Des « contrôles de masse » de salariés au sein d’Ikea France: l’ancien directeur de la sécurité a reconnu jeudi qu’un système de « vérification » a bel et bien existé, devant le tribunal correctionnel de Versailles où la question de la responsabilité des dirigeants a longuement été débattue.
Antécédents judiciaires, patrimoine, train de vie, situations familiales jusqu’aux prénoms des enfants: la présidente a circonscrit jeudi le périmètre de ces « vérifications » qui visaient des employés mais aussi des clients avec lesquels Ikea France était en litige.
Selon l’accusation, la vie de plusieurs centaines de personnes, dont des syndicalistes, a ainsi été scrutée, à travers toute la France.
Si pour des questions de prescription les prévenus comparaissent pour des faits couvrant la période 2009-2012, ces pratiques remontaient au début des années 2000 selon l’enquête.
Dans cette affaire dite d’espionnage dont le procès a débuté lundi, la filiale du géant de l’ameublement suédois, poursuivie comme personne morale, encourt jusqu’à 3,75 millions euros d’amende.
Quinze personnes physiques sont également jugées, dont des directeurs de magasins, des fonctionnaires de police mais aussi d’anciens dirigeants, tels que l’ancien PDG Stefan Vanoverbeke (2010-2015) et son prédécesseur Jean-Louis Baillot.
Au cœur de ce « système », Jean-François Paris, directeur de la gestion des risques d’Ikea France de 2002 à 2012, aujourd’hui âgé de 56 ans.
Il a notamment reconnu avoir transmis des listes de personnes « à tester » – reçues de directeurs de magasins – à Jean-Pierre Fourès, un ancien policier, patron de la société d’investigations privée Eirpace.
-« Tout le monde savait »-
Aujourd’hui à la retraite, ce dernier est accusé d’avoir eu recours à un fichier de police informatisé lui permettant d’accéder à des données aussi confidentielles que le passé judiciaire des salariés.
Ainsi à Bordeaux, des échanges de courriels rédigés entre 2003 et 2008 révèlent les préoccupations de M. Paris au sujet d’ »un employé modèle devenu du jour au lendemain très revendicatif ». « Nous souhaiterions savoir d’où vient ce changement », demandait-il, « prosélytisme divers ? (…) Risque de menace écoterroriste ? »
En 2003, à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), M. Paris s’interroge sur le train de vie de « notre ami » qui « roule en BMW décapotable +neuve+ ». En 2008, à Rouen (Seine-Maritime), une « fournée » de 203 personnes est soumise à vérification, selon les propres mots de M. Paris.
« A partir de 2000, on a été confronté à une série de vols à main armée dans les magasins », avait-il affirmé lundi à la barre pour justifier la mise en place de ce système.
Jeudi, vêtu d’un sobre costume marine, toujours avec calme et précision, le responsable sécurité a justifié ses mails. Et pointé la responsabilité selon lui du PDG Jean-Louis Baillot, qui, lors d’un déjeuner au restaurant d’entreprise, aurait décidé que les salariés seraient désormais « vérifiés », « pour ne pas reproduire ces erreurs ».
Cette surveillance était soit « ponctuelle, à la demande des directeurs de magasins » (comme à Toulouse, Bordeaux, Vélizy, Franconville, Paris-Nord, Dijon, selon lui) ou « généralisée » lors de l’ouverture de magasins.
Des « contrôles de masse » qui ont cessé en 2011 « parce que Monsieur Baillot a quitté Ikea France », a assené M. Paris.
« Ça coûtait un certain montant », a rappelé Jean-François Paris. D’après l’instruction, la filiale allouait un budget de 30.000 à 600.000 euros par an à plusieurs sociétés d’investigation.
Après les révélations de l’affaire dans la presse, Jean-François Paris est « écarté » par la direction, en raison de son opposition aux directives nationales. « Quand la direction de la communication a demandé de nier (les faits), j’ai dit que ce n’était pas possible car tout le monde le savait », a-t-il lâché.
« Très rapidement, l’entreprise s’est détachée de ses responsabilités », a attaqué l’ancien responsable, taclant la « lâcheté de la société qui a mis en place ce système ».
« J’ai pris la mesure de la gravité des faits, (…) des dégâts causés dans nos vies à tous », a encore déclaré Jean-François Paris, avant de présenter ses excuses « à tous ceux qu’il a blessés ».
Une démarche « saluée » par plusieurs avocats des parties civiles.
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