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Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Joe Biden a commencé à donner des gages à ceux, de plus en plus nombreux à droite comme à gauche, qui veulent mettre les géants de la Tech au pas. Mais est-ce que le président américain a les moyens de faire de son mandat un cauchemar pour Google, Facebook ou Amazon?
Les nuages s’accumulent à l’horizon pour les géants de l’Internet. D’un côté, les PDG des trois principales plateformes – Google, Facebook et Twitter – sont de nouveau à la barre du Congrès, jeudi 25 juillet, pour évoquer l’omniprésente désinformation sur les réseaux sociaux.
Mais ceci ne représente que ce qui se passe sous le feu des projecteurs. Un autre combat semble se préparer en coulisse, peut-être plus dangereux pour les Mark Zuckerberg (PDG de Facebook), Sundar Pichai (patron de Google) ou Jeff Bezos (PDG d’Amazon) que les questions des élus.
Des paroles aux actes
L’administration de Joe Biden paraît se mettre en ordre de bataille pour mettre les titans de la Tech au pas et réduire leur influence qui apparaît, sondage après sondage, trop grande aux yeux des Américains.
« Après la présidence Obama, marquée par une coopération entre le gouvernement et la Silicon Valley, celle de Donald Trump qui exprimait une certaine hostilité à l’égard de ces sociétés, mais essentiellement sur des questions de liberté d’expression, Joe Biden semble lui aussi vouloir en découdre, pour des raisons plus profondes que ses prédécesseurs, qui ont trait, notamment, au droit de la concurrence », résume Thibault Schrepel, spécialiste du droit de la concurrence à l’université de droit d’Utrecht et à Stanford, contacté par France 24.
Durant la campagne, Joe Biden s’était exprimé en faveur de nouvelles règles pour limiter le risque d’abus de position dominante de Google et Amazon. Il avait également affirmé que Facebook ou Twitter devaient être légalement tenus pour responsables des contenus haineux ou de la désinformation qui circulaient sur leur plateforme.
Depuis son arrivée à la Maison Blanche, le démocrate a commencé à passer des paroles aux actes. Par petites touches d’abord, en nommant l’activiste anti-Big Tech Tim Wu et Lina Khan, connue pour ses attaques véhémentes contre Amazon, aux postes de conseiller économique du président et commissaire à la FTC (Federal Trade Commission, l’autorité de régulation du commerce). « C’est un signal important car c’est la première fois qu’un président nomme des vrais spécialistes de ces questions à des fonctions où ils peuvent avoir un impact », souligne Martin Moore, spécialiste de la régulation des médias et de la communication politique au King’s College de Londres, contacté par France 24.
Ce n’est qu’un début. « Pour l’instant, j’attends de voir. Il est intéressant de noter, par exemple, qu’il n’a pas proposé Lina Khan pour le poste de patronne de la FTC, qui est pourtant également vacant. Donc je ne sais pas encore à quel point ces titans de la Tech doivent avoir peur de la nouvelle administration », estime Thibault Schrepel.
Joe Biden est en tout cas poussé sur sa gauche par des démocrates qui veulent en découdre. En octobre 2020, la majorité démocrate à la Chambre des représentants avait publié un rapport choc de 440 pages pour poser les fondations d’une politique agressive pouvant aboutir au démantèlement des Gafam.
Un consensus politique
Si le président américain suit l’aile gauche de son parti, peut-il réellement réussir là où ses prédécesseurs ont échoué, à savoir changer les règles du jeu pour des multinationales ultrapuissantes qui dépensent sans compter en lobbying et ne manquent pas une occasion de rappeler le nombre d’emplois qu’elles ont créés aux États-Unis.
Son principal avantage « est la dynamique actuelle qui joue en défaveur des Gafam », estime Martin Moore. Scandale après scandale, l’image de ces géants du Net s’est écornée dans l’opinion publique. Mais plus important : « C’est l’un des rares sujets aux États-Unis où il y a un consensus entre les démocrates et les républicains », souligne le spécialiste du King’s College.
Ce serait une occasion en or de marquer des points politiques pour Joe Biden, qui aime vanter ses talents de rassembleur et sa capacité à obtenir des compromis avec les républicains. « C’est un thème idéal pour Joe Biden », confirme Martin Moore.
Mais encore faut-il savoir quoi faire. Les républicains appellent à l’abrogation ou la réforme de la section 230, une réglementation qui empêche de poursuivre les réseaux sociaux pour les contenus postés sur les plateformes par les utilisateurs. Les démocrates ne sont pas non plus des grands fans de cette règle, estimant qu’elle permet à Facebook ou YouTube de traîner des pieds pour faire le ménage parmi les « fake news » et les contenus racistes qui prolifèrent sur les réseaux sociaux.
C’est pourtant un terrain miné. « Si on ajoute des règles, le risque est que les grands groupes, qui ont des moyens financiers et humains conséquents, s’y conforment sans problème tandis que les petites plateformes concurrentes n’y arriveront pas. Au final, ça ne fera que renforcer la position dominante de Facebook ou Twitter », prévient Martin Moore. Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, en est conscient et c’est pourquoi dans son allocution, jeudi, devant les élus, il a plaidé pour une réforme de la section 230.
Les Chinois à l’affût ?
S’attaquer à cette réglementation risque donc, à cause de cette inégalité financière, de renforcer le pouvoir des Big Tech, à l’inverse de ce que demandent les démocrates… Le président peut reprendre les propositions du rapport d’octobre 2020 qui pousse à réformer en profondeur le droit de la concurrence aux États-Unis.
Au risque, cette fois-ci, d’avoir un soutien beaucoup plus tiède de la part des conservateurs. Les règles actuellement en vigueur ont pris forme sous la présidence de l’une des figures historiques de la droite américaine : Ronald Reagan. C’est une approche très étroite de l’abus de position dominante, qui a favorisé l’émergence de grands champions économiques américains.
Pour Thibault Schrepel, il y aurait peut-être une manière plus consensuelle d’aborder ce vaste chantier. Une réforme qui serait politiquement plus neutre serait de mettre davantage d’experts de ces questions au sein des autorités compétentes. « L’un des problèmes aujourd’hui, c’est que ces agences n’ont pas les compétences pour détecter les pratiques anticoncurrentielles, et la plupart des cas examinés par les tribunaux proviennent de concurrents qui déposent plainte. Il faut que ces autorités soient plus proactives », estime le spécialiste de l’université d’Utrecht.
Mais même si Joe Biden réussit à trouver une manière de s’attaquer aux titans de la Tech qui fasse plaisir à tout le monde, il y a un autre obstacle qui peut faire tout capoter : la Chine. « Toute mesure qui vise à affaiblir le pouvoir des groupes américains risque d’être perçue comme une bénédiction pour les concurrents chinois, comme Alibaba et Tencent, qui sont à l’affût pour prendre des parts de marché », résume Martin Moore, du King’s College de Londres. Et, politiquement, la dernière des choses dont Joe Biden ait besoin, en cette période de relations tendues avec Pékin, c’est de donner l’impression qu’il fait un cadeau aux concurrents chinois de Google, Facebook ou Amazon.
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