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On l’a dit hospitalisé au Kenya voisin, puis en Inde. L’état de santé du président tanzanien, John Pombe Magufuli, qui n’était pas apparu publiquement depuis la fin février, donnait lieu à toutes les spéculations. Mercredi 17 mars, sa vice-présidente, Samia Suluhu Hassana, a finalement mis fin au suspense et annoncé le décès à 61 ans de celui qu’on surnommait le « Bulldozer » pour ses méthodes radicales de lutte contre la corruption, sa politique ambitieuse de grands travaux et son terrassement en règle de toute voix dissidente.
Officiellement, il est décédé des suites de problèmes cardiaques dont il souffrait depuis dix ans. Mais pour l’opposition, il n’y a pas de doute. John Magufuli est mort d’une maladie dont il a systématiquement nié l’existence depuis un an : le Covid-19. « C’est le résultat d’une justice immanente. Le président Magufuli a défié le monde dans la lutte contre le corona. Il a défié la science. Et ce qui est arrivé est arrivé », a déclaré Tundu Lissu, son principal opposant arrivé deuxième à l’élection présidentielle d’octobre 2020. Un scrutin dont il s’estime le véritable vainqueur, dénonçant des résultats « complètement fabriqués ».
« La mort de John Magufuli pourrait devenir le symbole des dérives de sa politique », renchérit Dan Paget, chercheur à l’université d’Aberdeen. Depuis le début de la pandémie, le président tanzanien se proclamait anti-masque, anti-vaccin et même anti-tests. Il avait ainsi déclaré qu’une papaye, une caille et une chèvre avaient été testées positives au Covid-19.
Chrétien fervent, il avait également appelé les Tanzaniens à prier pour se préserver du coronavirus, avant de déclarer le pays exempt de la maladie. Mais cette position était récemment devenue difficilement tenable face à une vague de décès au sein de la classe dirigeante du pays.
Un « dictateur » pour certains
Le bilan du « Bulldozer » apparaît aussi controversé que les circonstances de son décès. Sous sa présidence, la Tanzanie a quitté la catégorie des pays à faible revenu pour passer dans celle de pays à revenu intermédiaire selon la Banque mondiale, enregistrant une croissance économique de 6 % en moyenne par an. John Magufuli a également lancé la construction d’un immense projet hydroélectrique censé doubler la production d’électricité du pays, inauguré de nombreuses routes et ponts et développé la compagnie aérienne nationale.
Mais, dans le même temps, le pays a dégringolé de plus de cinquante places dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Des journalistes et opposants ont été arrêtés, des meetings politiques interdits, des publications suspendues. Dans un communiqué conjoint publié en 2019, Amnesty International et Human Rights Watch s’inquiétaient de « la destruction sans vergogne du cadre de défense des droits humains établi par le pays ».
« Certains le voient comme un héros prêt à se sacrifier pour son peuple, comme un homme qui s’est levé contre l’impérialisme des entreprises étrangères et qui a déclaré la guerre à la corruption. Mais d’autres le considèrent comme un dictateur qui a piétiné tous les principes démocratiques », ajoute Khalifa Said, journaliste d’investigation basé à Dar es-Salaam, la capitale économique tanzanienne.
Selon lui, cette division profonde de l’opinion transparaît déjà sur les réseaux sociaux, où beaucoup de Tanzaniens expriment depuis deux jours leur tristesse ou leur soulagement. « On n’a pas fini de débattre de son bilan et de son héritage », conclut-il.
Son parti au pouvoir depuis l’indépendance
Selon la Constitution, c’est Samia Suluhu Hassan, la vice-présidente, qui doit maintenant prendre les rênes du pays jusqu’à la prochaine élection présidentielle prévue pour 2025. Après sa prestation de serment, elle deviendra la première femme présidente de l’histoire de la Tanzanie et la première chef d’Etat du pays originaire de l’île de Zanzibar.
Cette ancienne ministre, jusqu’ici très discrète, se retrouve également propulsée à la tête de Chama Cha Mapinduzi (CCM), le « Parti de la révolution », qui détient le record de longévité au pouvoir en Afrique subsaharienne après avoir remporté toutes les élections depuis l’indépendance de la Tanzanie en 1961. Aujourd’hui, les plus proches de John Magufuli y côtoient des factions marginalisées par l’ancien président.
« Pour l’instant, la passation de pouvoir s’est faite sans accroc, mais nous entrons dans une période de grande incertitude. Tout dépendra des factions sur lesquelles la nouvelle présidente décidera de s’appuyer et si elle réussira à consolider sa position », assure Michaela Collord, spécialiste de la politique tanzanienne.
Comme John Magufuli lors de son élection en 2015, Samia Suluhu Hassan ne bénéficie pas d’une base forte et a longtemps été proche de la tête du parti sans jamais être pressentie pour la magistrature suprême. « Comme lui, elle pourra peut-être utiliser le pouvoir de la présidence pour prendre la main sur le CCM et sur sa politique », ajoute la chercheuse.
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