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Le marché de l’art, tout comme celui de l’or, des devises ou des matières premières, répond à certaines logiques : esthétique, sociologique, politique ou géopolitique. A priori, la vente, d’ici à quelques mois, de soixante-cinq toiles de l’Américain Norman Rockwell (1894-1978) représentant des scouts en uniforme, au garde à vous, trompette en main, ou autour d’un feu de camp n’aurait pas dû dépasser l’audience des amis du Medici Museum of Art, dans l’Ohio, où elles sont actuellement accrochées.
Ces vaillants jeunes gens blancs, proches de la nature et de son Créateur, pourraient néanmoins s’arracher à prix d’or. Détail affolant : les acquéreurs potentiels de cette nostalgie « white » ne sont pas des trumpistes du Midwest qui rêvent d’une Amérique « great again » en grillant du maïs sur le barbecue du jardin, mais le gratin d’Hollywood, notamment les cinéastes George Lucas et Steven Spielberg, ainsi que la très discrète quoique richissime Alice Walton, l’héritière de l’empire Walmart.
La situation est saugrenue
Les conditions de la mise en vente de ces œuvres, estimées autour de 100 millions de dollars (84 millions d’euros), ajoutent de la confusion au trouble. Les huiles appartiennent aux Boy Scouts of America (BSA) – la plus vieille organisation de jeunesse américaine, fondée en 1910 –, pour lesquels elles ont été produites. Un organisme sur la sellette depuis la révélation, en 2012, par le Los Angeles Times de « dossiers de la perversion », listant des responsables accusés d’actes pédophiles, que la direction s’est bornée à écarter sans jamais les signaler aux autorités.
Mis en cause par plus de 80 000 témoignages pour des abus sexuels commis entre 1944 et 2016, les BSA ont déposé le bilan en 2020. Début mars, l’organisation a annoncé que les revenus dégagés par la vente des œuvres de Rockwell alimenteraient un fonds de compensation au profit des victimes. Du point de vue des futurs acquéreurs, la situation est saugrenue : ils achèteront des représentations idéalisées de jeunes garçons pour sauver une organisation qui a couvert des pédophiles, laquelle indemnisera par ce biais les victimes…
Que soixante-cinq œuvres de Rockwell aient atterri chez les boy-scouts n’est guère surprenant : l’illustrateur américain a réalisé de nombreuses couvertures, de 1912 à 1975, pour leur revue mensuelle, Boys’ Life, dont il fut le directeur artistique. Autrice d’American Mirror : The Life and Art of Norman Rockwell (Farrar, Straus & Giroux, 2013, non traduit), la critique d’art Deborah Solomon précise toutefois par courriel qu’« il n’a jamais été un chef scout et n’y a inscrit aucun de ses trois garçons ».
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