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Gel: quand la nature régule les stocks de vin

Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, qui sait de quoi il parle en tant qu’ingénieur agronome, a été le plus alarmiste pour décrire les conséquences de l’épisode de gel qui a touché la France la semaine dernière. « C’est probablement la plus grande catastrophe agronomique de ce début de XXIe siècle ». Il a toutefois refusé d’estimer le montant des dégâts, en assurant qu’ »en terme d’argent ce sera très significatif ». « Dix régions sur treize ont été touchées, pas loin de 80% des cultures », dit-il.  

Il a convoqué une réunion de crise le 12 avril avec les représentants des producteurs de vin, de fruits, de légumes et céréales ainsi que les assureurs, les banques, les chambres d’agriculture, la sécurité sociale agricole, la MSA et des représentants des différents ministères. Déjà, le Premier ministre Jean Castex avait promis « des enveloppes exceptionnelles » deux jours plus tôt, lors d’un déplacement en Ardèche en promettant de déplafonner les fonds du régime d’indemnisation des calamités agricoles.

Le gel pourrait être couvert par les assurances privées  

Les images spectaculaires et saisissantes de bourgeons de vignes entourés de glace ou même irrémédiablement noircis par la brûlure du froid ont fini de compléter le tableau de ce désastre agricole et financier. Le gel étant un aléa susceptible d’être couvert par

les polices d’assurance des cultivateurs, il ne relève théoriquement pas des fonds publics, mais comme en réalité plus des deux tiers d’entre eux ne peuvent ou ne veulent pas souscrire de telles garanties, les pouvoirs publics ont promis de débloquer des fonds exceptionnels.  

Pas question de minimiser les difficultés rencontrées par les viticulteurs. Mais il est quand même important de se souvenir qu’au moment où une partie encore non quantifiée de la production a disparu, les chais des vignerons français sont pleins à craquer. Les équipes des chaînes télévisées d’information continue ont fort justement diffusé les images de vignes gelées mais aucune n’a eu la curiosité d’aller filmer les entrepôts et chais. Et là c’est le trop-plein. A tel point que depuis la vendange d’août dernier, on y manque de place et de contenants.

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Certes, il apparait aujourd’hui que la production de vin de l’année 2021 sera très basse à cause du gel, mais il faut se souvenir qu’il y a quelques semaines seulement, les professionnels s’alarmaient d’avoir sur les bras l’équivalent d’une année de production, parfois plus, selon les régions. Une situation tellement critique qu’on en appelait alors aux pouvoirs publics pour débloquer des aides à la distillation, une partie de ces stocks a d’ailleurs pu être utilisée pour produire du gel hydroalcoolique.

La bouteille à 1,69 euro chez Lidl

Au mois d’août dernier, on a même entendu d’éminents professionnels viticoles bordelais émettre l’idée d’arrachage (un mot tabou dans le milieu) d’hectares de vigne pour stopper la surpoduction en attendant d’écouler les stocks. Autre preuve de ce phénomène, deux semaines seulement avant ce gel funeste, les professionnels de la vigne étaient en train de se désoler que l’on puisse trouver des bouteilles de Bordeaux à 1,69 euro pièce chez Lidl lors de sa foire aux vins de printemps. Il est quand même assez rare de voir en France le vin vendu moins cher que le vinaigre! Mais on en était là, et cela va changer.

Les raisons de ces méventes et de la chute des cours qui en découle sont bien connues : les taxes américaines sur le vin décidées par Donald Trump en réaction aux aides européennes accordées à Airbus, la fermeture des bars, hôtels et restaurants en France et en Europe, la disparition des commandes de bouteilles par les compagnies aériennes, la chute des marchés asiatiques. En 2020, les ventes de vins rosés, jusque là les plus dynamiques, ont été divisées par trois ! Manque de chance, la Nature n’avait pas aidé puisqu’une météo particulièrement clémente avait permis des vendanges qui sans être exceptionnellement abondantes se situaient dans la bonne moyenne de la décennie.

Une régulation naturelle

Voilà qu’aujourd’hui cette même Nature se propose, grâce à un gel d’avril assez rare au sud de la Loire, d’offrir une solution aux sur-stocks et à deux années de mauvaises ventes et de baisses des cours. N’importe quel économiste verrait cette régulation comme une bénédiction. On va éviter de brader la marchandise dans le hard discount, voire de la mettre au caniveau pour libérer de la place avant l’été ! Seul problème, les producteurs n’ont plus un sou. Leurs caves sont remplies mais leurs porte-monnaies désespérément vides. Et à quelque mois d’élections régionales puis présidentielle et législative, le gouvernement sera particulièrement compréhensif. Voilà pourquoi, ce gel va être une double chance pour les viticulteurs français. Il risque de leur éviter d’être complètement noyés sous leur production, éloigner les mesures brutales d’arrachage et tenu pour la cause de tous les maux des professionnels, il va permettre des indemnisations qu’on n’aurait pas osé débloquer sans lui.  

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