En 2020, une nouvelle classe de boursicoteurs est née. Sur les 6,1 millions de personnes qui se prennent encore au jeu du placement (soit 12% de la population), 3% se sont distingués par des comportements inédits, détaille une étude de l’observatoire BPCE, publiée le 14 avril.
Mûs par l’ennui et l’envie d’émotions fortes, limités dans leur consommation de plaisir, encouragés par leur épargne croissante, ces boursicoteurs-là sont des “néo-investisseurs” “opportunistes”, selon la terminologie de l’étude. Ils ont développé une nouvelle façon d’appréhender la Bourse : “Elle diffère manifestement du comportement de l’investisseur ‘bon père de famille’,” qui représente plus de la moitié des investisseurs, explique Alain Tourdjman, directeur des études et de la prospective chez BPCE.
Le bon père de famille et l’opportuniste
Le “bon père de famille”, c’est “l’investisseur patient” qui mise sur des placements à long terme. Il représente plus de la moitié des boursicoteurs (58%). A plus de soixante ans, retraité ou issu de CSP+, il ne vise pas les coups financiers : il a l’espoir que l’investissement de long terme lui versera des dividendes, et valorisera sensiblement ses actifs. Il détient des actions depuis plus de cinq ans, mais ne s’épuise pas à vendre ou acheter des titres à chaque frémissement de la conjoncture
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Le néo-investisseur, à peu de chose près, présente le même profil que cet investisseur pantouflard. Mêmes revenus du foyer – entre 2.500 et 5.000 euros brut par mois – même CSP+, même patrimoine relativement peu diversifié. Seulement, il est sensiblement plus jeune. 14% d’entre eux ont entre 18 et 29 ans (contre 5% chez les investisseurs “patients”), et 46% d’entre eux ont entre 30 et 60 ans (contre 43% chez les patients). Cette fraîcheur relative s’accompagne d’un nouvel éthos.
Génération désabusée
Les néo-investisseurs sont une génération désabusée. Pour Alain Tourdjman,“ils ont vu les effets de trois crashs économiques majeurs, en 2000, en 2008, et 2020, qui ont invalidé les stratégies de placements longs de leurs aînés”, balayant les investissements d’une vie dans des entreprises comme Alcatel, France Télécoms. Autrefois les fleurons d’une industrie française, certaines ont disparu, d’autres ont vu leur valeur s’effondrer de crise en crise. A la vue de l’évolution des grandes entreprises françaises, toute une génération a eu le sentiment d’avoir été dépossédée d’informations fiables sur les cours de Bourse.
Les néo-investisseurs sont ceux qui ont décidé de prendre leur parti de la volatilité des cours. Ils multiplient les achats et les ventes de titres – 9 sur 10 d’entre eux ont pratiqué les achats et ventes “allers-retours” dans les six derniers mois, selon l’étude – profitant des effets d’aubaine liés aux crises ou aux fluctuations liées aux décalages horaires. Ces profils sont aussi plus sensibles aux investissements alternatifs, comme les bitcoin et cryptomonnaies, les forêts, et les financements participatifs.
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Et ils deviennent de plus en plus nombreux. Ou plutôt, les investisseurs patients sont en train de rendre les armes : 15% d’entre eux prévoient de se débarrasser de leurs actifs, tandis que 45% des néo-investisseurs ont l’ambition d’investir de plus en plus. A leurs dépends, car ces boursicoteurs sont moins versés dans la maîtrise des produits financiers. Les données collectées estiment que les néo-investisseurs jouent 10.000 euros en Bourse en moyenne, contre 6.500 euros en moyenne pour les « patients », a priori mieux informés.
GameStop en France ?
Plus proactifs, plus attentifs aux fluctuations du marché, ces boursicoteurs-là sont-ils les mêmes que ceux qui, aux Etats-Unis, ont fait trembler Wall Street en investissant massivement dans l’entreprise de jeux vidéos GameStop, en février ? A priori, non, mesure Alain Tourdjman.
Ceux qui ont mis le feu à la scène financière américaine sont des geeks de la finance, qui s’échangent leurs bons plans sur le forum Reddit, rappelle un article des Echos. Leur conscience de classe, c’est de faire la nique aux hedge funds. “Les opérateurs boursiers bénéficient de connaissances et d’un surcroît d’information manifeste qui a créé des frustrations chez ces actionnaires individuels”, analyse Alain Tourdjman. “Ils ont utilisé leurs propres armes – celles du plus grand nombre – pour faire face aux armes de la haute fréquence et des modèles”. Les actionnaires français, moins organisés, moins politisés, priorisent les valeurs sûres.
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Dans sa typologie, l’étude distingue deux autres types d’acteurs, en plus des patients et des néo-investisseurs. Les “experts”, qui représentent le noyau dur des investisseurs en Bourse, sont des roués de la finance. Ils maîtrisent les produits d’épargne et de placement, et investissent sensiblement plus que les autres. Et pour cause: il disposent de revenus importants (près de ⅖ d’entre eux disposent de plus de 5.000 euros par mois) et d’un patrimoine diversifié, ce qui leur permet de s’autoriser à prendre beaucoup plus de risques que les autres. Ils viennent majoritairement de CSP+, et ont majoritairement plus de 45 ans (71%). Enfin, les investisseurs potentiels (6%) sont ceux qui envisagent d’investir en Bourse sans l’avoir encore fait.
Où sont les femmes ?
A ce jour, les boursicoteurs restent majoritairement des hommes. Les femmes représentent au mieux 5% des investisseurs “bonnes mères de famille”, et 1% chez les experts. “La féminisation est relative, même si on observe de plus en plus de femmes chez les néo-investisseurs (4%)”, souligne Alain Tourdjman, de BPCE. Elles favorisent les comportements prudents, à niveau de patrimoine égal. “Les femmes ont moins la présomption de tout savoir que les hommes”, glisse l’analyste. Un excès de réalisme qui décourage la prise de risque ?
Plus globalement, le nombre de boursicoteurs connaît une inflexion positive après dix années de baisse consécutive. Les investisseurs représentent aujourd’hui 6;1 millions de personnes – contre le double en 2009. Un élément à lier à la baisse des taux, qui plombe les rendements des placements habituels, et à la croissance de l’épargne de précaution. La Banque de France prévoit 165 milliards d’euros d’épargne pour 2020-2021.
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