Le bout du tunnel : dans une symbolique involontaire, Geoffroy Roux de Bézieux a communiqué autant par l’image que par le discours, en s’engageant sous l’œil des photographes de presse, le 20 avril, dans un tunnel de désinfection de la marque BeLifeline. « Il faut relâcher les contraintes », a martelé le président du Medef, lors d’une visite dans les locaux de cette marque qui commercialise ces dispositifs anti-Covid. Armé de telles technologies et en respectant des jauges strictes, « mieux vaut travailler avec des restrictions que de ne pas travailler », a encore lancé le patron des patrons.
La pression redouble sur l’exécutif, à mesure que s’approche la mi-mai, date gravée dans le marbre par Emmanuel Macron pour la réouverture des terrasses de restaurants, de certains lieux de culture et potentiellement de commerces « non essentiels ». « Laissez-nous tous ouvrir le 10 mai », ont surenchéri les présidents des douze fédérations professionnelles et plus de 150 dirigeants d’enseignes, de Armor Lux à Ikea, dans une tribune publiée le 22 avril par Le Parisien.
Risques sur l’emploi
« On ne comprend pas selon quelle logique nos magasins sont toujours les premiers fermés et les derniers à rouvrir, s’agace Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, qui regroupe les commerces spécialisés. Depuis le début de l’épidémie,
Et les signataires de mettre en garde contre les risques qui pèsent sur les 800.000 emplois que comptent leurs 150.000 magasins. Après Flunch, Alinéa et Camaïeu, percutés par la crise, le groupe Etam et Histoire d’Or nourrissent toutes les inquiétudes. « Certaines entreprises sont au bord du point de rupture, en particulier les enseignes de taille moyenne », relève Jean-Marc Jestin, président du directoire de Klépierre, qui compte 140 centres commerciaux dans l’Hexagone. La foncière a elle-même dû abandonner dans la crise, l’an passé, 250 millions de chiffres d’affaires en Europe.
« On est dans le flou »
Pour l’heure, face à ces demandes pressantes, le gouvernement ne sort du bois qu’avec une prudence de Sioux. « On est dans le flou, s’inquiète Jean-Charles Vogley, secrétaire général adjoint de la Fédération de l’ameublement (Fnaem). Nous ne pouvons que travailler sur des hypothèses, faute de directives précises. » Les différences d’approche à la tête de l’Etat ne favorisent pas une clarification. « Matignon a les yeux rivés sur les indicateurs sanitaires et nourrit des inquiétudes pour l’été, alors que le président de la République, lui, perçoit la lassitude et la déprime des Français, explique un proche du pouvoir. Bercy, pour sa part, se montre moins vocal ces derniers temps pour faire valoir le risque économique, malgré l’affaiblissement dramatique d’entreprises comme Accor et Airbus ».
Résultat, les règles de réouvertures ne se dessinent qu’en mode pixellisé : dispositifs différents selon les territoires ; jauges qui iraient en s’accroissant si la pandémie cède du terrain ; ouverture progressive des salles de restaurants…
Protocoles endurcis
Dans cette navigation à vue, les filières abîmées par les confinements avancent leurs propres solutions. Pour l’évènementiel, le groupe de communication Hopscotch et le cabinet de conseil technique Socotec, déjà alliés lors de la dernière rencontre d’été du Medef, commercialisent depuis quelques jours le service « meeting ready », qui propose des protocoles sanitaires ad hoc dans les lieux de rassemblement du public.
Le rehaussement d’un cran des barrières sanitaires est aussi envisagé. Dans ses centres commerciaux, Klépierre propose de passer à 15m2 par personne, contre 10 m2 lors du dernier déconfinement. Les cinémas sont prêts, eux, à organiser une jauge à 35% par salle, avant de passer à 65% trois semaines plus tard, si la situation sanitaire s’améliore. « Il faut que tous les secteurs qui ont été fermés puissent recommencer à travailler, même si ce n’est pas en pleine activité », plaide Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF).
Stop au « Stop & Go »
Pour y parvenir, grands groupes et PME envisagent de prendre leur part dans la vaccination. « Mais dans la pratique, ce n’est pas évident, constate Jean-Charles Vogley. 85% de nos adhérents sont des TPE et dépendent donc de centres interprofessionnels de médecine du travail, avec lesquels ils n’entretiennent pas des contacts étroits. Et cette médecine du travail dépend de toute façon des doses disponibles ».
Les entreprises sont ainsi lancées dans la quête d’une martingale, de nouveaux invariants dans leurs organisations qui permettraient non seulement de se relancer, mais aussi de passer les éventuelles prochaines vagues épidémiques. « On ne peut pas continuer avec des stop-and-go, tranche Geoffroy Roux de Bézieux. Il faut recourir pleinement à toutes les solutions qui permettent de vivre et de travailler avec le virus. »
Aide au redémarrage
D’accord pour un rythme de croisière ralenti, donc, mais à condition que les dispositifs d’aides ne soient pas débranchés brutalement. « Il faut réduire le ‘quoiqu’il en coûte’, mais à due proportion de la reprise autorisée par la situation sanitaire », prévient le président du Medef. « Il est indispensable de maintenir des aides jusqu’à la fin de l’année, pour garantir aux TPE et PME les moyens de leur redémarrage », précise Stéphanie Pauzat, vice-présidente déléguée de la CPME. La proposition d’Elisabeth Borne, sur le chômage partiel aura donc du mal à passer. La ministre du Travail envisage de retirer la couverture à 72% du salaire (contre 84% aujourd’hui), cela dès juillet, tout en faisant grimper la facture à charge des entreprises à 40% (contre 15% aujourd’hui).
En revanche, parmi les mesures livrées en pointillé ces dernières semaines, le maintien des prêts garantis par l’Etat jusqu’à la fin de l’année est salué par les organisations patronales. Idem pour le déblocage par Bruno Le Maire, ce 26 avril, de 11 milliards d’euros de prêts participatifs pour consolider les fonds propres des entreprises.
La grande bataille de l’international
Le Medef et la CPME souhaitent aussi des effacements ciblés d’ardoises fiscales et sociales, sous le regard, par exemple, de la médiation du crédit qui dépend de la Banque de France. « Nous ne sommes pas, en revanche, favorables à une annulation généralisée, explique Stéphanie Pauzat. C’est une question de crédibilité : une dette est faite pour être remboursée ». L’organisation préfère la création d’un « prêt de consolidation » – une enveloppe dans laquelle les directeurs financiers glisseraient leurs dettes Covid, afin de les rééchelonner sur dix ans. « Il est indispensable de redonner de l’oxygène aux entreprises pour qu’elles repartent de l’avant », insiste Stéphanie Pauzat.
Car la bataille de la relance promet d’être rude et de s’étendre bien au-delà de l’Hexagone. C’est dans le vaste monde que les entreprises espèrent capter la croissance qui fera défaut en Europe. « Il est impératif de bâtir des corridors « business » et de mettre en place des passeports vaccinaux pour les voyages d’affaires, préconise Gilles Bonnenfant, président d’Eurogroup. Les premiers arrivés sur les zones où l’économie est repartie, singulièrement en Asie, emporteront les contrats. Les Allemands mais aussi les Néerlandais et les Belges, sans parler des Britanniques, l’ont bien compris. Nous avons déjà trop tardé. »
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