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Journaliste au bureau européen du « Monde », à Bruxelles, Virginie Malingre a répondu aux questions des internautes sur la stratégie d’approvisionnement en vaccins au sein de l’UE.
mimo : Est-ce que la France peut, indépendamment de l’Union européenne, commander des vaccins tels que le Spoutnik V – si ce dernier est approuvé par la Haute Autorité de santé mais pas par l’Agence européenne des médicaments ?
Virginie Malingre : Oui. La France peut recourir à une procédure d’autorisation d’urgence qui lui permet d’autoriser la mise sur le marché d’un vaccin sans attendre l’Agence européenne des médicaments. Mais, dans ce cas, les contrôles sanitaires sont beaucoup plus légers et l’Etat prend à sa charge toute la responsabilité juridique si jamais ce vaccin devait avoir des effets secondaires. Le laboratoire, lui, en serait totalement exonéré.
Statman : Pouvez-vous donner les chiffres et donc les écarts sur ce qui devait être livré et ce qui a été effectivement livré par AstraZeneca aux Européens ?
AstraZeneca s’était engagé à livrer 120 millions de doses au premier trimestre et 180 au deuxième. Ce sera 30 et 70 millions de doses, si tout se passe bien.
Corentin : Y a-t-il des contrats en cours de négociation avec des nouveaux labos comme Johnson & Johnson ?
Aujourd’hui, la Commission a signé des contrats avec six laboratoires : Moderna, Pfizer-BioNTech, AstraZeneca, Johnson & Johnson, Curevac et Sanofi. Quatre vaccins ont à ce stade été approuvés : Moderna, Pfizer-BioNTech, AstraZeneca, et tout dernièrement Johnson & Johnson, dont les livraisons commenceront mi-avril. On sait déjà que le vaccin de Sanofi ne verra pas le jour à court terme. Celui de Curevac devrait être autorisé par l’Agence européenne des médicaments en mai. La Commission est encore en négociation avec deux autres laboratoires : Valneva et Novavax.
Patrick : Les tensions au niveau du vaccin paraissent particulièrement vives entre l’Europe et le Royaume-Uni. Pourtant, il ne s’agit là que d’un conflit concernant AstraZeneca. Qu’en est-il des autres vaccins ? L’Europe rencontre-t-elle des problèmes similaires avec d’autres fournisseurs ?
L’Europe a pu rencontrer ponctuellement des problèmes avec Moderna et Pfizer, qui ont eu quelques soucis dans des usines. Mais cela n’a pas duré et ces laboratoires respectent leurs engagements, voire font mieux dans le cas de Pfizer.
AstraZeneca a signé des contrats avec l’Europe et le Royaume-Uni qui ne sont pas compatibles : l’entreprise a en effet promis à Londres que les 100 premiers millions de doses lui seraient réservées tout en s’engageant sur des livraisons aux Européens qu’elle ne pouvait pas honorer. Le contrat d’AstraZeneca avec la Commission fait état des usines qui doivent être mises à contribution pour livrer l’Europe et on y trouve deux sites britanniques. De fait, aucun vaccin n’a jamais été exporté du Royaume-Uni vers l’Union européenne et donc ces deux sites n’ont pas livré l’Europe.
Clembol : L’approbation des vaccins russes et chinois en Europe est-elle plus longue que pour les autres vaccins déjà autorisés ?
En fait, les Russes n’ont que très récemment déposé un dossier auprès de l’Agence européenne des médicaments. Quant aux Chinois, ils ne l’ont pas fait. L’Agence européenne des médicaments autorise des vaccins même s’ils ne sont pas produits en Europe.
En revanche, dans les contrats qu’elle a signés avec les laboratoires, la Commission demande que la production soit européenne. Mais à ce stade, il n’y a pas de négociations entre la Commission et les laboratoires russes ou chinois. Ce qui n’empêche en rien l’Agence européenne des médicaments d’autoriser ces vaccins. Mais il n’y aura pas d’achat en commun des Vingt-Sept. Sauf si, bien sûr, ils décidaient de négocier avec les Russes ou les Chinois.
gaetano : Pourriez-vous rappeler les chiffres précis d’exportation de vaccins depuis l’UE vers le reste du monde ? Vers quelles régions l’UE a-t-elle exporté ? L’UE a-t-elle importé des vaccins ? Enfin, où sont les usines de production en Europe ?
L’Europe a exporté plus de 40 millions de doses de vaccins en dehors de l’Union européenne depuis le 1er février. Vers 33 pays, dont le Royaume-Uni (des vaccins Pfizer) pour 10 millions de doses. L’Europe n’a pas importé de vaccins à ma connaissance. Mais des composants, oui. Notamment en provenance des Etats-Unis ou du Royaume-Uni (des lipides nécessaires à la fabrication du vaccin de Pfizer). Les usines sont surtout en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne et aussi en France et en Italie.
Juriste : Les difficultés à faire respecter le contrat par AstraZeneca sont-elles culturelles ? L’UE serait-elle moins procédurière que les pays anglo-saxons, dans sa rédaction des contrats et dans les leviers juridiques pour imposer leur application ?
L’Union européenne a peut-être été un peu plus naïve. Mais ce n’est plus le cas à ce stade. Elle a mis la pression sur le Royaume-Uni afin que des doses produites outre-Manche soient acheminées sur le continent conformément à ce que prévoit son contrat avec AstraZeneca. Pour, l’instant Londres résiste, mais la discussion est en cours.
Ceci dit, AstraZeneca ne parvient pas à produire ses vaccins et même le Royaume-Uni en subit désormais les conséquences. Thierry Breton, le commissaire chargé du volet industriel de la stratégie vaccinale européenne, s’active pour essayer de trouver des solutions. Une erreur de la Commission a sans doute été de ne se préoccuper de ce volet industriel que tardivement – fin janvier.
Marina : Que signifie le volet industriel de la stratégie vaccinale mené par Thierry Breton ? Quel est son rôle ?
Son rôle est d’être en contact avec les entreprises pour savoir exactement quel est l’état de leur production. Et pour les aider, si nécessaire, en cherchant de nouveaux sites, ou des lignes de production ailleurs à reconvertir, ou des partenariats à lier avec d’autres industriels. La production de vaccins nécessite près de 400 composants qui viennent de partout dans le monde et aussi des équipements (par exemple, des énormes sacs que l’on met dans les cuves et qui ne sont pas produits en Europe) dont il faut assurer l’acheminement. En sachant que tout le monde en veut.
Frédéric : Pourquoi la Commission européenne n’a-t-elle pas jugé bon de soutenir financièrement la production massive de vaccins en Europe une fois que l’Agence européenne des médicaments avait donné son feu vert pour tel ou tel laboratoire ? Faisait-elle uniquement confiance aux lois du marché ?
La Commission a soutenu financièrement la production. Dans les contrats qu’elle a signés avec les laboratoires (très en amont donc de l’existence même des vaccins), elle leur a donné de l’argent – 2,9 milliards d’euros – en plus de l’achat futur des doses, afin qu’ils soient prêts industriellement quand leur vaccin recevrait l’autorisation de mise sur le marché.
Mais la Commission n’a sans doute pas suivi d’assez près la manière dont les laboratoires – en tout cas AstraZeneca ; encore une fois les autres, à ce stade, ne posent pas de problème majeur – se préparaient industriellement à produire. Il faut comprendre que jamais des vaccins n’ont été développés si vite – en moins d’un an – et que jamais il n’a fallu produire en masse en des temps si serrés. Il faut aussi savoir que la production d’une dose de vaccin prend deux mois et que donc, même quand on a ajusté des capacités industrielles, cela n’a pas un effet immédiat.
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