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Les Chinois se sont montrés très agressifs à l’égard des États-Unis lors du premier jour, jeudi, du sommet sino-américain en Alaska. Une posture qui reflète leur volonté de jouer sur un pied d’égalité avec Washington. Mais l’empire du Milieu en a-t-il vraiment les moyens ?
Washington serait « condescendant », ferait bien de « régler ses profonds problèmes » internes avant de donner des leçons aux autres et aurait utilisé sa puissance militaire et financière pour « réprimer des pays » et en « inciter » d’autres à attaquer la Chine.
Yang Jiechi, le diplomate en chef chinois, n’a pas mâché ses mots au premier jour du sommet sino-américain en Alaska, jeudi 18 mars. Un ton agressif qui aurait pris Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, de court, croit savoir le New York Times.
Les loups soldats sortent les griffes
Pourtant, le camp américain avait sorti les griffes le premier en assurant vouloir demander des comptes à Pékin sur Hong Kong, Taïwan et la situation de la minorité musulmane des Ouïghours dans le Xinjiang. « C’était une manière d’indiquer que l’administration Biden ne se contentera pas d’une confrontation économique comme c’était le cas avec Donald Trump, mais compte aussi engager un rapport de force politique », affirme Marc Julienne, responsable des activités Chine à l’Institut français des relations internationales (Ifri), contacté par France 24.
Les délégations américaines devaient s’attendre à une réaction, « mais l’approche maximaliste adoptée par le chef de la diplomatie chinoise était probablement plus véhémente que ce qui était prévu », estime Andrew Small, expert des relations sino-américaines au German Marshall Fund of the United States, un think tank allemand spécialisé dans les relations internationales, contacté par France 24.
C’est en effet « la première fois que la Chine a appliqué ce qu’on est venu à appeler la diplomatie des loups soldats à un tel niveau de négociation », reconnaît Marc Julienne. Ce concept désigne l’attitude menaçante et agressive adoptée par la jeune garde diplomatique du président chinois Xi Jinping.
Mais cette meute ne dévoilait jusqu’à présent ses crocs que sur Twitter, dans des communiqués de presse ou au niveau des ambassades. Pas dans des occasions aussi importantes que la première rencontre « en présentiel » entre la Chine et les représentants d’une toute nouvelle administration américaine.
D’où vient, alors, ce besoin de rompre avec le traditionnel ton feutré des ces grand-messes diplomatiques ? Il s’agirait d’une réaction à une administration Biden qui a « multiplié les gestes ces dernières semaines faisant comprendre aux Chinois qu’il n’y avait rien à attendre de concret de ce sommet », estime Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste de l’Asie, contacté par France 24.
Opération de com’ pour l’opinion chinoise
Le président américain s’est entretenu, le 12 mars, avec les dirigeants australien, japonais et indien pour donner un second souffle au « Quad », une alliance formée en 2007 pour contrebalancer la puissance chinoise. Antony Blinken a choisi l’Asie pour son premier voyage officiel en tant que secrétaire d’État et s’est rendu au Japon et en Corée du Sud, deux rivaux directs de la Chine.
Pour Pékin, ce sont autant de signes suggérant que Washington serait plus attaché à réactiver un front antichinois qu’à engager un dialogue constructif. « La réaction chinoise est d’autant plus vive que le retour du multilatéralisme dans la stratégie diplomatique américaine sous Joe Biden est jugé plus inquiétant par Pékin que le face-à-face direct prôné par Donald Trump », estime Peter Gries, directeur du Manchester Chinese Institute à l’université de Manchester, contacté par France 24.
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« Il y avait donc une nécessité pour les Chinois de faire comprendre qu’ils ne sont pas impressionnés par les efforts déployés par l’administration Biden. Ils ont haussé le ton parce qu’ils ne peuvent pas se permettre d’apparaître faibles dans leur rapport de force avec Washington », résume Antoine Bondaz.
À cet égard, l’attitude offensive de la délégation chinoise « tient avant tout de l’opération de com’ en direction de son opinion publique nationale », affirme Andrew Small, le spécialiste du German Marshall Fund of the United States. Toute la propagande du Parti communiste chinois tend à galvaniser le sentiment nationaliste de la population autour de l’idée, défendue par le président Xi Jinping, que la place historique de la Chine est tout en haut de la chaîne alimentaire des grandes puissances. Le ton accusateur et véhément utilisé contre les diplomates américains « est aussi une mise en scène du rapport de force pour démontrer à la population chinoise que Pékin est sur un pied d’égalité avec Washington et reste capable de défendre la supériorité de son modèle politique », résume Peter Gries.
Des sanctions européennes à venir
C’est comme une partie de poker, estime Marc Julienne, le spécialiste de l’Ifri. Les États-Unis ont fait la première mise en faisant la tournée des alliés historiques et en abordant des sujets politiquement sensibles comme Hong Kong ou les Ouïghours, et les Chinois ont décidé de « surenchérir dans l’escalade verbale », précise-t-il.
Un jeu qui peut s’avérer dangereux pour Pékin. Si, après le sommet en Alaska, Washington décide de continuer à faire monter les enchères, il faudra bien que la Chine finisse par dévoiler son jeu. Elle est, certes, un géant économique de premier plan capable de tenir tête à Washington dans une guerre commerciale. Mais pour le reste, elle reste « une puissance incomplète comparée aux États-Unis », affirme Marc Julienne. Elle n’a pas encore le réseau d’alliances dont dispose Washington et « son armée n’a pas, technologiquement parlant, la capacité de projection des États-Unis », conclut le chercheur de l’Ifri.
Un premier test pour la volonté de la Chine de se présenter comme une puissance de même calibre que les États-Unis va intervenir dès le début de la semaine prochaine. L’Union européenne doit annoncer, lundi 22 mars, des sanctions économiques contre Pékin en réaction à la politique menée à l’égard des Ouïghours. Ce seront les premières sanctions européennes visant la Chine depuis la répression des manifestations de Tian’anmen en 1989. La réaction chinoise en dira, alors, long sur son sentiment réel de puissance. Pour Antoine Bondaz, Pékin sera « obligé de répondre, mais la Chine peut être tentée de ne pas trop en faire » de peur de pousser les Européens un peu plus dans les bras de Washington.
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