Dans l’ombre des monstres sacrés de la discipline et notamment de son compatriote Julian Alaphilippe, Anthony Turgis fait aujourd’hui partie des tous meilleurs coureurs du peloton international sur les classiques flandriennes. Quatrième du dernier Tour des Flandres, le polyvalent de Total Direct Energie espère encore y franchir un cap ce dimanche. Et pourquoi pas s’immiscer sur le podium.
S’appeler Anthony Turgis et briller sur le Tour des Flandres, l’un des cinq monuments du cyclisme, le point d’orgue de la semaine sainte du cyclisme belge… En 2018, cela aurait été de l’ordre du rêve. Ce doux moment où, plongé dans un lourd sommeil, on dessine au plus profond de ses pensées les choses les plus improbables. Ce tableau vivant de l’imaginaire où l’on est en droit de s’octroyer les plus beaux destins. Mais trois ans plus tard, à l’aube de l’édition 2021, cette possibilité n’est plus du tout farfelue. Et le rêve pourrait bien prendre des airs de cauchemars pour certains de ses adversaires.
Surtout au regard du scénario de 2020, quand à l’arrivée du « Ronde » à Audenarde, Anthony Turgis, 4e, fut seulement devancé par les extraterrestres Van der Poel et Van Aert, et le très expérimenté Norvégien Aleksander Kristoff. Un coup d’éclat ? Un jour avec ? Non. Plus certainement le sceau d’une progression régulière pour le natif de Bourg-La-Reine, près de Paris. Et un vrai tournant dans sa carrière. « Je me savais fort, analyse-t-il à froid. Mais dans la tête, je me suis dit à partir de ce jour-là, tu fais partie des plus forts, tu peux agir sur la course. »
« Il ne manque pas grand-chose » pour son directeur sportif
Et de la parole à la confirmation, ne se sont écoulés que quelques petits mois. Le temps d’une intersaison marquée par de la récupération et un travail de fond pour gagner encore en force et en robustesse tout en ne s’épuisant pas à la tâche. Résultat, à l’aube d’un Tour des Flandres 2021 revenu à sa traditionnelle date du premier dimanche d’avril (pour cause de Covid, il fut disputé en 2020 au mois d’octobre), Anthony Turgis arrive auréolé de plusieurs belles performances sur les classiques de début de saison. Deuxième de Kuurne-Bruxelles-Kuurne en février, 10e de Milan San Remo, puis 12e du Grand Prix E3 et 9e de Gand-Wevelgem la semaine dernière. « Il ne manque pas grand-chose, observe avec bienveillance Dominique Arnould, son directeur sportif chez Total Direct Energie. Ça viendra, je ne me fais pas de souci. Une victoire, ça tient à des petits détails, au petit brin de réussite. » A de l’amour aussi pour ces courses typiques de l’ouest de la Belgique. Car Dominique Arnould le jure, « pour pouvoir y performer, il faut avant tout les aimer. »
Fan de Jan Ullrich
Et c’est précisément le cas de celui dont le modèle, étant gamin, n’était autre que Jan Ullrich, l’Allemand vainqueur du Tour de France 1997. Il apprécie devoir partir dès le matin avec l’esprit conquérant sur ces petites routes sinueuses, exposées aux quatre vents, parfois pavées, souvent marquées par des passages plus raides que dans les plus grands cols des Alpes. Comme sur le Tour des Flandres, la montée du mythique Oude Kwaremont et son ambiance complètement survoltée où les supporters s’empiffrent de frites, de gaufres et de bière dès 8 heures du matin. Ou pire encore celle du Paterberg et son mur éclair aux passages à 20,3%; placé en fin de parcours et dans lequel la plupart des coureurs pédalent sacrément dans le houblon.
Anthony Turgis aime ces courses où l’écrémage se fait par l’avant, où seuls les plus forts gagnent le droit au bout de 250 bornes de se disputer la victoire. Où le hasard finalement n’a qu’un rôle très marginal sur l’issue des débats. « A part la haute montagne sur les grands Tours, les Flandriennes sont les courses les plus dures du calendrier assure-t-il. Beaucoup de coureurs recherchent ça car ça permet de mieux se jauger par rapport aux autres. Il y a une petite part de chance pour éviter les chutes et les crevaisons, mais le plus important c’est l’apprentissage, la tactique de course pour anticiper ces scenarios atypiques où l’on n’attend pas la dernière montée pour faire la décision. »
Un nouveau leader soutenu par Terpstra et Boasson Hagen
A 26 ans, alors qu’il dispute sa septième saison en professionnel, Anthony Turgis revendique désormais un certain bagage. Devenu l’unique leader de sa formation sur les Flandriennes, il peut à ce titre compter cette saison sur le soutien de bon aloi des deux sages, Nikki Terpstra et Edvald Boasson Hagen, vieux routiers des pavés. Le Néerlandais, ancien vainqueur de Paris Roubaix et du Tour des Flandres, lui apporte son côté très pointilleux sur le matériel, son esprit de course et son expérience du leadership. Le Norvégien, vainqueur de trois étapes sur le Tour de France, est lui arrivé cet hiver avec dans sa besace une rare maestria dans l’art du placement. Un cocktail tout bénéfique pour Turgis (1m79, 79 kg) et son gabarit un peu plus confidentiel. « Grâce à eux, et grâce à ses performances depuis 2019, Anthony assume aujourd’hui totalement ce rôle de leader, explique Dominique Arnould. C’est un excellent capitaine de route, il voit très bien la course, il laisse la possibilité à d’autres de partir loin de l’arrivée. On l’entend souvent dans l’oreillette, dire à untel ou untel qu’il faut partir dans un coup ou combler un trou s’il se sent en danger. »
Au-delà de cette intelligence tactique, Anthony Turgis a aussi pour lui un éventail technique assez redoutable en adéquation avec les qualités typiques du bon coureur flahute. Excellent rouleur depuis sa jeunesse, il est également un puncheur reconnu, et dispose par ailleurs d’une pointe de vitesse intéressante qui en fait l’un des coureurs les plus polyvalents sur les classiques. « Plus jeune j’ai délaissé le sprint pour privilégier les échappées car je roulais bien, se souvient celui qui a notamment remporté en solitaire la Classique Loire Atlantique en 2016. Mais maintenant pour terminer tout seul au plus haut niveau, c’est compliqué. Du coup j’ai travaillé ma pointe de vitesse ces dernières années et j’ai bien progressé. Un pur sprinteur ira toujours plus vite que moi sur une course à étapes normale. Mais sur une classique au bout de 250 kilomètres, il y a de la fatigue, la donne change et je peux battre des coureurs très rapides. »
Petit à petit, Anthony Turgis a fini par faire son trou. Sans faire de vagues, posément, intelligemment, avec discernement et avec la conviction forte qu’il a un rôle à jouer et une place à aller chercher, la première, la seule qui compte vraiment dans le vélo et à ses yeux. « A mes tous débuts j’étais engagé sur certaines courses et quand j’arrivais sur la ligne de départ, je disais à mes parents ‘Non je n’ai pas envie de courir’, se souvient d’ailleurs le coureur francilien. Ils me demandaient pourquoi ? Je leur répondais: ‘Parce que je n’arriverai pas à gagner la course comme Jimmy, mon grand frère’. » Ado et déjà perfectionniste.
Une famille de cyclistes marquée par une maladie cardiaque
Jimmy justement, le frère aîné, Tanguy aussi, le benjamin de la fratrie des Turgis, sont comme Anthony passés professionnels. Logique, vue la culture de cette famille reconnue du cyclisme local en Ile-de-France, avec un papa et une maman eux aussi anciens cyclistes. Mais contrairement à Anthony, les deux jeunes hommes ont dû remiser le vélo au garage l’un après l’autre à cause d’une maladie cardiaque héréditaire qui pouvait conduire à tout moment à un accident potentiellement fatal en plein effort. « Ce n’est pas agréable, c’est même difficile à vivre, confie Anthony Turgis. Mais on est conscients qu’il vaut mieux arrêter, que de perdre la vie. De mon côté, je passe des examens tous les ans, et il n’y a aucun problème, donc tant qu’on me donne ma licence et que je n’ai pas de symptômes, je continue sans me poser de questions. »
Nul doute que chez les Turgis ce dimanche, le maillot rouge et bleu d’Anthony ainsi que ses lunettes à montures blanches reconnaissables entre mille seront scrutés à chaque instant sur l’écran de télé familial. Le coureur, lui, ne se prend pas la tête et estime avoir encore le temps pour progresser et s’approcher encore plus de la victoire, donnant l’exemple du champion olympique Greg Van Avermaet, qui n’a remporté sa première grande classique (le circuit Het Nieuwsblad) qu’à l’âge de 30 ans. Pour son directeur sportif, Dominique Arnould, quand on regarde le plateau du Tour des Flandres 2021, « Turgis reste l’un des grands favoris derrière Van Der Poel, Van Aert et Alaphilippe, car dans ce genre d’épreuves, ce n’est pas forcément le plus fort qui gagne ».
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