Pour ses détracteurs, elle est l’incarnation de la bureaucratie irakienne, celle qui surveille les lignes budgétaires à l’excès. Ses admirateurs voient en elle l’unique phare dans un océan de corruption. Pour tous, Taïf al-Sami est une femme indépendante dans un monde d’hommes.
Des employés les bras chargés de formulaires entrent dans son bureau tandis que des députés en furie en sortent et dans le couloir s’élève sa voix inimitable: bienvenue chez Taïf al-Sami, 57 ans, sainte patronne des finances de l’Irak.
« Elle sort du lot parce qu’elle est aussi à l’aise dans les affaires administratives que financières », affirme à l’AFP le ministre des Finances Ali Allawi.
Mme Sami, qui a le dernier mot pour débloquer ou pas les fonds réclamés par hauts fonctionnaires et élus, détecte souvent des irrégularités.
En 2018, elle a ainsi annulé des bonus salariaux de « milliards de dinars », des centaines de milliers d’euros.
Une goutte d’eau comparée aux plus de 400 milliards d’euros engloutis par la corruption ces vingt dernières années. Mais Mme Sami joue quand même « un rôle majeur », assure un haut fonctionnaire.
« Sans elle, le pays se serait déjà noyé », poursuit-il, tout en souhaitant garder l’anonymat.
– Légende vivante –
Au ministère, sa légende est sur toutes les lèvres.
« Elle lit un document de l’oeil gauche et un autre du droit. Elle n’a besoin que d’un coup d’oeil rapide pour dire si un document est recevable ou pas », assure l’un de ses collègues.
Pourtant, gérer l’argent de l’Etat n’était pas la vocation première de cette diplômée de l’Université de Bagdad qui se rêvait diplomate.
Le régime socialiste de Saddam Hussein en décide autrement. Il lui attribue, comme à tous ses camarades, un poste dans la fonction publique. Celui vacant alors est à la direction du budget au ministère des Finances.
Elle n’en a pas bougé depuis, voyant l’Irak et l’Iran se faire la guerre dans les années 1980, son pays étouffé douze années durant par l’embargo et les Américains envahir Bagdad en 2003.
Depuis 2008, elle est à la tête de son département.
A l’époque des conflits, se rappelle-t-elle, « la majorité des bureaux étaient dirigés par des femmes parce que les hommes faisaient la guerre: nous, on assurait la survie des institutions ».
Aujourd’hui, elle est encore là pour l’Etat. De 06H30 à 17H00. Une fois chez elle, elle avale un repas, fait ses prières et recommence à travailler.
« J’aimerais bien dormir, même quatre heures, mais mon cerveau continue à travailler, à penser à tous ces formulaires », assure-t-elle, en paraphant lettres et décisions, en expliquant par SMS des procédures alambiquées. Et en évitant les visiteurs aux requêtes impossibles à satisfaire… parce qu’illégales.
« Dites-lui que je suis absente aujourd’hui », lance-t-elle à un assistant venu annoncer l’arrivée impromptue d’un député.
Pour les médias irakiens, elle est « la main cachée » qui impose austérité et licenciements. « Comme si j’avais tout l’argent de l’Etat dans ma poche », riposte Mme Sami. Pour elle, on l’accable parce qu’elle est femme et hors des réseaux clientélistes des partis.
– « Mon cher, c’est faux! » –
Une indépendance qu’elle dit payer cher. Le jour où elle a fait transférer certains de ses employés parce qu’elle a découvert qu’ils empochaient des pots-de-vin pour bloquer des procédures, d’énormes 4X4 aux vitres fumées ont assiégé sa maison.
« Une autre fois, une personne à qui j’avais refusé une requête a menacé de me jeter par la fenêtre », raconte-t-elle.
Si elle rejoignait un parti, elle serait, dit-elle, « intouchable ».
« Elle crie: +je n’ai pas d’argent+ à tous ceux qui entrent dans son bureau, ils ont tous peur », rapporte un collègue.
Jusqu’au plus haut niveau de l’Etat: dans une réunion avec l’ancien Premier ministre Adel Abdel Mahdi, « elle l’a interrompu en lui disant: +mon cher, vous ne comprenez pas, c’est faux+ », raconte-t-il en souriant.
« Ils disent que je parle fort, que je suis agressive, mais c’est seulement ma façon de parler, je m’emballe quand j’explique les choses », dit-elle à l’AFP, d’une voix forte et excitée.
Pour beaucoup, elle est aussi un vestige de la bureaucratie productrice de papiers et de grands livres poussiéreux, récalcitrante à la transition technologique.
Mais, adaptée à son temps ou pas, elle reste là.
« Dieu peut périr mais Taïf al-Sami sera toujours au ministère des Finances », assène un de ses détracteurs.
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