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Rwanda : quelles répercussions judiciaires peut avoir le rapport Duclert ?

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Un volumineux rapport sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 a été remis vendredi au président Macron. Pour l’heure, une trentaine d’enquêtes sont en cours à Paris, mais rares sont celles qui s’intéressent aux responsabilités dans les cercles dirigeants français.

Vingt-sept ans après les massacres qui ont fait 800 000 morts en trois mois dans le petit pays d’Afrique centrale, le rapport remis vendredi 26 mars constitue un éclairage déterminant sur l’implication de la France, qui resta jusqu’au bout l’allié du régime hutu de Kigali.

Selon le rapport Duclert, fruit de deux années d’analyse des archives, les autorités françaises portent « des responsabilités lourdes et accablantes » dans la dérive ayant abouti au génocide des Tutsi en 1994.



« Rien ne vient démontrer » qu’elle se sont rendues ‘complice’ du génocide, « si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire », estime toutefois la commission d’historiens qui a rédigé le document.

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Après sa remise vendredi, l’Élysée a assuré dans un communiqué que la France poursuivrait « ses efforts en matière de lutte contre l’impunité des personnes responsables de crimes de génocide ».

Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères (1997-2002), secrétaire général de l’Élysée de mai 1991 à mai 1995, a salué vendredi auprès de l’AFP « l’honnêteté » du rapport qui a « écarté toute complicité de la France ». Il a déploré toutefois « les critiques très nombreuses et sévères » du rapport, visant notamment l’ancien président socialiste François Mitterrand, qui « ne tiennent aucun compte du fait que la France n’a fait que réagir à partir de 1990 à l’attaque du FPR [tutsi] ».

Bernard Kouchner, ancien ministre de la Santé et de l’Action humanitaire sous la présidence de François Mitterrand (de 1992 à 1993), s’était rendu au Rwanda pendant le génocide. Il a rappelé vendredi avoir « appelé deux fois le président François Mitterrand pour le prévenir » de la gravité de la situation : « il m’a écouté et m’a dit : vous exagérez ».

Une trentaine de plaintes déposées en France

En raison des liens historiques entre Paris et le régime du président rwandais Juvénal Habyarimana, tué dans un attentat le 6 avril 1994, nombre de personnes soupçonnées d’être des génocidaires ont trouvé refuge en France après 1994.

Plusieurs ont été arrêtées, mais la Cour de cassation s’est constamment opposée aux extraditions vers leur pays de Rwandais soupçonnés d’avoir pris part au génocide, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi.

Ainsi, Paris a refusé d’extrader Agathe Habyarimana, veuve de l’ex-président rwandais, soupçonnée d’être impliquée dans le génocide, ce qu’elle conteste. Une enquête la visant est ouverte à Paris depuis 2008.

Pour Alain Gauthier, du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) à l’origine de près d’une trentaine de plaintes déposées en France, « ce n’est pas la première fois » que l’Élysée promet de juger les présumés génocidaires rwandais.

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« La justice avance lentement depuis longtemps, il n’y a pas eu de procès depuis 2018, les personnes renvoyées devant les assises gagnent du temps en faisant appel », regrette Alain Gauthier. 

À ce jour, seules trois personnes ont été condamnées définitivement par la justice française dans des procès liés au génocide, à vingt-cinq ans de prison pour un ex-officier de la garde présidentielle, à la perpétuité pour deux anciens bourgmestres.

Déjà reporté à deux reprises en raison de la crise sanitaire du Covid-19, le procès d’un ancien chauffeur d’hôtel franco-rwandais doit débuter en novembre.

Trois autres enquêtes ont donné lieu à des renvois devant les assises, qui font encore l’objet de recours. Et par ailleurs, 31 informations judiciaires et deux enquêtes préliminaires sont actuellement en cours au pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris.

L’opération Turquoise

Elles visent surtout des personnes physiques, ou le groupe BNP-Paribas, accusé par des ONG d’avoir financé en 1994 un achat d’armes au profit de la milice hutu.

Une autre vise le capitaine Paul Barril, ancien de la cellule antiterroriste de l’Élysée sous François Mitterrand, qui aurait pu, selon les ONG qui ont porté plainte contre lui, être utilisé au service d’une « stratégie indirecte » de la France pour soutenir le régime rwandais face aux rebelles de l’actuel président Paul Kagame.

Avec le rapport, les regards se tournent vers un autre dossier brûlant, celui des éventuelles responsabilités de l’armée française lors de l’opération Turquoise, accusée par des survivants d’avoir abandonné des centaines de Tutsi ensuite massacrés sur les collines de Bisesero, fin juin 1994.

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En juillet 2018, les juges ont clos leurs investigations sans prononcer de mise en examen, ouvrant la voie à un non-lieu. Depuis, ils ont toujours refusé de relancer l’enquête en procédant à de nouvelles auditions ou des confrontations, comme l’ont réclamé plusieurs fois les parties civiles.

« Le rapport apporte dans ses conclusions la preuve que l’appareil politique et militaire était bien plus impliqué que ce qu’il disait », constate Éric Plouvier, avocat de l’association Survie. Pour lui, c’est désormais un « débat judiciaire, et non d’historiens, qui doit s’ouvrir » sur la notion de « complicité ».

« Ce n’est pas à une commission d’historiens de qualifier juridiquement ou non [si la France a été complice ou pas du génocide] », abonde Patrick Baudouin, avocat de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), également partie civile. Avec ce rapport, estime-t-il, « on ne peut plus imaginer que l’instruction sur Bisesero se termine par un non-lieu ».

Avec AFP

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