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Au Bénin, l’opposition dénonce un scrutin présidentiel verrouillé par Patrice Talon

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Manifestations violentes, dispute constitutionnelle, accusations de dérive autoritaire… Cinq millions d’électeurs sont appelés aux urnes, dimanche au Bénin, dans un climat tendu. En l’absence de figure majeure de l’opposition, un boulevard s’ouvre devant le président sortant, Patrice Talon. Si l’issue du scrutin ne semble faire guère de doute, il interroge sur l’avenir du pays et la santé de sa démocratie. 

L’élection présidentielle du dimanche 11 avril au Bénin ne ressemblera à aucune autre. Depuis la restauration du multipartisme en 1990, jamais un scrutin n’avait semblé aussi fermé. Seuls trois candidats seront en lice : le président sortant Patrice Talon et deux challengers inconnus du grand public, Alassane Soumanou et Corentin Kohoué, accusés de servir de « faire-valoir » au pouvoir.

Ces derniers jours, des incidents se sont produits dans plusieurs villes du pays, signe d’un regain de tension à l’approche d’un scrutin verrouillé par le clan présidentiel, selon l’opposition, qui dénonce des réformes politiques et institutionnelles destinées à assurer le maintien de Patrice Talon à la tête du Bénin.

« Patrice Talon devait finir son mandat le 5 avril 2021. Il n’a pas organisé les élections à la bonne date comme le réclame notre Constitution, donc le peuple béninois s’est levé pacifiquement pour dire que son mandat était fini », assure à France 24 Kamar Ouassagari, secrétaire administratif du parti d’opposition Les Démocrates.

Les contempteurs du président sortant lui reprochent également sa réforme de la loi électorale de novembre 2019. Elle oblige tout candidat à obtenir au moins 16 parrainages d’élus pour se présenter. Selon le gouvernement, ce dispositif devait permettre de lutter contre la prolifération des formations politiques et les candidatures plus ou moins fantaisistes.

Mais dans un pays où l’écrasante majorité des mairies (71 sur 77) et la totalité des 83 députés appartiennent au camp de Patrice Talon, beaucoup de candidats n’ont pas obtenu le nombre de parrainages nécessaires. 

Et pour cause, les partis d’opposition ont été empêchés de se présenter aux législatives de 2019, des élections largement boudées par les électeurs avec seulement 27 % de participation. Jamais une abstention aussi massive n’avait été enregistrée depuis que le Bénin est devenu une démocratie, en 1990.

Après ce scrutin législatif, des violences avaient fait plusieurs morts plongeant le pays dans une crise politique sans précédent. Aujourd’hui, certains Béninois redoutent un scénario similaire et une aggravation des tensions nées de cette élection. 

« Les prochains jours seront à risque », s’inquiète le chercheur à Sciences Po et journaliste franco-béninois Francis Kpatindé, joint par France 24, qui rappelle que « cette violence politique est nouvelle » dans un pays longtemps cité en exemple et qui connaissait jusque-là des alternances pacifiques. 

« Le Bénin figurait alors en bonne place dans les classements d’Amnesty International ou encore de Reporters sans frontières mais depuis cinq ans, on observe que les indicateurs en matière de droits de l’Homme et de respect des institutions sont passés au rouge. »

« Instructions » du pouvoir politique

Depuis le début de l’année, Amnesty International a en effet recensé la convocation, l’arrestation ou la condamnation d’au moins 12 opposants politiques. 

« Ces arrestations sont dues en grande partie à des lois qui semblent avoir été rédigées pour réduire la liberté d’expression et le champ d’action de ces voix critiques », explique à France 24 Fabien Offner, du bureau d’Amnesty à Dakar.

« On peut penser notamment à la loi sur le numérique adoptée en 2019, au nom de laquelle certaines personnes ont été détenues pour des messages écrits sur WhatsApp. On constate qu’à la veille de cette élection, la majorité des opposants sont détenus ou en exil pour des affaires qui manquent souvent de précision sur le fond des dossiers. »

Ces dernières années, les adversaires politiques du régime ont été écartés les uns après les autres. Allié du chef de l’État en 2016, l’homme d’affaires Sébastien Ajavon s’est réfugié en France avant d’être condamné pour trafic de drogue – des faits que ce dernier conteste. En février dernier, Ganiou Soglo a échappé à une tentative d’assassinat, après avoir déposé son dossier de candidature. Aucune enquête n’a été ouverte. Quant à Lionel Zinsou, il n’a pu se présenter après une peine d’inéligibilité de quatre ans pour dépassement de ses frais de campagne lors de la présidentielle de 2016.

Autre cas emblématique, celui de l’ancienne ministre Reckya Madougou, en détention depuis le 5 mars pour « financement du terrorisme ». Selon un magistrat de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) qui a récemment fui le Bénin, cette condamnation a été téléguidée par le pouvoir.

Interrogé sur RFI, Essowé Batamoussi assure que la Cour a reçu des instructions du pouvoir politique. « Dans ce dossier, nous avons été sollicités par la chancellerie, car le dossier ne comportait aucun élément qui pouvait nous décider à la mettre en détention. Ce n’était pas la première fois. Il y a eu pas mal de dossiers où nous avons reçu des instructions de la chancellerie », explique le magistrat en exil.

« Patrice Talon veut développer le pays économiquement, mener de grands travaux d’infrastructures et pense avoir une mission quasi messianique à la tête du Bénin. Il n’accepte pas que son action soit contrôlée. C’est le prototype du régime autoritaire qui ne veut pas être contredit », analyse Francis Kpatindé.

>> À lire sur France 24 : Patrice Talon, de la « rupture » à une présidence autoritaire au Bénin

Jihadistes en embuscade

Le président sortant a en effet misé sur son image de modernisateur et d’homme d’affaires ambitieux pour se faire élire en 2016. Cinq plus tard, le bilan économique est plutôt flatteur pour le Bénin. Au cours des premières années de son mandat, la croissance est passée de 4,5 % à 5,5 %, comme le rappelle l’agence d’informations économiques Ecofin.

En 2020, malgré la pandémie de Covid-19, le pays a été l’un des seuls au monde à maintenir une croissance économique positive, à 2,3 % selon la Banque africaine de Développement (BAD). Mais cette croissance ne profiterait que faiblement à la population encore largement dépendante de l’économie informelle. 

Certains observateurs font le parallèle avec le Rwanda et le régime de Paul Kagame, reconnu pour avoir mené de grandes réformes structurelles tout en maintenant une chape de plomb sur la vie politique. 

Les détracteurs du président béninois lui reprochent également sa mainmise sur l’économie nationale. Car Patrice Talon, « le roi du coton », est non seulement l’homme fort du pays, mais également l’homme le plus riche du Bénin.

« Aujourd’hui, rien ne nous dit qu’après un second mandat, Patrice Talon ne va pas se maintenir au pouvoir ad vitam æternam. Il a un boulevard devant lui. Avec 83 députés, il n’a même pas besoin de passer par un référendum », s’alarme Francis Kpatindé, qui met en garde contre « une voie sans issue ».

« Il ne faut pas oublier que le Bénin est menacé par le jihadisme », poursuit-il. « S’il n’y a pas d’unité nationale, un cadre démocratique et la paix au niveau intérieur, c’est la porte ouverte à toutes les aventures. »

En mai 2019, deux touristes français avaient été enlevés et leur guide tué dans le parc de la Pendjari, dans le nord-ouest du Bénin, près de la frontière avec le Burkina Faso, preuve que que ce petit pays disposant d’un accès à la mer est une cible de choix pour les terroristes du Sahel.

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