https://img.lemde.fr/2021/03/18/913/5/5466/2730/1440/720/60/0/580da31_352723512-000-1n99qj.jpg
En bord de route, Solange Mandjenvo a installé un petit stand de vente de boissons. Mais inutile d’espérer consommer son soda frais : il n’y a pas de courant pour faire fonctionner le réfrigérateur, prévient la trentenaire en riant. Pourtant, des lignes électriques passent tout autour de son village de Djeno, situé au sud de Pointe-Noire, la capitale économique du Congo-Brazzaville. Derrière le jardin de Solange, à quelques centaines de mètres à peine, le terminal pétrolier géré par Total est allumé jour et nuit. Deux centrales thermiques se dressent d’ailleurs dans le village, alimentées par le gaz des champs pétroliers.
Dès que le soleil se couche, la vendeuse rentre les bouteilles dans sa petite maison en bois et allume ses lampes torches. Peu d’habitants de Djeno ont les moyens de faire fonctionner un groupe électrogène. L’un des rares à pouvoir se l’offrir a installé le sien dans une petite cahute où, moyennant quelques billets, les jeunes du coin se pressent pour venir recharger leurs téléphones portables. Une scène qui en dit long sur les contradictions du Congo, où une élection présidentielle se tient dimanche 21 mars. Un pays riche en pétrole mais dont 40 % de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté.
Jean-Félix, le grand-père de Solange, est né à Djeno en 1950. Et pour lui le constat est sans appel : « On n’a rien gagné avec l’arrivée du terminal dans les années 1970. Il n’y en a que pour Total. » L’homme, qui cultive un peu de manioc, se plaint que ses tubercules poussent mal. Il déplore aussi les nuisances sonores et les odeurs de soufre dégagées par l’installation.
Dans la localité, il y a peu d’électricité et presque pas d’eau potable. Les forages « Eau pour tous », un projet hydraulique lancé en 2013 pour un budget de 193 milliards de francs CFA (294 millions d’euros), sont la plupart hors-service : les panneaux photovoltaïques qui faisaient fonctionner les pompes ont été volés et n’ont jamais été remplacés. Depuis, les citernes jaune, vert et rouge – les couleurs du drapeau congolais – prennent la poussière au soleil. Maigre consolation pour les habitants de Djeno : certains ont pu se raccorder au réseau d’eau de Total.
Une violente récession
En dehors des quartiers huppés, le centre-ville de Pointe-Noire n’est pas mieux loti. Les taxis bleus y slaloment entre les nids-de-poule. La société civile dénonce un manque d’investissements publics dans la voirie, mais aussi et surtout dans les domaines de la santé et de l’éducation. Contactés par Le Monde Afrique, les autorités locales et le ministère de l’énergie et de l’hydraulique n’ont pas souhaité s’exprimer.
La cité a beau être le moteur économique du Congo, les Ponténégrins peinent sur le front de l’emploi. Au niveau national, le taux de chômage atteindrait les 30 % pour les 15-29 ans et Pointe-Noire n’est pas épargnée. A Djeno, Matthieu est mécanicien de formation mais n’a jamais réussi à se faire embaucher au terminal de Total. Assis sur un banc à côté de la cabane aux chargeurs, il se désole. « On nous dit que nous ne sommes pas qualifiés, mais on peut nous former, on est là ! », lance-t-il sous le regard approbateur d’autres habitants du village.
Si le code des hydrocarbures congolais prévoit d’encourager le « contenu local » pour les entreprises étrangères présentes au Congo – c’est-à-dire, entre autres, l’emploi des Congolais –, les acteurs économiques locaux estiment que la réalité est bien différente. « Les pétroliers, mais aussi les Chinois qui viennent pour des projets de construction, arrivent avec leur personnel expatrié. C’est très difficile de décrocher des contrats », soupire un entrepreneur dans la métallurgie.
Tel est le paradoxe de Pointe-Noire, locomotive où sont installés les grands groupes pétroliers comme Total et l’italien Eni. Le Congo est le troisième pays producteur d’or noir d’Afrique subsaharienne. La chute des cours provoquée par la pandémie de Covid-19 a durement touché l’économie congolaise et causé une violente récession l’an dernier (– 8 %). Mais les hydrocarbures demeurent la principale source de recettes de l’Etat et quelque 300 000 barils sont produits chaque jour, majoritairement à Djeno. Pourtant les locaux sont privés des retombées de cette industrie.
Manque de transparence
Où passe l’argent du pétrole ? Une grande partie des recettes du secteur est directement versée aux créanciers du Congo, étranglé par une dette publique qui avoisinait les 100 % du PIB en 2020. En outre, le pays a multiplié les emprunts indexés sur sa production future de pétrole. Une pratique risquée, car « toutes les finances du pays dépendent d’une matière première au prix volatil », explique Charlotte Boyer, consultante en gouvernance des ressources et spécialiste du Congo.
Des organisations comme Global Witness ou la coalition « Publiez ce que vous payez » épinglent régulièrement le manque de transparence et la mauvaise gestion de la rente pétrolière. Des écarts inexpliqués sont constatés entre l’argent que touche la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) et les montants qui arrivent sur les comptes du Trésor public. Selon Global Witness, 156 millions de dollars (environ 130 millions d’euros) de dividendes destinés à l’Etat auraient ainsi disparu entre 2016 et 2018. En 2019, l’ONG britannique accusait Denis Christel Sassou-Nguesso, le fils du président, d’avoir détourné des millions d’euros des caisses de la SNPC pour acquérir entre autres des biens immobiliers aux Etats-Unis.
Quelques avancées ont été constatées ces dernières années, comme l’adhésion du Congo à la norme ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives), qui a permis de rendre publiques un certain nombre de données de la SNPC et du budget de l’Etat. Mais toutes les exigences ne sont pas encore remplies, comme la divulgation des conditions d’octroi des licences d’exploitation.
Alors que les électeurs doivent se rendre aux urnes pour un scrutin qui verra Denis Sassou-Nguesso, 77 ans dont près de trente-sept au pouvoir, briguer un quatrième mandat consécutif, beaucoup de militants de la société civile aspirent au changement. « La gouvernance économique et la gouvernance politique vont de pair », développe Brice Mackosso, secrétaire permanent de la Commission Justice et Paix, une organisation catholique de défense des droits humains basée à Pointe-Noire : « Le combat pour la transparence et la redistribution de la rente pétrolière ne pourra pas aboutir tant qu’on aura un régime autoritaire comme le nôtre. »
A Djeno, Solange et sa famille ont arrêté d’attendre un signe d’amélioration : « Depuis vingt ans, on nous a promis l’électricité, un collège, un hôpital… Rien n’est arrivé. Ce n’est pas l’élection qui changera quelque chose. »
L’article Election présidentielle au Congo : cet or noir dont les habitants ne voient pas la couleur est apparu en premier sur zimo news.