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Depuis 2019, une dizaine de migrants ont été enterrés dans le cimetière Humci, à Bihac. Les tombes ne portent généralement pas les noms des exilés morts mais les autorités ont pu définir les causes des décès. Ici, personne n’est décédé « de mort naturelle ».
En lisant les inscriptions sur les stèles des tombes du cimetière Humci, à Bihac, on constate que la majorité des défunts sont nés dans la région. Mais en contrebas du cimetière, une stèle en pierre blanche fait référence à une ville bien plus lointaine. « Abdulhamed Noori, né à Hérat, Afghanistan », peut-on y lire.
À côté, plusieurs stèles vertes comportent la mention « NN Lice », « Personne non-identifiée » en bosnien. Sur certaines, le lieu du décès a été ajouté. Les corps de « NN Lice 1 », « NN Lice 2 » et « NN Lice 3 », sans doute découverts en même temps, ont été enterrés côte à côte. Juste devant, une minuscule tombe est surmontée d’une stèle où ne figure qu’une année, « 2020 » et un prénom, « Noman ». Celui d’un enfant mort avant son premier anniversaire.
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Parmi les migrants qui reposent dans ces tombes, à une vingtaine de kilomètres à peine de la frontière croate, aucun n’a plus de 40 ans. Et « aucun n’est mort de mort naturelle », souligne Abdul Aziz Nuspahic, imam à Bihac.
« Enterrés loin de leur terre et de leur famille »
Au cours des deux dernières années, le religieux affirme avoir participé à l’enterrement d’au moins trois exilés. « Le premier s’était noyé dans la rivière, le deuxième était mort de maladie et le troisième a succombé à ses blessures après avoir été poignardé », détaille-t-il dans la salle de prière aux tapis rouges de la vieille mosquée Fethija, dans le centre ville de Bihac.
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À chacun de ces drames, le corps du défunt n’est remis à l’imam qu’après que la police et les autorités ont pu effectuer les démarches d’identification du mort et les investigations sur les causes du décès. Viennent ensuite les ablutions rituelles puis la Djenaza, la prière mortuaire musulmane.
« Lors des enterrements de migrants que j’ai faits, une vingtaine de personnes environ étaient présentes. Je dis les versets de la Djenaza en arabe puis quelques mots en anglais sur le défunt pour que ses compagnons comprennent. Je les invite aussi à parler s’ils le souhaitent », raconte Abdul Aziz Nuspahic.
Si les enterrements font partie de ses fonctions courantes, l’imam affirme se sentir « très mal à l’idée que ces jeunes soient enterrés loin de leur terre et de leur famille ». Il arrive parfois que des proches demandent à ce que le corps d’un exilé décédé en Bosnie soit rapatrié dans son pays d’origine. Dans ce cas, c’est l’ambassade du pays d’origine qui organise le retour du corps.
« Ali baba »
À Bihac et dans les environs, ce sont souvent des membres des équipes de l’association SOS Bihac qui ont découvert jusqu’à présent les corps sans vie des exilés. Cette organisation humanitaire, qui vient aussi bien en aide aux migrants qu’aux habitants de Bihac en difficultés, arpente tous les jours les routes de la région. « Des corps ont été trouvés dans les collines, près des camps mais aussi en pleine rue », affirme Zlatan Kovacevic, président de SOS Bihac.
Selon lui, ces décès de migrants sont parfois la conséquence d’actes criminels : des groupes de personnes étrangères mal intentionnées, surnommées les « Ali baba » par les exilés, attaquent régulièrement les migrants qui tentent de passer la frontière croate pour leur voler leur argent ou leurs affaires.
Les personnes qui cherchent à se défendre peuvent être blessées par des coups de couteaux. « Eux ne sont pas là pour passer [en Croatie], ils ne sont là que pour voler les réfugiés », dénonce le bénévole.
Le passage illégal de la frontière fait également courir de grands risques aux migrants. Plus au sud de Bihac, la rivière Una sert de frontière naturelle avec la Croatie. Les noyades ne sont pas rares et le froid peut aussi présenter un danger mortel. « Il y a quelques jours, nos équipes ont trouvé un jeune homme en hypothermie, raconte Zlatan Kovacevic. Quand nous l’avons fait monter en voiture, il s’est évanoui. Si nous ne l’avions pas trouvé, il serait mort de froid. »
« Les policiers n’ont même pas de lampe »
À chaque fois que le corps d’une personne migrante est trouvé, la police ouvre des investigations, assure le fondateur de l’association humanitaire. Plusieurs fois, les agresseurs d’exilés ont pu être arrêtés. Mais les forces de l’ordre manquent cruellement de moyens, déplore Zlatan Kovacevic. « Il leur faut plus d’effectifs, plus de voitures… Les policiers n’ont même pas de lampe », soupire-t-il.
Zlatan Kovacevic, comme l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’Union européenne, plaide pour plus de camps d’hébergement pour les personnes migrantes en Bosnie. « C’est le seul moyen pour qu’elles soient plus en sécurité ».
Dans la partie du cimetière de Bihac où ont été enterrés des exilés, il y a un carré de terre retournée près des tombes. Le corps de Borhanuddin, un jeune Afghan, a été exhumé mi-février, raconte Damir, pompe funèbre à Bihac qui n’a pas souhaité que son nom de famille soit publié. « Après l’exhumation, le corps a été placé dans un cercueil en métal puis envoyé à Sarajevo. De là, il est parti en avion pour l’Afghanistan », détaille-t-il.
Dans la province de Laghman, à l’est de Kaboul, la famille de Borhanuddin a pu récupérer son corps et l’enterrer auprès de ses proches. Le jeune homme ne sera jamais allé au bout de son rêve européen. Il est mort à l’hôpital de Bihac après avoir été blessé dans une rixe. Il avait 24 ans.
Julia Dumont, envoyée spéciale à Bihac.
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