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Les Tchadiens sont appelés aux urnes dimanche pour élire leur président, mais le scrutin ne passionne guère les foules dans ce pays parmi les plus pauvres de la planète. Face à des candidats sans aucun poids politique, Idriss Déby, homme fort du pays et allié « encombrant » des occidentaux dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, devrait être reconduit pour un sixième mandat.
La victoire ne peut pas lui échapper. Le maréchal-président Idriss Déby Itno, qui exerce un pouvoir sans partage depuis trente ans au Tchad, brigue dimanche 11 avril un sixième mandat. Après avoir écarté, parfois violemment, les rares ténors d’une opposition très divisée qui pouvaient lui faire un peu d’ombre, le président sortant sera opposé à six candidats.
Il suffit de parcourir les rues de N’Djamena pour se convaincre de cette victoire. La grande majorité des habitants semblent se désintéresser d’un scrutin « joué d’avance » et tentent péniblement de joindre les deux bouts, entre deux coupures d’électricité et d’eau, parfois plusieurs jours d’affilée. La capitale est littéralement recouverte d’affiches à la gloire de « IDI », son parti et sa multitude de mouvements satellites, rivalisant par la taille extravagante de leurs panneaux.
En revanche, il faut rouler de longues minutes pour apercevoir quelques affichettes de ses rivaux.
Depuis plusieurs mois, le régime interdit systématiquement les « marches pacifiques pour l’alternance » que tentent d’organiser chaque samedi les partis d’opposition les plus virulents. Et la redoutable police anti-émeutes, le GMIP, disperse manu militari chaque début de rassemblement, lesquels n’attirent pas plus que quelques dizaines de convaincus ou téméraires.
« Cela ne vaut pas la peine d’aller voter »
Dans la capitale N’Djamena, ni l’approche du scrutin, ni les 43 degrés qu’affiche le mercure ne semblent troubler le ballet des innombrables moto-taxis et des chariots de marchands ambulants sur les grands axes littéralement recouverts d’un sable très fin.
Au petit marché du quartier défavorisé de Gassi, dans le brouhaha des engins qui broient le maïs pour en tirer la farine servant à confectionner la boule, le plat national, la plupart des gens ne savent même pas qui sont les autres candidats. Ou pensent, à l’unisson de l’opposition dure, qu’il s’agit de simples « faire-valoir » inoffensifs et tolérés par le pouvoir, voire manipulés par lui.
Il y a deux mois encore, quinze partis d’opposition regroupés dans une Alliance victoire propulsaient un « candidat unique » face à Idriss Déby, avant de voler en éclat. Ce sont finalement dix-sept prétendants qui se sont avancés pour défier le maréchal.
La Cour suprême a invalidé sept candidatures. Puis trois candidats, dont le rival « historique » Saleh Kebzabo, se sont retirés pour protester contre les violences et appellent au boycott du scrutin, mais la Cour a maintenu leurs noms sur les bulletins de vote qui affichent donc dix candidats.
Six seulement défieront donc le président : Félix Nialbé Romadoumngar, Albert Pahimi Padacké, Théophile Yombombe Madjitoloum, Balthazar Alladoum Djarma, Brice Mbaïmon Guedmbaye et, première femme candidate de l’histoire du Tchad : Lydie Beassemda.
« Je n’en connais aucun, à part Pahimi et Déby. Si ça doit être Déby, alors OK s’il a la volonté de reconstruire le pays, mais si c’est le même, alors ça ne vaut pas la peine d’aller voter », lâche Abdel, 34 ans, dans sa petite échoppe de pièces détachées de moto au marché de Gassi.
« Je ne les connais pas, mais je ne pourrais pas voter Déby et tous les autres candidats sont dans son camp », renchérit une jeune infirmière de Gassi.
>> À (re)voir sur France 24 : LE DÉBAT – Indépendance du Tchad : 60 ans après, quel bilan ?
Human Rights Watch (HRW) a accusé jeudi les forces de sécurité de mener « une répression implacable ». Et début mars, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres avait regretté « le recours à la violence » contre l’opposition.
Pouvoir absolu
Mais rien n’y fait, le maréchal Déby fait campagne principalement sur la « paix et la sécurité » dont il dit être l’artisan, dans son pays mais aussi dans une région tourmentée par le terrorisme dans le Sahel : le Tchad, est un contributeur de poids à la guerre contre les jihadistes, en projetant ses troupes aguerries jusqu’au Mali et parfois au Nigeria.
Son régime est régulièrement accusé par les ONG internationales de violer les droits humains. Ce fut le cas notamment dans les années 1990 quand sa « Garde républicaine » et sa police politique étaient accusées de tuer à grande échelle.
Aujourd’hui, les méthodes sont moins brutales. Mais, s’il laisse certains de ses opposants s’exprimer relativement librement, ses services veillent consciencieusement à ne pas laisser la critique gagner la rue, par des interpellations ciblées et en interdisant tout rassemblement politique, comme ces derniers jours.
Au sein du pouvoir, Idriss Déby règne volontiers par « l’intimidation » et le népotisme, selon ses détracteurs.
Il place sa famille ou des proches à des postes-clés de l’armée, de l’appareil d’État ou économique, et ne laisse jamais les autres longtemps en place. Dix-sept Premiers ministres se sont succédés entre 1991 et 2018, avant qu’Idriss Déby ne fasse supprimer cette fonction pour ravir toutes les prérogatives de l’exécutif.
« Tout est centralisé à la présidence, il use de toutes les armes du pouvoir absolu en brutalisant la société », avance Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po Paris.
Le maréchal ne veut tout simplement pas renoncer au pouvoir, se désintéresse de sa succession et après lui le déluge, résume en substance Mahamat Nour Ahmed, secrétaire général de la Convention tchadienne pour la défense des droits de l’Homme.
C’est grâce à l’armée que ce militaire de carrière, passé par l’École de guerre en France, a assis son pouvoir. Encadrée essentiellement par des officiers de son ethnie zaghawa et commandée par ses proches, elle est considérée comme l’une des meilleures de la région. « Le budget de la défense engloutit 30 % à 40 % du budget national », selon l’ONG International Crisis Group (ICG).
« Un ami encombrant »
Malgré cela, Idriss Déby a manqué chuter, par deux fois au moins.
En 2008, des rebelles l’encerclent dans son palais, il s’en sort grâce à l’aide décisive de l’armée française. Laquelle intervient encore en 2019 en bombardant une imposante colonne rebelle progressant vers N’Djamena.
Entouré d’États en déliquescence comme la Libye, la Centrafrique ou encore le Soudan, Idriss Déby continue d’apparaître comme l’élément stabilisateur de la région.
En 2013, il envoie ses soldats combattre les jihadistes au Mali aux côtés des militaires français des opérations Serval, puis Barkhane. L’armée tchadienne fournit aux Casques bleus de l’ONU au Mali l’un de leurs principaux contingents et passe pour la plus aguerrie de la force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad).
Mais le pays paye un lourd tribut à la lutte contre les jihadistes. Le groupe nigérian Boko Haram multiplie les attaques meurtrières autour du lac Tchad, contraignant Déby à remettre le treillis pour mener lui-même – au moins devant les médias – une contre-offensive jusqu’en territoire nigérian en mars-avril 2020.
L’ »ami encombrant de la France » et des Occidentaux, comme le qualifient nombre d’experts de la région, a donc su se rendre indispensable à leurs yeux contre les jihadistes.
Mais sur le front social et économique, ses détracteurs accusent le « guerrier » d’avoir été un piètre combattant en trente ans.
Le Tchad, pourtant producteur de pétrole, est le 187e pays sur 189 au classement de l’indice de développement humain (IDH) de l’ONU.
Avec AFP
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