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Torpeur, brouillard et tragédie à la frontière birmane

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Par Bruno Philip

Publié aujourd’hui à 06h54, mis à jour à 06h55

Vu du côté thaïlandais du fleuve Salouen, l’avant-poste de l’armée birmane ne paie pas de mine : sur le sommet d’une montagnette dénudée s’alignent plusieurs casemates minables, murs de planches, toits en zinc. Nulle âme qui vive, en apparence, si l’on excepte le chant d’un coq dont le cocorico têtu parvient par intermittence sur l’autre rive. Un peu plus haut, en équilibre sur le vide, se dresse la silhouette d’un édifice aux allures de pagode bouddhiste. Il y flotte, étrangement, un drapeau rouge. Les policiers thaïs disent que, chez leurs voisins birmans, c’est signe d’état de guerre.

Cette redoute isolée n’est pas qu’un trou paumé abruti par la chaleur d’avril, figé dans la torpeur d’une après-midi brouillardeuse annonciatrice des pluies prochaines de la mousson : c’est une caserne de la Tatmadaw (forces armées birmanes), celle-là même dont les soudards viennent de massacrer en deux mois plus d’un demi-millier de manifestants s’opposant au coup d’Etat militaire du 1er février.

Le conflit n’est pas loin : sous le couvercle d’un ciel encore voilé par les fumées des brûlis agricoles de la fin de saison sèche, le petit bourg frontière de Mae Sam Laep, qui fait face à la caserne birmane, se remet de ses émotions.

Pour la première fois depuis vingt ans, dans cette région de guerres incessantes, des avions de chasse du régime ont, la semaine dernière, lâché des bombes non loin d’ici, de l’autre côté de la rivière, sur le territoire en partie contrôlé par l’une des plus vieilles guérillas de Birmanie, l’Union nationale karen (KNU). Ce groupe armé qui croise le fer contre le gouvernement central depuis sept décennies, porte le nom d’une importante minorité ethnique, les Karen, dont la population est estimée à 7 millions de personnes dans tout le Myanmar – nom officiel de la Birmanie.

« Chassé-croisé » de populations déplacées

La frappe aérienne avait fait suite, dans la soirée du samedi 27 mars, à l’attaque menée quelques heures plus tôt par la KNU contre un point d’appui de la Tatmadaw, situé un peu plus au nord de Mae Sam Laep – un assaut au cours duquel dix soldats birmans ont été tués, dont un lieutenant-colonel. Les quatre jours de bombardements consécutifs qui ont suivi – du 27 au 30 mars –, auraient fait, selon des sources émanant à la fois de la KNU et de plusieurs ONG locales, une vingtaine de morts et forcé une dizaine de milliers de personnes à fuir dans les jungles alentour.

Des Karen ont fui à Mae Sam Laep (Thaïlande), en face du camp de l’armée birmane, séparés par le fleuve Salouen, le 2 avril.Des Karen ont fui à Mae Sam Laep (Thaïlande), en face du camp de l’armée birmane, séparés par le fleuve Salouen, le 2 avril.

Les brasiers rallumés d’une guerre interminable, cependant mise en veilleuse depuis quelques années à la suite d’un accord de cessez-le-feu signé en 2015 par une dizaine de guérillas ethniques – dont la KNU – ont ébranlé ces lointains confins du royaume thaïlandais : près de trois mille karen ont fuit de ce côté-ci du fleuve frontière. Mais la plupart d’entre eux ont été rapidement « conviés », manu militari, par les hommes en uniforme noir des régiments de « rangers » thaïs, de rentrer chez eux. « Il ne reste plus personne, tous les réfugiés ont été chassés », souffle un activiste karen basé à Mae Sam Laep, où l’armée bloque la route en direction des forêts où s’étaient installées plusieurs centaines de fuyards.

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