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La Française Agnès Callamard, experte en droits de l’Homme, est la nouvelle secrétaire générale d’Amnesty International. Habituée des dossiers brûlants, elle a notamment mené en tant que rapporteuse spéciale de l’ONU des enquêtes sur les assassinats du journaliste Jamal Khashoggi en 2018 et du général iranien Qassem Soleimani en janvier 2020. Portrait.
Agnès Callamard n’a pas pour habitude de se taire. Avant de rejoindre son nouveau poste à la tête de l’ONG Amnesty International fin mars, la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires n’a pas hésité à faire part aux autorités françaises de son mécontentement face à « l’absence de justice » dans l’enquête sur l’assassinat en 2013 au Mali de Ghislaine Dupont et Claude Verlon deux journalistes de RFI.
Selon une lettre du 15 janvier rendue publique par l’ONU et dévoilée par Mediapart et The Guardian, Agnès Callamard exprime sa « plus vive préoccupation ». « Bien que l’identité des suspects soit connue depuis plusieurs années – et ce malgré l’imposition du secret défense sur certains aspects importants de l’enquête – aucun mandat d’arrêt international, en particulier à destination du Mali, n’a été émis », dénonce-t-elle. Pour la rapporteuse spéciale de l’ONU, « des zones d’ombre troublantes demeurent », qui selon elle « sont largement le résultat direct de l’absence de coopération de la part des autorités militaires françaises – dans le cadre de la protection du secret défense – et des autorités maliennes ».
Elle s’étonne du fait que les autorités, françaises comme maliennes, « ne soient pas en mesure d’identifier formellement » le commanditaire présumé de l’enlèvement, alors même qu’il aurait « participé à la remise en liberté de quatre otages, dont une Française », Sophie Pétronin, « en échange de 200 détenus et une rançon de plusieurs millions d’euros », début octobre 2020. Il s’agirait du Malien Sedane ag Hita, selon l’association « les Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon ». Dans une réponse le 16 mars, la Mission permanente de la France auprès de l’ONU à Genève a indiqué que ces faits « faisaient toujours l’objet d’une information judiciaire menée par le pôle antiterrorisme du tribunal judiciaire de Paris ».
Une « voix courageuse »
C’est pour ce franc-parler et cette détermination qu’Agnès Callamard a été choisie pour devenir la nouvelle secrétaire générale d’Amnesty International, selon l’annonce faite le 29 mars dernier. « La combinaison de son acuité intellectuelle, de sa grande expérience internationale des droits humains et de sa voix courageuse la rendent hautement qualifiée pour défendre notre mouvement », avait ainsi souligné Sarah Beamish, présidente du Conseil international, dans un communiqué.
Agnès Callamard, qui, à 55 ans, succède à la secrétaire générale par intérim Julie Verhaar, avait déjà travaillé pour Amnesty International de 1995 à 2001, notamment en tant que cheffe de cabinet du secrétaire général de l’époque, Pierre Sané. Elle avait mené des enquêtes sur les droits de l’Homme dans plus de 30 pays et publié de nombreux articles sur les droits humains, la liberté d’expression, ou encore les mouvements de réfugiés.
Ce goût pour la lutte contre l’injustice, Agnès Callamard en a hérité. Elle est la petite-fille du résistant Léon Savioux, responsable d’un secteur du maquis de l’Oisans, en Isère, et exécuté le 15 août 1944 par les Allemands. « Mon grand-père, que je n’ai pas connu, s’était engagé dans la Résistance très jeune. Il a été tué par les SS. Et toute mon enfance nous allions chaque 15 août nous recueillir devant sa tombe où lui et d’autres ont été fusillés par les SS ce jour-là », avait-elle raconté dans un entretien à l’ONU Info en 2019. Une visite annuelle qui la marqua profondément et lui inculqua le respect « à l’égard de ceux qui ont donné leur vie pour protéger leurs principes, pour protéger leur pays, pour protéger d’autres ».
Sa mère, une institutrice, lui transmet aussi ses valeurs et son engagement social. Au sortir de l’adolescence, elle se tourne tout naturellement vers des études de Sciences politiques à l’IEP de Grenoble, dont elle sort diplômée en 1988. Elle part ensuite étudier aux États-Unis et au Canada. Elle est titulaire d’un doctorat en science politique de la New School for Social Research de New York et d’une maîtrise de l’université Başkent d’Ankara, en Turquie.
Elle réalise sa première expérience sur le terrain en passant six mois dans un camp de réfugiés au Malawi. « J’ai toujours été motivée par la lutte contre le racisme et les discriminations et toujours été attirée par le reste du monde », avait-elle confié au journal Le Monde.
Des menaces régulières
Après différentes expériences au sein de plusieurs ONG (HAP International, Article 19 ou encore Amnesty International), elle est nommée en août 2016 rapporteure spéciale du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, tout en continuant à enseigner à l’université new-yorkaise de Columbia. Elle devient alors la bête noire de nombreux dirigeants un peu partout dans le monde.
En 2017, elle s’attire les foudres du président philippin Rodrigo Duterte. « Cette rapporteure. Je vais la gifler devant vous. Pourquoi ? Parce que tu m’insultes », avait alors lancé le chef d’État, alors qu’Agnès Callamard enquêtait sur les individus tués lors de descentes policières ou sous les balles de mystérieux tueurs à gages. « Tous ces morts auraient dû faire l’objet d’enquêtes indépendantes, particulièrement les morts aux mains de la police ou d’agents de l’État. Or, le président lui-même donne l’impression que les enquêtes ne sont pas nécessaires, c’est une politique d’impunité », avait-elle déclaré à l’époque.
La Française n’a pas peur de froisser les États qui violent les droits fondamentaux de leurs citoyens. Comme le résume RFI, elle n’hésite pas à « tacler les États-Unis pour la frappe de drone illégale qui a tué le général iranien Qassem Soleimani » ou à « tancer la France pour l’abandon des jihadistes français arrêtés en Irak ».
Au début de l’année 2019, elle débute une enquête sur l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi qui a eu lieu en octobre l’année précédente, à l’intérieur même du consulat saoudien d’Istanbul. Six mois plus tard, elle livre son rapport. Dans une interview accordée à France 24, elle tient l’Arabie saoudite pour « responsable » de l’exécution du journaliste saoudien. « Les circonstances du crime, les individus impliqués, les instruments utilisés, démontrent qu’on ne peut que conclure à un crime d’État », expose-t-elle, tout en réclamant l’ouverture d’une enquête pénale pour « pouvoir conclure à la responsabilité du prince » héritier, Mohamed Ben Salmane.
Affaire Khashoggi : « On ne peut que conclure à un crime d’État »
Ces propos lui attirent, selon elles, des menaces. Elle assure avoir été intimidée par les autorités saoudiennes à la suite de cette enquête. « La menace de l’Arabie saoudite à mon encontre était éhontée, elle a eu lieu dans un cadre diplomatique de haut niveau et a été rendue publique, confirmée par l’ONU », a-t-elle indiqué dans un tweet le 26 mars dernier. « Les tactiques d’intimidation ne devraient être nulle part possibles. Elles n’ont pas leur place à l’ONU », avait-elle ajouté.
Un peu plus tôt, le quotidien The Guardian avait rapporté qu’un haut responsable saoudien avait menacé à deux reprises, lors d’une réunion avec des responsables de l’ONU à Genève en janvier 2020, de « prendre soin » d’Agnès Callamard si les Nations unies ne freinaient pas ses ardeurs, ce que Riyad avait démenti.
« Les États doivent comprendre que se comporter comme des voyous à New York et à Genève [sièges de l’ONU, NDLR] n’est pas plus acceptable que dans d’autres capitales, ou dans leurs propres villes. Une telle exigence est essentielle car nous sommes confrontés à un monde de tensions accrues qui rappelle l’époque de la Guerre froide », avait-elle conclu dans un Tweet.
1/ The #SaudiArabia threat against me was brazen, it took place in a high level diplomatic setting and it was made public, confirmed by the UN. But such threats, far greater daily intimidation and violence stalk all those on the front lines of human rights advocacy. https://t.co/ra7aKHEGys
— Agnes Callamard (@AgnesCallamard) March 26, 2021
Trente ans après ses débuts de militante, cette experte des droits de l’Homme n’a pas perdu sa motivation. Elle est bien déterminée à poursuivre son combat à la tête du mouvement mondial qui rassemble 10 millions de personnes et des bureaux dans plus de 70 pays : « Là où les gouvernements et les entreprises cherchent à réduire au silence celles et ceux qui s’expriment contre leurs abus, à masquer la vérité et à saper ou rejeter les normes relatives aux droits humains, les enquêtes rigoureuses et les campagnes sans compromis d’Amnesty International sont plus vitales que jamais », a-t-elle déclaré lors de sa nomination.
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