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Les porte-conteneurs à l’instar de l »Ever Giver », qui a bloqué le canal de Suez du 24 au 29 mars, charrient presque autant de marchandises que de nuisances. Ils polluent les airs, les mers et portent de lourds préjudices à la faune et la flore marine.
Vous avez dit « Ever Green » ? Littéralement, « toujours vert », en français ? La compagnie maritime taïwanaise exploitant le navire « Ever Given », ce porte-conteneurs qui a bloqué durant six jours le canal de Suez, n’a de « vert » que le nom. Les nuisances de ces géants des mers sont aussi importantes que leurs capacités de stockage.
Après des heures d’angoisse, les autorités maritimes ont victorieusement annoncé lundi 29 mars que le bateau de 400 mètres de long et de plus de 220 000 tonnes battant pavillon panaméen allait poursuivre sa navigation, entraînant dans son sillage reprise du trafic, stabilisation des cours du pétrole et… soulagement. Mais pas de tout le monde. « Vous trouvez normal qu’un simple coup de vent suffise à paralyser l’économie ? », interroge Denis Ody, responsable du programme cétacé au WWF, contacté par France 24. « Et vous trouvez normal que ces navires aient un tel impact sur la faune et la flore marine ? Pas moi. »
Il faut dire que ces immenses bateaux sont toujours plus gros et toujours plus nombreux. Près de 90 000 navires parcourent les océans de la planète tout au long de l’année : cargos, porte-conteneurs, pétroliers, gaziers, ferries ou encore paquebots. Quelque 80 % des marchandises dans le monde sont transportées par voie maritime, soit un peu plus de 10 milliards de tonnes de marchandises chaque année. Le marché du transport maritime se porte à merveille : chaque année, il enregistre une hausse de 3 à 4 %. « La crise sanitaire a aussi contribué à son développement avec l’arrêt du fret aérien », explique à France 24 Antidia Citores, porte-parole de Surfrider Foundation Europe.
Émissions atmosphériques et eaux de ballast
Les ONG environnementales sont formelles : les nuisances de ces bâtiments flottants sont dévastatrices. À commencer par les émissions atmosphériques qu’ils dégagent. Certes, de moins en moins de porte-conteneurs naviguent avec des fiouls lourds comme cela est toujours le cas de navires plus modestes. « Il n’empêche que la force de propulsion de ces navires est telle qu’ils rejettent des tonnes de souffre, d’azote et d’émissions carbonées », précise Antidia Citores. Selon un expert allemand reconnu, Axel Friedrich, un gros porte-conteneurs dégage autant de particules fines qu’un million de voitures. À Marseille, « on estime que 10 à 20 % des particules en suspension de la ville viennent du maritime », avance Dominique Robin, directeur d’Air Paca.
Au problème des carburants s’ajoute celui des eaux de ballasts. Pour rester stable, un porte-conteneurs, dont la cargaison est stockée parfois très haut, possède un double fond souvent rempli d’eau de mer pour contrebalancer le poids en hauteur. En pompant l’eau dans un port et en la déversant dans un autre port à des milliers de kilomètres, on déplace aussi des micro-organismes marins hors de leur zone endémique. « C’est comme cela que les navires importent dans leurs cuves des espèces invasives qui vont supplanter les écosystèmes, abonde la responsable de Surfrider. Le lac Saint-Laurent au Canada, envahi par la moule zébrée, en est un exemple édifiant. »
Les « fréquentes » chutes accidentelles de conteneurs
Impossible de ne pas évoquer les dégazages sauvages quand on évoque les navires de transports. « Les eaux internationales sont un véritable far west, estime Ludovic Lefevre, référent scientifique et bénévole à Sea Shepherd France. Si les talus côtiers sont relativement bien contrôlés par les autorités maritimes, il est en revanche très difficile de maîtriser les dégazages et les nettoyages de cuves de ces navires dans ces espaces où ils sont difficilement décelables par les satellites. »
Il n’est pas rare non plus de constater des chutes de conteneurs. « Chaque année, des milliers de ces boîtes de stockage flottent puis coulent au fond des océans sans qu’il y ait pour autant de naufrage. Ces accidents, très fréquents, s’avèrent extrêmement polluants », insiste Antidia Citores. Lorsque le Grande America a fait naufrage dans le golfe de Gascogne, à 300 km des côtes françaises, le 12 mars 2019, la préfecture maritime de l’Atlantique a détaillé le contenu des conteneurs du navire. La liste fait froid dans le dos. Il transportait – notamment, mais pas seulement – plus de 2 100 véhicules et des centaines de tonnes de substances dangereuses, dont 720 tonnes d’acide chlorhydrique, 85 tonnes d’hydrogénosulfure de sodium (un agent de blanchiment), 82 tonnes d’acide sulfurique, 62 tonnes de résine en solution, 25 tonnes de prothioconazole (un fongicide), 16 tonnes de white-spirit, entre autres produits chimiques. « Dans ce cas précis, la liste a été communiquée, mais combien de conteneurs tombés à l’eau dont on ne sait rien ? », se demande Ludovic Lefevre. « C’est d’ailleurs l’accumulation de ces conteneurs qui est préjudiciable. »
Les cétacés en première ligne
Les porte-conteneurs font également payer un lourd tribut aux animaux marins. Chaque année, plusieurs dizaines de cétacés sont tués après des collisions avec les navires. En Méditerranée, dans le Sanctuaire Pelagos où est concentrée une grande partie des cétacés, les navires parcourent plus de 18,5 millions de kilomètres, l’équivalent de 450 fois le tour de la Terre. Logiquement, le risque de collisions y est très important. « C’est même la première cause de mort accidentelle chez les cétacés. C’est très dommageable quand on sait que ces mammifères ont des taux de reproduction très faible. »
Depuis quelques années, « des navires sont équipés de caméras de surveillance pour voir les cétacés, notamment dans cette zone du Sanctuaire Pelagos, indique Antidia Citores, mais ces dispositifs de détection ne permettent que de les visualiser, pas de les éviter. »
Si tous les cétacés ne sont pas percutés, ils sont en revanche tous perturbés par le bruit. Les basses fréquences émises par les porte-conteneurs ont des conséquences néfastes sur leurs comportements. « De nombreuses études ont montré que le brouhaha permanent des navires entraînait des modifications sur leur reproduction, leurs flux migratoires, leur communication, et occasionnait des cas de surdité », explique Antidia Citores.
Pour avoir une idée de l’ampleur du phénomène, les comparaisons ne manquent pas. « Un rapport sur l’impact sonore dans la Manche et la mer du Nord, entre Cherbourg et Rotterdam où le transport maritime est intense, a révélé que le son qui se propageait dans la zone équivalait à celui d’une discothèque », indique Ludovic Lefevre, de Sea Sheperd. D’autres affirment que les basses fréquences des conteneurs font 100 fois plus de bruit qu’un réacteur d’avion.
On peut également s’interroger sur le bien-être des animaux qui sont embarqués sur ces embarcations géantes. Lors du blocage du canal de Suez, « des associations ont assuré que des animaux, notamment des moutons, avaient été passés par-dessus bord faute de nourriture, après avoir attendu trop longtemps dans des conditions difficiles », relève la militante de Surfrider.
Un trafic moins polluant est possible
Enfin, les voies maritimes et les infrastructures qu’empruntent ces géants des mers posent aussi question. « Il y a trois ans, le canal de Suez a été doublé pour augmenter le trafic et faciliter la navigation des porte-conteneurs, assure Denis Ody, du WWF. Cet élargissement a modifié les courants marins, modifié les niveaux des eaux, asséché le Nil, charrié des espèces invasives… Les conséquences sont immenses. »
Reste le démembrement des navires. Les porte-conteneurs ont en moyenne une durée de vie de 20 ans. Ils doivent ensuite être désossés et ces opérations sont, elles aussi, très polluantes. « Il est important que ces démembrements soient faits dans des pays occidentaux et pas en Inde dans des conditions environnementales et humaines déplorables », souligne Antidia Citores.
Des solutions existent-elles pour avoir un trafic maritime moins polluant ? Oui, affirme-t-on du côté des ONG. En réduisant la vitesse, les navires utilisent moins de carburant et percutent moins de mammifères marins. De plus en plus de bateaux naviguent par ailleurs à l’hydrogène et au GNL (gaz naturel liquéfié). D’autres se doteront bientôt de voiles pour limiter l’impact carbone. « Il faut saluer les progrès qui sont faits. Les ONG sont d’ailleurs régulièrement consultées dans l’écodesign des futurs navires qui circuleront dans 30 ans », précise Antidia Citores. « Mais pour vraiment bien faire, conclut Denis Ody, il faut surtout cesser d’acheter des biens de consommation courants qui proviennent de Chine et génèrent du trafic. »
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