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La République Tchèque a accusé, samedi, les services militaires russes de renseignement (GRU) d’être à l’origine d’une explosion meurtrière dans un dépôt de munitions en 2014. Prague a même désigné une cellule très spécifique du GRU – l’unité 29155 – qui fait beaucoup parler d’elle depuis quelques années.
Jusqu’à récemment, l’explosion d’un dépôt de munitions en République tchèque, en 2014, était considérée comme un regrettable accident qui avait coûté la vie à deux personnes. Mais depuis samedi 17 avril, elle est au centre d’une nouvelle escalade des tensions entre l’Union européenne et la Russie.
Prague a en effet affirmé détenir des preuves impliquant les services russes de renseignement dans l’explosion et a fait expulser 18 diplomates russes accusés d’espionnage. La Russie a contesté dimanche les accusations et a expulsé, à son tour, vingt employés de l’ambassade tchèque à Moscou.
Lundi, c’est toute l’Union européenne qui risque de se retrouver entraînée dans ce bras de fer avec Moscou. Prague doit présenter au conseil européen des ministres des Affaires étrangères ses preuves du sabotage russe de l’entrepôt de munitions.
De la Moldavie à la République Tchèque, en passant par la Savoie
Les autres pays européens écouteront probablement avec beaucoup d’attention l’exposé tchèque. Car Prague affirme que les espions russes à l’œuvre sur son sol sont les mêmes qui ont été accusés d’avoir tenté d’empoisonner en 2018 l’ex-agent double Sergueï Skripal à Salisbury, lors d’un scandale qui avait profondément terni les relations russo-britanniques.
Des agents qui appartiennent à l’unité 29155, une branche très particulière du GRU, le service militaire de renseignement russe. Si la République tchèque a raison, l’explosion de 2014 deviendrait une nouvelle entrée dans le grand livre noir des méfaits de cette unité sur le sol européen.
Depuis l’affaire Skripal, des médias, comme le site d’investigation Bellingcat ou le magazine allemand Der Spiegel, et les autorités de plusieurs pays – notamment le Royaume-Uni, la Suisse et la Bulgarie – sont parvenus à relier plusieurs événements tragiques qui semblaient déconnectés les uns des autres aux activités de l’unité 29155.
Ces agents sont soupçonnés d’avoir organisé une opération de déstabilisation politique en Moldavie en 2016, d’avoir activement participé à une tentative de coup d’État proserbe au Monténégro la même année, et d’avoir essayé à deux reprises d’empoisonner un marchand d’armes hostile à Moscou en Bulgarie en 2015.
Des espions de l’unité 29155 ont aussi été repérés par les autorités espagnoles lors des manifestations de 2017 pour l’indépendance de la Catalogne. Ils auraient même établi une « base arrière » pour leurs opérations en Savoie, d’après une enquête du Monde, parue en décembre 2019.
De quoi donner l’impression d’une cellule ultramobile, capable d’être mobilisée à tout instant pour frapper n’importe où sur commande de Moscou. Ces agents ont été décrits par le New York Times comme des « soldats d’élite », aussi bien versés dans l’art de l’assassinat ciblé que dans les opérations de propagande politique, qui formeraient le bras armé de la « campagne de déstabilisation de l’Europe » de Moscou.
Une unité chargée de « faire le sale boulot »
Cependant, ce spectre d’une armée de l’ombre russe au cœur de l’Europe chargée de traquer et d’éliminer les ennemis de Moscou à l’étranger tend peut-être à surestimer leur pouvoir de nuisance. Ce sont, certes, des « soldats très bien entraînés qui sont tous passés par les Spetsnaz [les forces spéciales russes, NDLR] », confirme Mark Galeotti, spécialiste britannique des services russes de renseignement et directeur de Mayak Intelligence, un cabinet de conseil sur les questions de sécurité en Russie, contacté par France 24. Pour la plupart, ils se sont illustrés lors des guerres en Tchétchénie ou à l’occasion de l’invasion en Ukraine en 2014.
Mais c’est aussi une toute petite cellule. « Ils sont environ une vingtaine, les mêmes depuis la création de l’unité, qui remonte probablement à 2008 », note Gerhard Mangott, spécialiste des questions de sécurité en Russie à l’université d’Innsbruck (Autriche), contacté par France 24. « C’est peu comparé aux autres branches du renseignement russe », confirme Mark Galeotti.
Surtout, ce ne sont « probablement pas des superagents capables de tout faire comme on a pu le suggérer », affirme le directeur de Mayak Intelligence. Ce serait plutôt une unité « spécialisée dans le sabotage et l’assassinat, chargée de faire le sale boulot », souligne cet expert, auteur de plusieurs livres sur la question.
Autrement dit, Moscou ne les fait intervenir que lorsque « le résultat compte plus que la manière », note Mark Galeotti. Contrairement aux agents du FSB, principal successeur du célèbre KGB, ou du SVR (l’équivalent russe de la CIA), réputés pour leur discrétion, les membres de l’unité 29155 « ne font pas dans la finesse et, dans un esprit très militaire, ils vont tout mettre en œuvre pour atteindre leur objectif, quitte à ne pas être très subtils dans leur mode opératoire », explique-t-il.
C’est pour ça que leurs ratés, comme la tentative d’assassinat manquée contre Sergueï Skripal ou le coup d’État avorté au Monténégro, peuvent « apparaître comme peu professionnels et ont laissé des traces permettant de remonter jusqu’aux auteurs », ajoute Gerhard Mangott.
Mais au final, ces quelques échecs retentissants ont peu d’importance aux yeux de Moscou. D’abord, parce qu’on « ne sait pas combien d’autres missions ont été menées à bien », rappelle Gerhard Mangott. Et puis, même dans l’échec, cela permet à la Russie d’envoyer un signal aux autres puissances européennes. « C’est une manière de leur indiquer qu’elle peut agir sur leur sol’, affirme Mark Galeotti. Car il ne faut pas oublier, souligne cet expert, que « depuis 2014 [et l’invasion de la Crimée], la Russie estime être en conflit avec l’Occident ».
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