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La crise a viré au bain de sang. Le 1er février, la junte militaire a pris le pouvoir en Birmanie et Aung San Suu Kyi, dirigeante du pays, a été arrêtée. Depuis, les opposants au coup d’Etat manifestent pour réclamer sa libération et le retour à la démocratie.
Une contestation violemment réprimée : au moins 570 civils auraient été tués par les forces de sécurité depuis le putsch. Au sein du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), les pays occidentaux poussent – prudemment – pour la mise en place de sanctions, mais la Chine, un allié traditionnel de l’armée birmane, rejette catégoriquement cette idée.
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Que s’est-il passé lors du coup d’Etat ?
Le 1er février, les militaires procèdent à une vague d’interpellations, dont la chef de facto du gouvernement civil, Aung San Suu Kyi, et le président de la République, Win Myint. L’armée déploie des troupes et des véhicules blindés pour bloquer les axes permettant d’accéder au Parlement.
A Rangoun, les soldats de Tatmadaw, le nom officiel des forces armées birmanes, s’emparent de l’hôtel de ville et bloquent l’accès à l’aéroport international. Puis les militaires déclarent, sur leur chaîne de télévision, Myawaddy TV, l’état d’urgence pour une durée d’un an et placent leurs généraux aux postes-clés, mettant brusquement fin à dix ans de transition démocratique.
Min Aung Hlaing, le tout-puissant chef de l’armée, concentre désormais les pouvoirs « législatif, administratif et judiciaire », tandis qu’un autre général, Myint Swe, est désigné président par intérim, un poste largement honorifique. Motif avancé par les militaires pour ce coup d’Etat, le troisième depuis l’indépendance du pays, en 1948 : des fraudes électorales « énormes », selon eux, lors des élections législatives de novembre 2020.
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De quoi est accusée Aung San Suu Kyi ?
Arrêtée le 1er février et mise au secret, l’icône de la démocratie birmane est, dans un premier temps, accusée par la junte de délits mineurs : importation illégale de talkies-walkies et non-respect des restrictions liées au coronavirus. Aung San Suu Kyi est inculpée pour violation d’une loi sur les télécommunications et « incitation aux troubles publics ».
La junte l’accuse ensuite d’avoir reçu pour 600 000 dollars (507 000 euros) de pots-de-vin et plus de 11,2 kilogrammes d’or de la part d’un allié politique. Des observateurs s’interrogent toutefois sur l’authenticité des témoignages qui lui valent ces accusations. Elle n’est pas encore inculpée dans ce volet.
Assignée à résidence, Aung San Suu Kyi, 75 ans, a comparu jeudi 1er avril en visioconférence. L’égérie de la lutte prodémocratie paraît alors en « bonne condition physique », selon l’un de ses avocats. Elle est désormais inculpée pour avoir violé une loi sur les secrets d’Etat datant de l’époque coloniale, la charge la plus lourde retenue contre elle jusqu’à présent. Elle comparaîtra de nouveau le 12 avril.
Si elle est reconnue coupable des faits qui lui sont reprochés, elle pourrait être condamnée à de longues années de prison et se voir bannie de la vie politique.
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Pourquoi est-elle au cœur de cette crise ?
Aung San Suu Kyi est devenue, en plus de trente ans, un symbole de l’opposition à la junte. Fille du général Aung San – le chef de la lutte contre le colonisateur britannique – elle s’engage aux côtés des manifestants antijunte militaire pour la démocratie en 1988. Quelques mois plus tard, le 18 septembre, le deuxième coup d’Etat birman éclate. La « dame de Rangoun » subit alors sa première assignation à résidence, pendant quinze ans, à partir de 1989.
Elle est récompensée du prix Nobel de la paix en 1991, et devient une icône mondiale. A sa libération, en 2010, elle est incontournable sur la scène politique nationale.
D’abord élue députée en 2012, elle accède en 2015 au pouvoir lorsque son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), sort vainqueur des élections législatives. Adulée par de nombreux Birmans, « The Lady » est néanmoins critiquée par les Occidentaux pour son silence sur la répression des Rohingya, minorité musulmane, qualifiée de « tentative de génocide » par des enquêteurs de l’ONU. Elle ira jusqu’à défendre son pays à ce sujet devant la Cour de justice internationale, à La Haye.
En novembre, la NLD remporte à nouveau les élections législatives, avec 82 % des voix ; le parti affilié à l’armée est, lui, laminé. Une humiliation pour les généraux, qui dénoncent des fraudes et demandent le recomptage des bulletins.
Bien qu’elle soit l’initiatrice de la transition vers la démocratie, la junte s’est octroyé en 2008 25 % des sièges du Parlement, le contrôle des ministères de la défense, de l’intérieur et des frontières, ainsi que le droit de suspendre la Constitution et de reprendre le pouvoir en cas de menace sur le pays. Aung San Suu Kyi envisageait de réformer la Constitution pour mettre fin à cette mainmise.
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Qui sont les manifestants opposés au coup d’Etat ?
Dès le 6 février, plusieurs milliers de Birmans, à l’exception des membres du sangha, le clergé bouddhiste, manifestent pour exprimer leur opposition au coup d’Etat. Dans le calme, ils défilent dans les rues et appellent à la grève. Artistes, étudiants, journalistes, ouvriers…, ils réclament le retour à la démocratie. « La démocratie est notre cause » ou « libérez notre leader Aung San Suu Kyi », clament leurs pancartes. Les nombreuses factions ethniques armées que compte le pays menacent, de leur côté, de reprendre les armes.
A plusieurs reprises, Min Aung Hlaing demande aux Birmans de rentrer chez eux et de mettre fin aux mobilisations, sans succès. La junte répond par une violence croissante. 570 civils – dont une cinquantaine d’enfants et d’adolescents – ont été tués en un peu plus de deux mois, selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Le bilan pourrait être beaucoup plus lourd : plus de 2 700 personnes ont été arrêtées. Beaucoup, sans accès à leurs proches ou à un avocat, sont portées disparues. Une centaine de manifestants ont trouvé la mort lors de la manifestation du 27 mars, la journée la plus sanglante depuis le coup d’Etat.
Quelque quatre-vingts célébrités birmanes (chanteurs, mannequins, journalistes, influenceurs sur les réseaux sociaux) sont visées par des mandats d’arrêt. Elles sont accusées d’avoir diffusé des informations susceptibles de provoquer des mutineries dans les forces armées.
L’accès à Internet a été restreint, mais le mouvement de contestation, qui comprend de nombreux jeunes habitués aux nouvelles technologies, continue de se mobiliser sans relâche et trouve des moyens de contourner la répression.
Pour échapper aux représailles et continuer à être entendus, les contestataires trouvent chaque jour de nouvelles parades. Mardi, ils ont déversé de la peinture rouge dans les rues pour évoquer le sang des « martyrs tombés sous les balles » de l’armée et de la police. Dimanche, à l’occasion de Pâques, le mouvement de désobéissance civile a diffusé des photographies d’œufs décorés de messages contre le régime, sur les réseaux sociaux.
Des dizaines de milliers de fonctionnaires et de salariés du privé sont par ailleurs en grève afin de paralyser l’économie.
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Comment réagit la communauté internationale ?
Face à la répression du régime, la communauté internationale reste divisée. Le Conseil de sécurité de l’ONU a publié deux déclarations exprimant son inquiétude et condamnant la violence à l’encontre des manifestants, mais n’a pu dénoncer le coup d’Etat ni menacer le pays de nouvelles actions, en raison de l’opposition de la Chine, de la Russie, de l’Inde et du Vietnam.
Les Etats-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni ont sanctionné le régime. Moscou, allié traditionnel de l’armée birmane, a, lui, rejeté toute idée de mesures coercitives. Il a également confirmé vouloir poursuivre sa coopération militaire avec le pays. La Chine, autre soutien traditionnel de la Birmanie à l’ONU, soucieuse de ses intérêts stratégiques et économiques, refuse aussi de sanctionner la junte.
Les grandes entreprises étrangères réagissent également en ordre dispersé, depuis le coup d’Etat. Plusieurs ONG ont appelé certains groupes à revoir leurs activités sur place. Le géant pétrolier français Total, présent en Birmanie depuis 1992, a refusé de quitter le pays, tout en s’engageant à financer des organisations pour les droits humains.
L’électricien EDF a, lui, jeté l’éponge mi-mars, suspendant un projet de 1,5 milliard de dollars pour la construction d’un barrage hydroélectrique. Très vite après le coup d’Etat, le constructeur japonais Suzuki avait, lui aussi, mis à l’arrêt ses deux usines locales… avant de rouvrir ces deux sites quelques jours plus tard.
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