincre une clientèle non seulement africaine, mais aussi internationale.
Nous vivons une période charnière. La pandémie de Covid-19 offre à l’Afrique des opportunités sur lesquelles elle peut capitaliser. L’accélération de la digitalisation du fait de la crise s’ajoute à la capacité africaine à sauter les étapes du développement, ce que l’on appelle le leapfrog (« saut technologique »).
Une main-d’œuvre abondante et qualifiée
Dans le secteur des industries créatives, cela se manifeste par l’essor des Digital Native Vertical Brands, des marques qui sont dès leur origine conçues pour Internet, vendent en ligne et réalisent tout leur marketing sur les médias sociaux. Elles exportent aux Etats-Unis, en Europe… et ailleurs en Afrique.
Aujourd’hui, ces entrepreneurs créatifs ont besoin de financement, d’accompagnement et de formation. Il s’agit d’abord de renforcer l’outil de production locale à travers des transferts de technologies et du capital patient, c’est-à-dire des investissements de long terme, condition de la création de marques pérennes.
Dotée d’une main-d’œuvre abondante et qualifiée, l’Afrique représente l’un des derniers terrains à explorer pour l’industrie textile, y compris dans la confection de prêt-à-porter haut de gamme, des industries hautement créatrices d’emploi.
Les marques africaines doivent aussi être soutenues dans les métiers du marketing et de la distribution pour franchir l’étape de l’amorçage. De même, la formation sera la clé pour transformer les créateurs en véritables entrepreneurs créatifs. C’est précisément dans ce domaine que les grandes maisons de luxe internationales peuvent apporter une aide précieuse à l’émergence des industries créatives en Afrique.
Obligées de se réinventer constamment, ces dernières ont un intérêt évident à se rapprocher des nouvelles frontières de la créativité et à participer au développement d’une industrie plus responsable, diverse, perpétuant savoir-faire et traditions, à laquelle aspirent les consommateurs contemporains. En réalité, l’éclosion de marques africaines reconnues sur la scène internationale est une cause de nature à dépasser les habituels clivages Nord-Sud.
Laureen Kouassi-Olsson est la fondatrice et directrice générale de Birimian, une société d’investissement dédiée à l’accompagnement de marques du secteur de la mode et du luxe issues du continent.
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