Avant Milan-San Remo, premier monument de la saison cycliste disputé ce samedi en Italie, les fans salivent d’avance de la bataille annoncée entre le champion du monde français Julian Alpahilippe, le Néerlandais Mathieu Van der Poel et le Belge Wout Van Aert. Un peu moins leurs adversaires, parfois découragés par la domination presque sans partage de ces trois cannibales modernes.
Le photomontage publié par la télé belge Sporza a même été repris par Matthieu Van der Poel sur son compte Instagram, jeudi dernier. L’image reprend une scène avec la célèbre Minerva McGonagall, professeur à Poudlard dans la saga Harry Potter, remplacée par l’occasion par le commentateur belge Michel Wuyts. Se tournant vers ses apprentis sorciers, Harry Ron et Hermione, affublés pour l’occasion des visages de Mathieu Van der Poel, Julian Alaphilippe et Wout Van Aert, il leur adresse la célèbre réplique de Minerva aux accents malicieux: « Pourquoi, dès qu’il se passe quelque chose, c’est toujours l’un de vous trois ? »
Un trait d’humour qui rappelle à quel point avec ces phénomènes, la magie opère désormais de manière quasi systématique et exclusive sur les courses les plus réputées. En l’occurrence ce jour-là, Julian Alpahilippe vient de lever les bras pour la première fois de l’année après avoir muselé ses deux meilleurs ennemis dans le final de la deuxième étape de Tirreno-Adriatico. La veille, le Belge Wout Van Aert s’adjugeait l’étape inaugurale de cette même course. Le lendemain, Mathieu Van Der Poel en fera de même lors de la troisième étape, lui qui s’était déjà imposé le week-end précédent sur la splendide Piazza Del Campo de Sienne au terme d’une somptueuse édition des Strade Bianche, aux dépens de …. Julian Alaphilippe. Gargantuesque.
Quatre exemples, pour une domination du trio annoncée comme sans partage sur la saison des grandes classiques qui s’ouvre ce week-end avec Milan-San Remo, ses 299 bornes et son final tortueux ponctué notamment par la mythique montée du Poggio. « Ce sont trois des meilleurs coureurs au monde aujourd’hui, en particulier sur les courses d’un jour, analyse Grischa Niermann, directeur sportif de Wout Van Aert chez Jumbo Visma. Le genre de coureurs qui rendent le cyclisme aussi beau et intéressant. C’est bon pour notre sport. »
« On ne va pas encore leur passer de la pommade »
D’autant que les trois stars ne se contentent pas d’animer les derniers kilomètres des courses sur lesquelles ils s’alignent. Exemple sur le dernier Tour des Flandres, où avant d’être percuté par une moto suiveuse, Julian Alaphilippe avait tout fait sauter à 50 kilomètres de l’arrivée dans les monts pavés. Les deux seuls qui avaient pu suivre, un peu à retardement, s’appelaient évidemment Mathieu Van Der Poel et Wout Van Aert. Plus récemment sur Tirreno-Adriatico, il restait encore plus de 95 kilomètres à courir lors de l’étape du vendredi, que « VDP » et « Alaf » y étaient déjà allés de leur petite attaque quotidienne, histoire de jauger l’assistance, ou sait-on jamais, de décanter les choses plus tôt que de coutume. « Ça rend les courses plus débridées, analyse Vincent Lavenu, manager général d’AG2R Citroën Team. Ce sont des coureurs de tempérament qui n’ont pas peur d’attaquer à 100 km de l’arrivée, c’est très bien pour le spectacle. »
Un constat bienveillant sensiblement nuancé par Jérôme Pineau, manager général de l’équipe BnB Hotels P/B KTM. Car pour l’ancien lieutenant de Sylvain Chavanel, « quand on parle de ces trois-là, malheureusement, il n’y a plus beaucoup de place pour les autres, et ça va poser problème à beaucoup d’équipes, car ils sont capables de gagner toutes les classiques à eux trois ». Un sentiment partagé dans le peloton, notamment par le baroudeur français de Trek-Segafredo, Julien Bernard. Admiratif certes, il ne souhaite pas malgré tout s’étendre quand on le sollicite pour s’exprimer sur le sujet. « C’est sûr que c’est sympa pour les courses où ils sont alignés, le podium fait rêver tout le monde, reconnaît le fils du vainqueur de Paris-Nice 1992. Après, on ne va pas encore leur passer de la pommade, on sait que c’est les trois meilleurs du monde, il n’y a rien d’autre à dire là-dessus. C’est sympa pour le cyclisme, après… »
Un seul espoir, les voir s’enterrer entre eux
A eux trois, Van Der Poel, Van Aert et Alaphilippe agrègent à peu de choses près 100% des qualités requises dans le cyclisme moderne pour gagner une course au plus haut niveau, et en particulier Milan-San Remo. Le Néerlandais, petit-fils de Raymond Poulidor, n’a jamais froid aux yeux. C’est le plus adroit, le plus malin, le plus fin tacticien. Le Belge, lui, c’est le garçon surpuissant, la force de la nature, rapide et agile qui plus est. Le Français, c’est le meilleur puncheur du monde, celui qui repousse les limites de la tolérance aux acides lactiques. En somme, la caution grimpette du trio.
Alors, pour faire face à cette domination annoncée sur tous les terrains, les équipes adverses essayent de s’adapter. Exemple avec AG2R Citroën Team, et ses recrues taillées pour jouer des classiques, comme le champion olympique, le Belge Greg Van Avermaet, ou l’ancien vainqueur de Liège-Bastogne-Liège, le Luxembourgeois Bob Jungels, deux immenses références dans le peloton. L’équipe française tente aussi de modifier son approche des Flandriennes, avec notamment une reconnaissance très poussée, et précoce dans la saison, des secteurs pavés. Mais Julien Jurdie, son directeur sportif, ne peut que le reconnaitre: « Dans chaque sport, il y a des extraterrestres, comme en foot, des Messi, des Ronaldo. Là, on tombe sur des phénomènes, des champions, des artistes. Qui travaillent, oui, mais pas plus que les autres. Ils ont juste plus de facultés. Ils sont gâtés par la génétique. » Et posent d’autant plus de questions à leurs adversaires sur la tactique à adopter en course.
La principale stratégie semble justement aujourd’hui reposer sur un espoir un peu vain. Celui de voir Alaphilippe, Van Aert et Van Der Poel s’enterrer mutuellement. « Mais ils sont de la race des très grands, ils veulent s’expliquer entre eux, ça leur plaît » fait observer Jérôme Pineau. Et ça laisse aux autres des miettes. Et encore, à ramasser à condition d’utiliser correctement une éventuelle et très étroite marge de manœuvre. Un espoir que caresse malgré tout Julien Jurdie en vue des classiques printanières. « J’espère qu’ils vont se regarder, s’observer et se marcher un peu dessus. Pour trouver l’ouverture, il faudra profiter d’une défaillance tactique ou technique. Dans tous les cas, on ne baissera pas les armes. » Pour l’instant, en tout cas.
Du fatalisme, pas de jalousie
Car Jérôme Pineau envisagerait lui une autre stratégie s’il devait être un jour avec son équipe, confronté aux trois monstres sacrés de manière trop récurrente. « Moi, si j’avais un coureur capable de gagner une grande classique, je ferais sans doute des impasses pour aller gagner ailleurs. Car quand tu te pointes au départ d’une course avec ces trois cocos en pleine forme, un peut se louper, mais les trois, c’est rare. Et l’essentiel en vélo, c’est quand même de gagner. »
Une sorte de fatalisme auquel ne souscrit pas le sprinteur français Arnaud Démare, vainqueur de la Primavera en 2016. « On sait qu’ils dominent, qu’ils sont très forts et qu’ils peuvent nous surprendre, explique le triple champion de France et outsider pour la victoire ce samedi. Mais c’est à nous de nous battre avec nos armes et de jouer plus collectif, de trouver des alliances avec d’autres sprinteurs. »
Alors, pas de jalousie finalement, à bien interpréter les paroles des uns et des autres. « On est surtout envieux » explique Julien Jurdie. Car avec Alaphilippe, Van Der Poel et Van Aert, le spectacle est toujours garanti. Sur le vélo et en dehors. Comme lorsque Van Der Poel croit imiter la célébration de Fabio Quartararo (pilote de MotoGP), quand il gagne sur Tirreno, ignorant que Quartararo a lui-même repris ce geste « des bras croisés » au footballeur parisien Kylian Mbappé. Ou encore lorsque Julian Alaphilippe, après son succès lui aussi sur Tirreno, poste une vidéo sur Twitter où il danse, très volubile, sur une chanson italienne dans la voiture qui le ramène à l’hôtel. « Ce sont des stars du cyclisme, de fortes personnalités, note le coureur Kenny Elissonde, ami de Julian Alaphilippe dans la vie et qui préfère conclure sur une note plus positive. Peter Sagan était comme ça avant eux. C’est bien, ils vont donner aux jeunes envie de faire du vélo. » Et sont également un gage de visibilité sans faille pour leurs sponsors. Une aubaine en ces temps difficiles où l’épidémie met au défi, comme dans beaucoup d’autres secteurs, toute l’économie du cyclisme.
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