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Publié le : 23/04/2021 – 18:55
L’annonce par Moscou, mercredi, de son intention de lancer son propre projet de station spatiale a fait sensation. Mais il ne faut pas y voir seulement l’expression, dans l’espace, des tensions sur Terre entre la Russie et l’Occident.
Pour le spationaute français Thomas Pesquet, qui s’est envolé vers la Station spatiale internationale (ISS) vendredi 23 avril, c’est le début de l’aventure. Pour Moscou, l’ISS, c’est fini.
La Russie a annoncé mercredi qu’elle se retirerait de ce vaste programme de collaboration scientifique en 2025. Dans la foulée, elle construira sa propre station spatiale, avec pour objectif de la mettre en orbite en 2030, a précisé le porte-parole de Roscosmos, l’agence spatiale russe.
Penser l’après-ISS
« C’est une déclaration politique importante qui a eu un fort retentissement dans la communauté internationale », reconnaît Tomas Hrozensky, chercheur associé à l’Institut européen de politique spatiale, contacté par France 24. Difficile, en effet, de ne pas y voir l’extension du domaine des tensions entre la Russie et l’Occident à l’espace. L’ISS résistait à toutes les turpitudes des relations américano-russes depuis sa naissance en 1998 et représentait un symbole de la collaboration possible entre les grandes puissances.
Pourtant, pour plusieurs experts interrogés par France 24, dont Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherche au Centre Alexandre Koyré et spécialiste des politiques spatiales au CNRS, cette décision russe « repose avant tout sur des considérations beaucoup plus pragmatiques ».
L’ISS arrive, en effet, en fin de vie. Théoriquement, le programme devrait s’achever en 2025, et même s’il était encore prolongé de quelques années, « les États-Unis finiront par l’arrêter, car ils sont lancés dans leur propre projet de nouvelle station spatiale autour de la Lune (Lunar Gateway) », précise l’experte du CNRS.
Que faire alors de ce gros machin de plus de 420 tonnes, en orbite à 408 km au-dessus de la Terre ? La Station spatiale internationale ne va pas disparaître du jour au lendemain, et elle engendrera « des frais d’entretien puis de désorbitage des modules auxquels la Russie ne veut pas forcément participer », explique Isabelle Sourbès-Verger.
L’émergence « de nouveaux acteurs du secteur privé qui sont capables avec leur fusée d’envoyer des individus dans l’espace a aussi ajouté une épine dans le pied des Russes », précise Tomas Hrozensky. Pendant des années, la fusée russe Soyouz avait le monopole des vols habités vers l’ISS et faisait payer le voyage. Mais ce n’est plus le cas, comme l’illustre la mission à laquelle participe Thomas Pesquet… Le spationaute français et ses coéquipiers se sont envolés à bord d’un engin construit par SpaceX, la société américaine du milliardaire Elon Musk. Une évolution qui rend beaucoup moins intéressante la participation russe au programme associé à l’ISS.
Mais pourquoi ajouter à l’annonce du retrait celle de la construction d’une nouvelle station spatiale russe ? « Le problème pour Moscou est de ne pas disparaître de la scène médiatique spatiale. Les Russes, qui sont historiquement les maîtres du vol habité, ne veulent pas qu’on les oublie », souligne Isabelle Sourbès-Verger. « Il y a de moins en moins de programmes internationaux dans l’espace auxquels la Russie est associée en tant que partenaire majeur et on parle essentiellement des projets américains ou chinois », confirme Florian Vidal, chercheur à l’Ifri et auteur d’une note sur la politique spatiale russe parue en janvier 2021, contacté par France 24.
L’espace, enjeu politique majeur pour Moscou
Pour Moscou, c’est inacceptable. L’espace joue en effet un rôle politique majeur pour le président russe Vladimir Poutine. « C’est essentiel dans le récit que le pouvoir russe a mis en place. L’exaltation de la puissance spatiale titille la corde de la nostalgie de l’ère soviétique, quand le pays était à la pointe dans le domaine. À ce titre, la présence russe dans l’espace participe à un effort plus général de Vladimir Poutine visant à inscrire son action dans la continuité de cette époque », analyse Florian Vidal.
Mais ce n’est pas qu’une question de prestige. « Face au soft power américain et l’utilisation par la Chine de sa puissance économique pour étendre sa sphère d’influence, la Russie mise sur l’espace comme arme diplomatique », affirme le chercheur de l’Ifri. Et une station spatiale « made in Russia » pourrait être une carte intéressante à jouer. « Moscou pourrait s’en servir comme d’une main tendue vers certains pays qui n’ont pas les moyens financiers d’avoir des ambitions spatiales – comme la Corée du Nord ou certains pays d’Amérique du Sud – pour leur proposer une collaboration scientifique au sein de cette station spatiale », détaille Florian Vidal.
Encore faut-il arriver à la construire. « Il y a une sacrée différence entre annoncer un tel projet et le réaliser », confirme Tomas Hrozensky. Technologiquement, « ils ont les moyens de la construire et de la lancer d’ici 2030, mais la question est de savoir s’ils peuvent y allouer le budget nécessaire », estime Isabelle Sourbès-Verger.
La Russie a déjà un important module en chantier qui devait initialement être rattaché à l’ISS, mais qui pourrait, dorénavant, servir pour la nouvelle station spatiale. Mais tout le programme spatial russe ne tourne pas autour de ce projet. Les trois priorités russes à l’heure actuelle sont d’achever le cosmodrome de Vostochny, introduire une nouvelle génération de lanceurs et renforcer la constellation de satellites, détaille Florian Vidal dans sa note pour l’Ifri. Il risque d’y avoir des arbitrages budgétaires difficiles à faire pour un pays soumis à d’importantes sanctions économiques depuis 2014 qui pèsent sur ses finances.
Mais Moscou pourrait aussi choisir de s’associer à Pékin pour mener son projet à bien. « L’une des options serait en effet que la Russie décide de monter dans le train de la station spatiale que la Chine est déjà en train de construire », confirme Tomas Hrozensky. Auquel cas, la carte géopolitique spatiale commencerait à ressembler de plus en plus à celle de la Terre. Il y a déjà un projet de « station lunaire » qui associe Pékin et Moscou et ce renforcement, dans l’espace, des liens entre les deux puissances ferait écho au rapprochement terrestre entre Vladimir Poutine et Xi Jinping.
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