Avant la pandémie de Covid-19, Daisy Garcia, 26 ans, servait chaque jour des repas à quelque 80 personnes dans une soupe populaire d’une commune pauvre située au sud-ouest de Buenos Aires. Aujourd’hui, elle distribue près de 1.000 repas quotidiens.
« Nous n’aurions jamais imaginé en arriver là », dit la jeune femme.
Depuis qu’elle a émigré du Paraguay il y a 14 ans, Daisy Garcia vit dans la commune de La Matanza, la plus peuplée de la province de Buenos Aires.
La soupe populaire, financée par des dons caritatifs, se trouve dans un bâtiment en béton, un luxe dans ce quartier de bidonvilles, dont les rues en terre battue sont jonchées d’ordures.
« On n’arrête jamais. Avant, nous distribuions 70 ou 80 repas. La pandémie nous a fait changer de cap, nous servons chaque jour entre 450 et 500 repas à midi et 350 à 400 le soir. Nous travaillons aussi le week-end », raconte Daisy.
« Il y a beaucoup de besoins, beaucoup de demandes, des gens qui viennent de partout », dit-elle.
Située à une vingtaine de minutes en voiture du centre de Buenos Aires, La Matanza et ses « villa miseria », le nom local pour les bidonvilles, illustre de manière spectaculaire l’explosion de la pauvreté en Argentine.
Cette dernière touche désormais 42% de la population (45 millions d’habitants), sous les effets conjugués de la profonde crise économique qui secoue le pays depuis trois ans, et de la pandémie.
Près de la moitié des 1,7 million de personnes qui vivent dans la commune sont pauvres.
Les cas de Covid-19 augmentent sans répit alors que le pays est frappé par une virulente deuxième vague : la semaine dernière, le nombre de contaminations était de 6.680 dans la commune, soit 1.000 de plus que la semaine précédente.
Dans la zone ouest de La Matanza, la criminalité pour le contrôle du trafic de drogues n’a pas faibli pour autant. Les services publics, eux, sont absents. Pas d’électricité, d’égouts, d’eau potable.
Les inondations régulières de la rivière La Matanza laissent les rues submergées d’eau sale. « Nous sommes abandonnés », lance un homme.
– « Trop difficile » –
Silvana Grisel Meza a 20 ans. Elle souhaite que son fils de deux ans ait plus d’opportunités qu’elle n’en a eues.
« Ici, on n’apprend rien de bon », dit-elle en montrant son bidonville, Puerta de Hierro. Elle parle d’expérience : un de ses frères est mort à la suite d’un règlement de comptes, un autre est en prison pour meurtre.
Elle et son mari se sont rencontrés en cure de désintoxication. Elle est femme au foyer, lui vit « de changas », les petits boulots. Mais en période de pandémie, « obtenir des changas est très difficile ».
Plus loin, le bidonville de San Petersburgo est l’un des plus dangereux de la zone, cerné de postes de contrôle de la police.
Le quartier était parvenu dernièrement à réduire la violence liée au trafic de drogue, mais avec la pandémie, « les choses sont redevenues ce qu’elles étaient », raconte Martin Portillo, un habitant de 47 ans.
« Comme ils ne peuvent pas sortir » en raison des restrictions liées à la pandémie, les trafiquants « se volent les uns les autres », explique cet homme né dans le quartier et qui travaille pour la paroisse locale de San José.
Les conséquences de la pandémie font des ravages en Argentine où environ 40 % de la population vit de l’économie informelle et où l’inflation chronique (36% en 2020) rend l’accès à la nourriture impossible pour beaucoup.
Dans ces quartiers, presque tout le monde a recours aux soupes populaires.
A San Petersburgo, un quartier proche, Silvia Rodriguez nourrit ses sept enfants grâce à la soupe populaire. Mais l’approvisionnement en eau est un défi. « Si nous manquons d’eau, nous manquons de tout », dit-elle.
Même constat dans le quartier de Ciudad Evita. Chaque fois que Natalia Elizabeth Colbet, une habitante, veut se laver les mains, elle se rend avec un seau jusqu’au robinet commun qu’elle partage avec ses voisins.
« La vérité est que c’est une lutte » quotidienne, dit-elle. « Avec la pandémie, tout est devenu plus difficile, trop difficile ».
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