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Djibouti et la Chine, de l’enthousiasme au mariage de raison

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Djibouti, où se déroule une élection présidentielle vendredi, est un carrefour stratégique international. L’ancienne colonie française est souvent présentée aujourd’hui comme un pays passé sous la coupe économique de la Chine. Mais la réalité est plus complexe et ce petit pays africain est un véritable cas d’école des avantages et limites de la politique d’investissements à l’étranger de Pékin. 

Ils ne sont peut-être pas là depuis aussi longtemps qu’Ismail Omar Guelleh. Mais à l’instar du président de Djibouti, qui brigue son cinquième mandat, les Chinois devraient garder leur emprise économique sur ce petit pays de la corne de l’Afrique à l’issue de l’élection présidentielle, vendredi 9 avril.

À bien des égards, l’histoire des relations entre Djibouti et Pékin est emblématique des ambitions chinoises sur la scène internationale, de la manière dont la puissance asiatique utilise ses nouvelles “routes de la soie” pour étendre son réseau d’influence économique et de sa volonté de renforcer son statut de premier investisseur sur le continent africain.

Seule base militaire permanente chinoise à l’étranger

Mais c’est aussi le récit d’un petit pays africain, dénué de ressources naturelles, qui a ouvert en grand ses bras aux puissances étrangères depuis une vingtaine d’années pour rentabiliser sa situation géographique unique sur le golfe de Tadjourah, à l’entrée de la très stratégique mer Rouge. Et de comment cette ancienne colonie française, indépendante depuis 1977, a profité des largesses financières chinoises jusqu’à se retrouver dans une situation de dépendance économique telle qu’elle “risque de menacer à nouveau son autonomie”, écrivait Sonia Le Gouriellec, spécialiste de la Corne de l’Afrique à l’université catholique de Lille et auteure de “Djibouti : la diplomatie de géant d’un petit État”, dans la Revue de défense nationale.

Le niveau de coopération entre le géant asiatique et ce petit poucet africain d’à peine un million d’habitants a éclaté au grand jour le 1er août 2017. Ce jour-là, Pékin a inauguré sa base militaire de Djibouti, en faisant la seule base permanente de l’Armée populaire de libération en dehors de Chine. Les 400 militaires chinois se sont installés à seulement sept kilomètres de la base militaire américaine et non loin de celles de la France, du Japon et de l’Italie.

Mais contrairement aux autres pays qui sont essentiellement là pour des raisons de sécurité – lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden et surveillance du trafic maritime vers le canal de Suez –, la Chine souhait surtout ajouter une pièce en plus, hautement symbolique, à sa présence à Djibouti.

En réalité, Pékin a jeté son dévolu sur Djibouti dès le début des années 2000. Il y a investi dans la construction de stades, d’écoles, dans la rénovation de routes ou de bâtiments officiels comme le ministère des Affaires étrangères. Avec l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012, et la transformation des différents investissements chinois à l’étranger en grand programme sous l’appellation des “nouvelles routes de la soie”, l’effort financier s’est encore accentué. 

Les trois réalisations phares sous Xi Jinping sont le grand port polyvalent de Doraleh, la ligne de chemin de fer entre Djibouti et l’Éthiopie et l’oléoduc qui va jusqu’à Addis-Abeba. À cela, il faut ajouter l’inauguration, en 2018, de la zone franche de Djibouti qui, à terme, doit devenir la plus grande de toute l’Afrique et a été largement financée par les prêts chinois. En tout, la Chine a dépensé 14 milliards de dollars en investissements et prêts en faveur de Djibouti entre 2012 et 2020.

Des Chinois bienvenus

Si Pékin a autant misé sur cet État de la corne de l’Afrique, c’est parce que “cela lui permet d’ajouter une étape africaine – dans l’un des rares pays politiquement stables de la région – à son grand réseau des ‘routes maritimes’ de la soie”, souligne un expert britannique de la corne de l’Afrique, contacté par France 24 et qui a préféré garder l’anonymat. C’est aussi “une tête de pont vers l’intérieur du continent et des pays économiquement beaucoup plus intéressants comme l’Éthiopie”, souligne de son côté Gérard Prunier, historien à l’Institut des mondes africains, contacté par France 24.

C’est tout l’intérêt du chemin de fer entre Djibouti et Addis-Abeba. “Depuis le conflit avec l’Érythrée en 2000, le seul chemin sûr pour les exportations éthiopiennes passe par le port de Djibouti et les marchandises doivent donc emprunter le chemin de fer construit par les Chinois”, souligne Zach Vertin, spécialiste de l’Afrique et conseiller spécial de la mission américaine à l’Onu, dans une note sur les investissements chinois à Djibouti publiée en juin 2020.

Mais la Chine n’a pas imposé sa présence à cette ancienne colonie française. En effet, “au départ, c’était un atout politique pour le président Ismail Omar Guelleh”, rappelle Thierry Peirault, sinologue au CNRS et spécialiste des relations entre la Chine et l’Afrique, contacté par France 24. D’abord, parce que le pays avait un besoin évident de financements et “qu’il n’y avait personne d’autre vers qui se tourner”, souligne cet expert. Mais aussi parce que cela permettait au président de vendre son projet de transformation économique du pays en “une sorte de Singapour de l’Afrique”, écrit Zach Vertin. 

L’argent chinois permettait ainsi au président de s’acheter une stabilité économique et une paix sociale, qui contribuent à expliquer la longévité de son règne autoritaire, juge l’expert américain.

Un “mariage qui s’effiloche”

Les années passant, “il y a cependant eu une sorte de refroidissement, c’est comme un mariage qui s’effiloche”, juge l’historien Gérard Prunier. Il y a d’abord la question de l’endettement. Pékin détient aujourd’hui plus de 70 % de la dette de Djibouti, ce qui placerait le petit pays africain dans une situation d’infériorité dangereuse pour sa souveraineté, selon certains observateurs. Ceux-ci craignent que Djibouti subisse le même sort que le Sri Lanka qui, en 2017, a dû céder le contrôle de son port à des entreprises chinoises parce que le pays ne pouvait pas rembourser les prêts accordés. 

Mais de l’avis des experts interrogés par France 24, Djibouti n’est pas le Sri Lanka. “La Chine a appris de ses erreurs au Sri Lanka, et se montre désormais plus prompte à renégocier les dettes car elle ne veut pas apparaître comme le grand méchant de l’histoire”, affirme le spécialiste britannique de la Corne de l’Afrique interrogé par France 24. 

L’heure est au bilan de tous ces investissements chinois, et Djibouti n’est pas sûr d’y trouver pleinement son compte. Tous ces grands projets d’infrastructures ont-ils réellement aidé au développement du pays ? Le port de Doraleh, par exemple, n’a que peu fait pour l’emploi local et “il semble essentiellement tourné vers l’extérieur”, note Thierry Peirault. Autrement dit, ce sont essentiellement des entreprises chinoises qui en profitent.

En outre, la population locale commence aussi à se demander où sont passés tous ces milliards de dollars investis. “L’argent chinois n’a eu qu’un impact très limité pour les Djiboutiens”, confirme le politologue britannique. Si le pouvoir ne réussit pas à prouver que tous ces investissements favorisent le développement global du pays, la Chine pourrait finir par devenir un véritable handicap politique.

Les Chinois ne sont plus, non plus, aussi enthousiastes qu’au départ pour Djibouti. Certaines réalisations, comme l’emblématique chemin de fer vers l’Éthiopie, tardent à se montrer rentables. “Les Chinois se rendent compte que les projets qu’ils ont financés ne tiennent pas forcément la route”, assure Thierry Peirault. En outre, “ils commencent à se sentir un peu à l’étroit dans ce petit mouchoir de poche avec des Américains juste à côté, et des Français qui regardent au balcon”, ajoute Gérard Prunier.

Ce refroidissement des relations ne remet pas en cause pour autant la présence chinoise dans le pays. “Djibouti reste un élément important des ‘routes de la soie’”, souligne l’expert britannique. Mais ce refroidissement peut permettre à d’autres pays d’avancer leurs pions économiques. “Aucune autre puissance n’est capable de se substituer à Pékin pour ce qui est de prêter de l’argent, mais il est possible que Djibouti commence à chercher à diversifier ses sources d’approvisionnement”, note Thierry Peirault. Ce qui pourrait profiter à des entreprises françaises.

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