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Election présidentielle à Djibouti : « Une mascarade aussi surréaliste qu’absurde »

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Des partisans du président Ismaïl Omar Guelleh lors de la campagne électorale dans le quartier de Balbala, à Djibouti, le 29 mars 2021. Des partisans du président Ismaïl Omar Guelleh lors de la campagne électorale dans le quartier de Balbala, à Djibouti, le 29 mars 2021.

Tribune. Ismaïl Omar Guelleh a finalement officialisé sa candidature pour un cinquième mandat à la tête de Djibouti dans une interview téléphonique en langue somali accordée à la BBC début mars. « A vrai dire, a-t-il affirmé, moi je ne voulais pas, mais les gens m’ont forcé […] La jeunesse m’a dit reste, ne pars pas et c’est pour cela que je me représente une dernière fois. » A court d’idées et de scénarios, le régime répète donc la même entourloupe qu’en 2016. A l’époque, « IOG » prétendait déjà qu’il voulait se retirer. Ses compatriotes avaient fait « pression » pour qu’il se représente, avait-il confié à Jeune Afrique.

Affaibli par vingt-deux ans d’exercice du pouvoir, le président sortant s’accroche, comme un monarque, à la tête du pays. Or, plus que jamais, le peuple aspire à un profond changement et l’a clairement exprimé. La fin du quatrième mandat d’IOG est marquée par une libération de la parole surtout sur les réseaux sociaux, qui sont devenus le seul moyen d’expression de la population djiboutienne. Une population qui a également manifesté à visage découvert malgré la répression féroce du régime.

Au fil des scrutins, le boycott des opposants a ouvert la voie à des pseudo-adversaires politiques. Créés de toutes pièces, ils réapparaissent à chaque élection, suivant une mise en scène orchestrée par la présidence pour valider et légitimer le processus électoral. Et cette année encore, à l’approche de l’échéance du vendredi 9 avril, le pouvoir en place s’est choisi un opposant. Mais plutôt que de reprendre les candidats habituels, il a favorisé un indépendant, inconnu de la scène politique et neveu du président. Une mascarade aussi surréaliste qu’absurde.

Le « khat », un outil de contrôle de la jeunesse

« Continuons ensemble », intime le nouveau slogan de campagne du sortant. En d’autres termes, persévérons dans la violation des libertés démocratiques, les arrestations et détentions arbitraires, la torture, l’instrumentalisation de la justice, l’insécurité, la corruption, les détournements de deniers et les marchés publics de gré à gré, pour ne citer que ces exemples. Les apparitions publiques du président sont autant de diversions, entre pose de pierre et coupure de ruban, accompagnées par un tintamarre de chants et de danses à la gloire d’IOG et de sa femme.

Le pouvoir en place a toujours utilisé la peur et la répression pour éviter les soulèvements et les révolte. Le « khat » – une plante dont les feuilles mâchées ont un puissant effet psychotrope – est devenu un outil de contrôle de la jeunesse. C’est un fléau, particulièrement nécessaire à la survie du régime en période d’élections. IOG dit vouloir placer son mandat sous le signe de la jeunesse. Il serait temps : Djibouti est un pays où 73 % de la population a moins de 35 ans et où le taux de chômage des jeunes dépasse les 70 % (60 % dans l’ensemble de la population). Que pourrait faire Ismaïl Omar Guelleh au cours des cinq prochaines années pour les jeunes qu’il n’a pas pu réaliser en vingt-deux ans ?

En matière d’emploi, les jeunes sont les premières victimes du tribalisme érigé en mode de gouvernance. Plus que les compétences ou la méritocratie, c’est un atout clé de l’insertion professionnelle, mais surtout une source de frustration pour les jeunes qui sont bloqués dans leur ascension et leur promotion au sein de l’administration. Ce tribalisme, hérité du système colonial français, s’était perpétué après l’indépendance, sous la présidence de Hassan Gouled Aptidon, et s’est encore accentué sous le règne d’IOG. Il structure le jeu politique selon une logique de division et de discrimination, où certaines ethnies et/ou tribus ont droit à plusieurs portefeuilles ministériels et parlementaires alors que d’autres n’ont droit qu’à un seul.

Bien qu’issus des ethnies et/ou tribus de Djibouti, les élus sont au service du pouvoir et non de l’intérêt commun. On a assisté au cours des deux dernières décennies à l’émergence d’une classe dirigeante détachée des populations qu’elle était censée représenter. Utile à la survie du régime, cette forme de représentation a plus divisé qu’elle n’a unifié, créant une diversion politique ayant pour but la manipulation et l’opposition des groupes communautaires les uns aux autres.

Un homme prêt à tout pour maintenir son régime

En renforçant le tribalisme, le régime de Guelleh a instauré ce qu’il convient d’appeler un autoritarisme clanique. Il a étendu la « mamasanisation », autrement dit le traitement préférentiel réservé aux membres du clan du président, les Mamasan. Ce sont eux qui dirigent les principaux organes de sécurité du pays et les secteurs clés de l’économie. Cette « mamasanisation » des postes à responsabilité est particulièrement visible dans les domaines de la sécurité et la défense. Elle est le principal filet de protection d’un homme prêt à tout pour maintenir son régime et punir les réfractaires à sa politique.

Cet Etat « clanisé » s’est glissé dans les habits de la République, bénéficiant ainsi de ses supports institutionnels. C’est cette idéologie qui a détruit les fondamentaux du pays et freiné son développement. Elle a étouffé les aspirations républicaines ou patriotiques des Djiboutiens. En fragilisant le tissu social et la cohésion nationale, elle porte aujourd’hui les germes d’une profonde instabilité, voire d’une somalisation du pays, entraînant des déchirements entre tribus, clans voire sous-factions.

L’échec du pouvoir d’Ismaïl Omar Guelleh à fédérer les Djiboutiens autour de valeurs communes et fraternelles est sans appel. L’élection présidentielle d’avril s’annonce comme un parfait baromètre pour mesurer l’ampleur de la division sociale et de la désunion de la société. Il est capital de trouver des solutions pour un meilleur vivre-ensemble à Djibouti. Il est temps de définir un cap, en donnant un sens à la République, et de « désethniciser » la politique.

Roukiya Mohamed Osman, spécialiste des questions de sécurité et de paix, est représentante de l’institut de recherche Thinking Africa dans la Corne de l’Afrique.

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