Le rideau ne se lève plus depuis plus d’un an, mais les ailes du Moulin Rouge tournent chaque soir, dès la nuit tombée: « Ce serait trop triste, sinon », soupire Jean-Victor Clérico, dont la famille règne sur ce temple du « Paris by night ».
Comme Le Lido, Le Paradis Latin et le Crazy Horse, le Moulin Rouge désespère de retrouver son French Cancan et le public qu’il accueille depuis 1889.
Depuis un incendie en 1915, jamais l’ancien quartier général de Toulouse-Lautrec et de La Goulue, sa danseuse la plus célèbre, n’avait fermé aussi longtemps. Pas même pendant la Seconde guerre mondiale.
Mais aujourd’hui, la scène est vide depuis le tout dernier spectacle, le 12 mars 2020. Le lendemain midi, le Premier ministre Edouard Philippe annonçait l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes.
« On a passé l’après-midi à prévenir nos 1.600 clients qui avaient réservé pour ce soir-là », se souvient Jean-Victor Clérico. « C’était inédit et douloureux. Jamais on n’aurait pensé que la fermeture durerait aussi longtemps. On pensait rouvrir pour la Toussaint, puis pour Pâques. Maintenant, l’espoir nous amène à juin. C’est pénible pour le moral », ajoute le patron du Moulin Rouge, dont la moitié de la clientèle est étrangère.
– Elongations en cuisine –
Du côté de la troupe –une soixantaine d’artistes–, on se morfond chacun chez soi. Mais la perspective de retrouver la scène est le « meilleur des baumes au cœur »: comme les autres danseuses, Mathilde Tutiaux, 32 ans, s’astreint à un entraînement physique quotidien chez elle. Le plan de travail de sa cuisine accueille ses élongations.
« Ce troisième confinement est démoralisant mais on garde espoir. On retrouvera la scène. Le plus gros est fait », dit-elle à l’AFP. « La danse, ce n’est pas seulement des étirements. C’est difficile de garder le rythme et maintenir la forme », alors « on s’organise des séances de sports sur Zoom avec la maîtresse de ballet Janet Pharaoh et je vais courir le plus possible ».
Les 450 employés du Moulin Rouge bénéficient du chômage partiel. « Il y a une petite perte de salaire, mais on ne peut pas se plaindre en France. A Londres ou à Broadway, c’est dramatique pour des amis danseurs », relève Mathilde Tutiaux.
Même envie d’y croire pour son collègue danseur, Alex Denès, qui vit avec sa compagne et leurs deux enfants dans un petit appartement à deux pas de la place Clichy: « J’habite un rez-de-chaussée sur cour, c’est plus facile pour m’entraîner. Nous sommes danseurs professionnels mais pas reconnus comme sportifs de haut niveau et il a donc été difficile de trouver un club de sport pendant les confinements », explique-t-il. « Le plus difficile à vivre, c’est l’incertitude, ne pas savoir quand on va reprendre le spectacle ».
– Relancer la machine –
« Dès le feu vert, on aura besoin de six semaines pour relancer la machine. Le French Cancan nécessite des répétitions poussées. La distanciation ne posera pas de problèmes. Malgré une jauge certainement réduite, on a bon espoir, avec l’attrait que représente le Moulin », déclare Jean-Victor Clérico.
« Côté aides, on est quand même bien lotis en France. Les mesures d’accompagnement qui ont eu un peu retard à l’allumage, ne sont pas totalement suffisantes mais elles ont été ajustées. A la reprise, il faudra maintenir un soutien progressif », argue le responsable, qui a également eu recours au prêt garanti par l’Etat, qu’il espère rembourser rapidement
Les cabarets, comme d’autres lieux de divertissement (cafés, restaurants, etc.), ont profité de cette pause imposée et des locaux désertés pour effectuer des travaux de rénovation et d’embellissement.
Le Lido, l’autre grand cabaret à plumes, et le Crazy Horse, temple du « nu chic », sont eux aussi fermés depuis un an. Rive gauche, Le Paradis Latin, qui a renoué en 2019 avec l’art de la revue, a ouvert moins d’un mois l’automne dernier, avant le couperet du deuxième confinement fin 2020.
« On a vécu malgré tout cette réouverture comme un acte citoyen. Il fallait donner un signe d’espoir au public et à la troupe », déclare Walter Butler, le propriétaire. « Tous les cabarets sont solidaires. On veut retrouver nos publics dès que possible ».
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