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Les raisons du regain du sentiment antifrançais au Pakistan

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Des partisans du parti islamiste radical Tehrik-e-Labbaik Pakistan (TLP) à Peshawar, dans le nord du Pakistan, lundi 19 avril 2021. Des partisans du parti islamiste radical Tehrik-e-Labbaik Pakistan (TLP) à Peshawar, dans le nord du Pakistan, lundi 19 avril 2021.

Au Pakistan, le sentiment antifrançais connaît une nouvelle poussée. A l’appel du parti islamiste radical Tehrik-e-Labbaik Pakistan (TLP), les deux plus grandes villes du pays, Lahore et Karachi, ainsi que la capitale, Islamabad, ont été partiellement bloquées la semaine dernière par des manifestations appelant les Français à quitter le territoire.

Dimanche 18 avril, onze policiers ont été pris en otage par des militants du TLP. Lundi, ils ont été libérés à l’issue de « négociations », sans que l’on connaisse leur objet, a annoncé le ministre de l’intérieur pakistanais, Sheikh Rashid Ahmed. En parallèle, une grève nationale en soutien au TLP a trouvé, dans la journée, un certain écho : les magasins et marchés de Lahore et Karachi étaient fermés et certains transports publics arrêtés.

  • Des relations tendues depuis l’automne 2020

Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter au 3 septembre 2020. La réédition des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, à l’occasion de l’ouverture du procès des attentats djihadistes de janvier 2015, avait alors provoqué une première manifestation au Pakistan. Deux mois plus tard, le 21 octobre, ce sont les propos d’Emmanuel Macron qui avaient relancé le mouvement de contestation. Ce jour-là, lors de la cérémonie d’hommage à Samuel Paty, l’enseignant décapité pour avoir montré à ses élèves des dessins de Charlie Hebdo, le chef de l’Etat avait déclaré : « Nous ne renoncerons pas aux caricatures ».

Alors que l’assassinat de Samuel Paty avait été condamné par plusieurs Etats musulmans, les mots du président français ont suscité un flot de réprobations, du Maghreb au Pakistan en passant par le Golfe Persique, et des appels au boycottage de produits français.

Le blasphème est une question très sensible au Pakistan, deuxième pays musulman le plus peuplé, avec près de 220 millions d’habitants, où même des allégations non prouvées d’offense à l’islam peuvent entraîner assassinats et lynchages. La représentation des prophètes est strictement interdite par l’islam sunnite. Ridiculiser ou insulter le prophète Mahomet est passible de la peine de mort dans certains pays musulmans, dont le Pakistan.

Le premier ministre pakistanais, Imran Khan, avait alors accusé Emmanuel Macron « d’attaquer l’islam ». Les autorités avaient convoqué l’ambassadeur français pour se plaindre d’une « campagne islamophobe systématique sous couvert de la liberté d’expression ».

Pour tenter d’apaiser les relations avec les pays musulmans, le locataire de l’Elysée avait accordé un long entretien, le 31 octobre 2020, à la chaîne qatarie Al-Jazira. Il s’était efforcé de « lever les malentendus » et d’expliquer le modèle universaliste français. « Notre pays est un pays qui n’a de problème avec aucune religion », avait-il assuré. Mais depuis, d’autres incidents ont pourtant assombri un peu plus l’entente franco-pakistanaise.

En novembre 2020, le Quai d’Orsay a fermement condamné les propos « détestables et mensongers » de la ministre des droits de l’homme pakistanaise, Shireen Mazari. Dans un tweet, elle avait en effet affirmé : « Macron fait aux musulmans ce que les nazis infligeaient aux juifs. » En février, le ministère des affaires étrangères a convoqué le chargé d’affaires de l’ambassade du Pakistan et appelé Islamabad à une « attitude constructive » à la suite de déclarations du président pakistanais, Arif Alvi. Ce dernier avait estimé que le projet de loi contre le « séparatisme » portait atteinte aux musulmans. « Changer des lois (…) pour isoler une minorité constitue un précédent dangereux », avait-il dénoncé.

La police tire des gaz lacrymogènes en direction de partisans du parti Tehreek-e-Labbaik Pakistan, lors d’une manifestation, à Karachi, le 19 avril 2021, après l’arrestation de leur leader. La police tire des gaz lacrymogènes en direction de partisans du parti Tehreek-e-Labbaik Pakistan, lors d’une manifestation, à Karachi, le 19 avril 2021, après l’arrestation de leur leader.
  • A cœur de la mobilisation, le parti Tehrik-e-Labbaik

Depuis six mois, le TLP ne cesse d’attiser le sentiment antifrançais dans le pays. Il s’agit d’un parti islamiste radical, créé en 2015, dont la seule revendication porte sur la lutte contre le blasphème et ceux qui s’en rendraient coupables. Pour mettre fin à la première série de manifestations hostiles à la France, à l’automne 2020, le gouvernement Khan a annoncé un boycottage des produits français et promis, selon le TLP, de faire adopter une résolution parlementaire ordonnant le départ de l’ambassadeur de France au Pakistan. Cette démarche était supposée aboutir d’ici au 20 avril.

C’est justement pour réclamer cette expulsion que Saad Rizvi, le chef du TLP, a appelé à une marche, ce jour-là, à Islamabad. Mais la situation s’est envenimée : lundi 12 avril, Saad Rizvi a été arrêté, jetant des partisans du TLP dans les rues. Ces manifestations ont été violemment réprimées par la police, faisant six morts du côté des forces de l’ordre, tandis que le TLP affirme que plusieurs de ses sympathisants ont été tués.

Jeudi 15 avril, trois jours après l’arrestation de Saad Rizvi, le ministre de l’intérieur pakistanais, Sheikh Rashid Ahmed, a fait interdire le parti. Le premier ministre, Imran Khan, a invoqué une loi contre le terrorisme pour justifier cette décision, déclarant qu’il fallait « protéger la population » contre les agissements de cette formation.

« Le TLP était passé maître dans l’art de provoquer des agitations sur la voie publique, en prétendant défendre l’honneur du prophète. Mais les manifestations de ces derniers jours n’étaient pas bonnes pour l’image du Pakistan sur la scène internationale », note Mohammad Waseem, professeur à la faculté des sciences sociales de Lahore, interrogé par Le Monde.

  • La position ambiguë du gouvernement pakistanais

Après une semaine de manifestations, le premier ministre s’est exprimé sur Twitter, samedi 17 avril. « Nous, Musulmans, avons le plus grand amour et respect pour notre prophète. (…) Nous ne pouvons pas tolérer ce genre de manque de respect et d’abus », a-t-il écrit, estimant qu’insulter Mahomet était aussi répréhensible que le déni de la Shoah.

M. Khan a en outre suggéré que le gouvernement n’avait pas décidé d’interdire le TLP en raison d’un désaccord sur ses motivations, mais plutôt sur ses méthodes. « Laissez-moi être clair avec les gens ici et à l’étranger : notre gouvernement a pris des mesures contre le TLP en accord avec notre loi antiterroriste, car il a défié l’autorité de l’Etat, en utilisant la violence de rue et en attaquant les forces de l’ordre », a-t-il tweeté. Lorsqu’il était dans l’opposition, le Mouvement du Pakistan pour la justice de M. Khan avait « apporté son soutien au Tehrik-e-Labbaik, en 2017, quand ce parti extrémiste avait orchestré des manifestations du même type à Islamabad », rappelle M. Waseem.

C’est dans ce contexte que l’ambassade de France, autour de laquelle la sécurité a été renforcée, a recommandé, jeudi 15 avril, à ses ressortissants et aux entreprises françaises « de quitter provisoirement » le Pakistan, en raison des « menaces sérieuses » qui y pèsent sur les intérêts français. Un appel qui semble pour le moment largement ignoré.

En 2020, au Pakistan, 445 personnes étaient inscrites sur le registre des Français résidant dans le pays. L’inscription n’est toutefois pas obligatoire et ce chiffre ne reflète donc pas forcément le nombre exact de Français y vivant. Selon l’ambassade, trente-cinq entreprises françaises y sont présentes, essentiellement de grands groupes actifs dans les secteurs de l’énergie, de l’industrie pharmaceutique, de la distribution, du transport maritime et du bâtiment public.

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