« L’industrie est le premier secteur à être reparti, constate Bruno Cavalier, économiste à Oddo BHF. Mais les usines n’ont pas été détruites, elles ont juste été fermées. Une fois les goulets d’étranglement résorbés, l’offre s’ajustera à la demande, la tension sur les prix des matières premières et de certains biens industriels devrait retomber. » D’ailleurs, les prix à la production chinois (sortie d’usine) sont plutôt orientés à la baisse sur un an (- 1,5 % en mars).
Pourtant, pendant que les industriels s’alarment de voir leurs marges rognées par cette flambée des prix, Wall Street se fait aussi du mouron. L’indice Dow Jones plane à des niveaux stratosphériques et certains investisseurs craignent qu’une remontée des taux d’intérêt, visant à freiner l’envolée des prix, entraîne une chute des marchés actions et un dégonflement de la bulle immobilière. D’autres ont peur que la Re-serve fédérale ne réagisse pas assez vite pour casser les anticipations inflationnistes. Jerome Powell, président de la Fed, s’évertue à tous les rassurer : »Nous nous attendons à ce que l’inflation augmente au cours de l’année, mais elle ne sera ni particulièrement importante ni persistante » , a-t-il déclaré le 22 mars lors de son audition à la Chambre des représentants. Ajoutant : »Nous avons les outils nécessaires pour faire face à cette situation, si elle devient problématique. »
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Trois indicateurs sont surveillés pour anticiper les tensions inflationnistes : l’injection massive de liquidités dans l’économie, notamment aux Etats-Unis, la flambée des prix des matières premières et les cours du fret maritime qui explosent.
Scénario noir
Pas sûr que ces déclarations suffisent à désamorcer les critiques de Larry Summers, ex-secrétaire au Trésor des Etats-Unis sous la présidence Clinton, contre l’administration Biden, coupable, selon lui, d’appliquer la politique macroéconomique »la moins responsable » depuis quatre décennies. D’après lui, le programme Biden pourrait entraîner l’économie américaine dans une spirale inflationniste, couplée à une hausse vertigineuse des taux d’intérêt. Provoquant un alourdissement du coût de la dette, alors que les Etats s’endettent actuellement à des taux nuls, voire négatifs.
Force est de constater qu’en additionnant les 1 900 milliards de ce plan à celui de 900 milliards adopté en décembre 2020, le soutien public à l’économie américaine représente 13 % du PIB. Sans compter les 2 000 milliards de dollars du vaste plan d’infrastructures que le président américain vient d’annoncer. Du coup, Olivier Blanchard, ex-chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), s’inquiète lui aussi d’un potentiel dérapage inflationniste comparable à celui des années 1960-1970 (lire page 60).
Tous les économistes ne partagent pas les scénarios noirs du tandem Summers-Blanchard. »Leur approche suppose une forte reprise de la consommation, une fois toute l’économie rouverte et la mise en route d’une boucle entre l’augmentation des prix et celle des salaires » , note Ludovic Subran. En outre, ce genre de phénomène ne se produit pas du jour au lendemain. Comme l’a souligné le Nobel d’économie Paul Krugman sur Bloomberg TV : »Les gens ne vont pas se réveiller un matin en se disant “tiens l’inflation est de retour, je vais anticiper 10 % de hausse des prix !” »
Tandis que Kenneth Rogoff, ex-chef économiste du FMI, observe : »Lorsque l’inflation avait atteint deux chiffres au sein de nombreux pays riches dans les années 1970, cette forte augmentation s’était étalée sur plusieurs années. » Autre différence : les banques centrales ne disposaient pas du même arsenal qu’aujourd’hui pour contrecarrer l’inflation. Mais, surtout, le monde a radicalement changé. Les pressions déflationnistes structurelles – la numérisation de l’économie et l’effet de la mondialisation des salaires -qui s’exercent depuis la crise de 2008 n’ont pas disparu par magie avec la pandémie.
Enfin, ce débat sur le retour de l’inflation est pour le moment plus américain qu’européen. »Historiquement, la corrélation entre l’inflation aux Etats-Unis et dans la zone euro est raisonnablement élevée à cause de facteurs communs tels que les chocs pétroliers. Mais, cette fois, il s’agit du stimulus fiscal surdimensionné aux Etats-Unis, qui est spécifique à ce pays » , estime Lorenzo Codogno, professeur à la London School of Economics. Et surtout, de ce côté-ci de l’Atlantique, les vicissitudes des politiques vaccinales sont plus inquiétantes pour la reprise de l’économie que l’évolution de l’indice des prix. Et même si, comme le prévoit le consensus, l’inflation en zone euro pourrait se rapprocher des 2 %, en glissement annuel, courant 2021, ce ne serait pas la fin du monde.
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Le plan Biden peut créer une spirale inflationniste
Certains économistes, dont je suis, sont d’accord avec la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, sur la nécessité de sortir le grand jeu en matière de relance économique. Mais ils ont des doutes quant à la taille du plan d’aide de l’administration Biden et s’interrogent sur ses conséquences inflationnistes.
Si l’on ajoute ce programme de 1 900 milliards de dollars, adopté début mars à celui de 900 milliards de décembre 2020, l’effort budgétaire total atteint 2 800 milliards de dollars. En prenant un coefficient multiplicateur de la demande de 0,3, ces mesures de relance comblent la perte e production due à la pandémie, soit 900 milliards. Il n’y a plus aucune raison de s’inquiéter. En revanche, avec un multiplicateur de 1, ces programmes combinés génèrent une demande additionnelle de 2 800 milliards, ce qui risque d’entraîner une très forte surchauffe de l’économie.
Ceux qui défendent sans restriction cette relance massive font valoir que même en cas de surchauffe économique importante, celle-ci n’entraînerait pas une inflation élevée et n’obligerait donc pas la Fed à augmenter les taux d’intérêt de façon spectaculaire. Même en prenant des estimations les plus pessimistes d’Emi Nakamura, professeur à Berkeley, l’augmentation de l’inflation ne serait que d’1,25 %, ce qui n’est pas catastrophique.
Durant les dernières années, les anticipations d’inflation des agents économiques étaient rigides, insensibles aux mouvements de très court terme des prix.
Elles restaient ancrées à l’objectif d’inflation de la banque centrale. Mais en cas de surchauffe de l’économie, ces anticipations pourraient se désancrer. Dans ce cas, le taux d’inflation pourrait être beaucoup plus fort, comme dans les années 1960. De 1961 à 1967, les administrations Kennedy et Johnson ont fait tourner l’économie au-dessus de son potentiel de croissance, ce qui a fait chuter le taux de chômage à moins de 4 %. Dans le même temps, l’inflation a légèrement augmenté à moins de 3 %. Ce qui laissait penser qu’il existait un compromis permanent entre inflation et chômage. Mais, en 1967, les anticipations d’inflation se sont ajustées à la hausse.
Résultat : en 1969, le taux d’inflation a atteint près de 6 %. Et les politiques fiscales et monétaires se sont resserrées, entraînant une récession entre fin 1969 et fin 1970. »
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