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« On a un président qui nous parle d’huile, de viande et de semoule », se désole Hafid. Dans sa ferme de l’est de l’Algérie, ce petit éleveur commente les déclarations faites par Abdelmadjid Tebboune lors d’un entretien diffusé le 4 avril par la télévision publique. Alors que le mois de ramadan doit débuter mardi 13 avril, le chef de l’Etat a assuré que les produits alimentaires seraient disponibles. Il a aussi mis en garde les spéculateurs, accusés ces dernières semaines d’avoir provoqué l’envolée des prix de certains produits de base, dont l’huile.
Des propos qui n’ont pas vraiment rassuré : le pays connaît depuis plusieurs mois une situation socio-économique difficile et c’est avec appréhension que les Algériens entament ce mois de jeûne, synonyme de réunions familiales quotidiennes. « Ce n’est pas au moment du ramadan que je vais me restreindre », explique Hafid en citant les dépenses supplémentaires pour les différents plats – dattes, lait fermenté, fruits secs, fromage… – qui garniront la table familiale lors de la rupture du jeûne. « Heureusement j’ai mes moutons, donc je n’aurai pas à acheter de viande importée », ajoute l’éleveur.
Car après l’huile, c’est la hausse des prix de la viande qui a offusqué les consommateurs et mené à de nombreux appels au boycott de ce produit. Pour tenter de réduire les tarifs, les autorités ont procédé, début avril, à la délivrance d’autorisations exceptionnelles pour l’importation de viande rouge congelée en provenance d’Espagne. Et pour lutter contre les pratiques spéculatives, le gouvernement compte déployer 20 000 agents de contrôle à travers le territoire.
La hausse des prix à la consommation, traditionnelle au moment du ramadan, s’explique par plusieurs facteurs. « La crise du Covid-19 a eu des répercussions sur les entreprises, les réseaux de production et de fabrication. La dévaluation du dinar a aussi pesé sur le pouvoir d’achat des citoyens », indique Hadj Tahar Boulenouar, le président de l’Association nationale des commerçants et artisans. La perte de valeur de la monnaie algérienne par rapport aux monnaies de référence que sont le dollar et l’euro pousse à la hausse les prix des importations en devises étrangères. Une tendance qui se répercute directement sur les prix à la consommation, alors que « plus de 70 % » des besoins des ménages « dépendent des importations », expliquait en décembre l’économiste Smaïl Lalmas au quotidien El Watan.
Près de 500 000 emplois perdus
En Algérie, le taux d’inflation moyen annuel a atteint 2,6 % à la fin janvier 2021. Une inflation « maîtrisée par rapport à ce qui se passe ailleurs dans le monde », soutient le ministre des finances, Aymen Benabderrahmane, promettant un « regain » de la monnaie nationale avant la fin de l’année grâce au « lancement de plusieurs projets de développement » qui permettront, selon lui, une reprise de l’activité économique. Une perspective loin d’être acquise. « L’appréciation du dinar ou sa dépréciation sera fonction du taux de croissance réel, des indicateurs macrofinanciers et économiques, de la stabilité juridique, institutionnelle et politique », prévient l’économiste Abderrahmane Mebtoul, alors que des élections législatives sont prévues en juin.
Certains indicateurs ont déjà viré au rouge. Ainsi, depuis le début de la crise sanitaire, près de 500 000 emplois ont été perdus, selon les premières estimations faites en décembre par les autorités algériennes. Rien que dans le secteur du BTP, le pays enregistre une perte de 150 000 postes, a révélé Mouloud Khaloufi, le président de l’Association générale des entrepreneurs algériens, au site d’information TSA. « Plus de 70 % des entreprises sont en difficulté et fonctionnent à moins de 50 % de leurs capacités », précise M. Mebtoul.
Ce mois de ramadan pourrait aussi pâtir d’une autre crise : celle de l’eau, dont le rationnement, d’abord nié par les autorités, agace les usagers. A Bordj El Kiffan, dans la banlieue est d’Alger, des dizaines d’habitants ont bloqué, le 5 avril, la route nationale qui traverse la commune ainsi que les lignes de tramway, pour exprimer leur ras-le-bol. « L’eau est coupée dès le début de soirée jusqu’au lendemain matin, mais parfois les coupures ne se font pas à heures fixes. Du coup, on ne peut pas s’organiser », explique Latifa, une résidente du centre-ville d’Alger, inquiète pour les semaines à venir.
Le 22 mars, le directeur général de l’Algérienne des eaux, Hocine Zaïr, a prévenu que le pays se dirigera vers « une réduction des plages horaires de distribution », avec la possibilité de passer à une distribution « un jour sur deux », si les réserves d’eau ne se reconstituent pas. L’Algérie est confrontée à un stress hydrique important, avec une baisse de la pluviométrie et un taux de remplissage des barrages à 44 %, a fait savoir le responsable.
Solidarité communautaire
Face à la polémique, le ministre des ressources en eau, Mustapha Kamel Mihoubi, a assuré du « maintien de l’approvisionnement de la population d’une façon continue durant le mois de ramadan ». Mais dans la capitale, de nombreux habitants, peu confiants, ont déjà pris leurs dispositions et fait réviser leur citerne ou installer de nouveaux réservoirs, qu’ils placent sur les balcons ou les toits des immeubles.
Quant aux habitants des petites localités qui ne sont pas raccordées à l’eau courante, ils comptent depuis de nombreuses années sur la solidarité communautaire. Dans sa ferme, Hafid a fait creuser un réservoir souterrain pouvant contenir des centaines de litres. « Dès que j’ai besoin de le remplir ou d’irriguer mes arbres, j’appelle mon voisin et cousin, qui dispose d’un puits, explique-t-il. J’ai fini par installer des tuyaux qui sont directement raccordés à son bassin et je le paie à l’heure pour compenser la consommation électrique de la pompe à eau. »
Quand il n’y a pas de puits domestique, les habitants se voient dans l’obligation de payer des particuliers, qui les approvisionnent via des citernes, ou font des kilomètres pour remplir leurs bidons depuis les sources communales.
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