France World

Les 150 ans de la Commune de Paris : “Les passions ne sont pas éteintes”

https://s.france24.com/media/display/ed5c255e-8263-11eb-a031-005056bff430/w:1280/p:16×9/000_APP2001070669834.jpg

Dernière révolution du XIXe siècle et symbole d’une histoire populaire tragique, la Commune de Paris a éclaté le 18 mars 1871 dans la capitale. Objet de nombreuses commémorations, cet événement, qui s’est achevé dans un bain de sang, suscite toujours autant de tensions au sein de la sphère politique. 

« Pourquoi ne se donnerait-on pas la main, par-dessus toutes nos misères d’homme et de citoyen et pourquoi, en ce moment solennel, n’essayerait-on pas d’arracher le pays où l’on est frère par l’effort et le danger à cette incertitude éternelle qui permet aux aventuriers de toujours réussir et oblige les honnêtes gens à toujours trembler et souffrir ! La fraternité a été reine l’autre jour devant les canons et sous le grand soleil. Il faut qu’elle reste reine ». Dans son édition du 22 mars 1871, Le Cri du Peuple, fondé par Jules Vallès, exalte la Commune de Paris, cette insurrection qui a éclaté quatre jours plus tôt, après la défaite française face à la Prusse. 

Soumis à 135 jours de siège, les Parisiens ne digèrent pas la capitulation. Ils sont 1,7 million enfermés dans la capitale, qui a essuyé des bombardements, sans travail et affamés pour certains d’entre eux. Alors qu’Adolphe Thiers, qui dirige le gouvernement provisoire, décide de reprendre sur la Butte Montmartre les canons de la Garde nationale payés par souscription des Parisiens pour se défendre contre les Prussiens, la foule s’y oppose. La population s’en prend aux représentants supposés du gouvernement, élève des barricades et fraternise avec la troupe. Deux généraux sont tués. Thiers ordonne le départ des soldats et des fonctionnaires de Paris et s’enfuit à Versailles. Le Comité central de la Garde nationale s’installe à l’Hôtel de Ville et organise huit jours plus tard l’élection d’un Conseil municipal. C’est la naissance de la Commune.

Vue générale du parc d'artillerie de la Butte Montmartre le 18 mars 1871. L'ordre de saisir ces pièces d'artillerie pour défendre Paris fut à l'origine de l'insurrection de la Commune.
Vue générale du parc d'artillerie de la Butte Montmartre le 18 mars 1871. L'ordre de saisir ces pièces d'artillerie pour défendre Paris fut à l'origine de l'insurrection de la Commune.
Vue générale du parc d’artillerie de la Butte Montmartre le 18 mars 1871. L’ordre de saisir ces pièces d’artillerie pour défendre Paris fut à l’origine de l’insurrection de la Commune. AFP – –

À l’opposé du Cri du Peuple, dans les pages du journal Le Gaulois daté du 20 mars, la description de la journée du 18 mars est sensiblement différente : « Des forcenés à Montmartre ont passé par les armes deux généraux, Clément Thomas et Lecomte. Ce n’est plus de là de l’insurrection, c’est de l’assassinat. (…) Mais d’où viennent ces meurtriers obscurs qui vous condamnent au passage et vous fusillent ? Au nom de quelle justice, en vertu de quel pouvoir agissent-ils ? L’égarement politique va-t-il jusqu’à cette sauvagerie ? ».

Dès les premiers jours de cette révolte contre le gouvernement des quartiers populaires du nord et de l’est de la capitale, anti et pro communards se déchirent. Cent cinquante ans après cet épisode marquant de l’histoire parisienne, qui se solda par « la semaine sanglante » et la mort de 7 000 à 20 000 personnes selon les estimations, les querelles sont loin d’être éteintes.

Lors d’un récent Conseil de Paris, le 3 février dernier, les élus de la capitale se sont écharpés autour des commémorations. Comme le rapporte Le Monde, l’élu LR du 18e arrondissement Rudolph Granier a dénoncé les hommages prévus par la mairie en rappelant « les incendies de la Commune qui ont ravagé des pans entiers de la capitale », tandis qu’Antoine Beauquier, un proche de Christine Boutin, élu du 16e arrondissement, a continué l’offensive contre « ceux qui prirent en otage et assassinèrent les dominicains d’Arcueil venus ramasser les blessés sous l’emblème de la Croix-Rouge ». En réponse, l’élue communiste Raphaëlle Primet a, au contraire, mis en avant « la révolution la plus moderne, la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé l’histoire ».

Une photo prise le 18 mars 1871 d'une barricade au coin de la rue d'Allemagne, aujourd'hui avenue Jean Jaurès et du boulevard de Sébastopol.
Une photo prise le 18 mars 1871 d'une barricade au coin de la rue d'Allemagne, aujourd'hui avenue Jean Jaurès et du boulevard de Sébastopol.
Une photo prise le 18 mars 1871 d’une barricade au coin de la rue d’Allemagne, aujourd’hui avenue Jean Jaurès et du boulevard de Sébastopol. AFP – –

« Prisonnière d’enjeux de mémoire »

L’historien Michel Cordillot, coordinateur de l’ouvrage « La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux » (Les éditions de l’Atelier), n’est pas surpris par cette levée de boucliers de la droite parisienne. « L’histoire de la Commune a été depuis le début prisonnière d’enjeux de mémoire », résume-t-il. « La Commune a toujours fait l’objet d’enjeux idéologiques qui étaient liés à la situation politique en France et dans le monde. Son interprétation a été distordue pour légitimer, dans un certain nombre de cas, des lignes politiques. Les passions ne se sont pas éteintes ».

Ce spécialiste de la Commune rappelle qu’elle a eu sa « légende noire » juste après l’événement : « Au cours de l’année qui a suivi, il y a eu un déversement absolument incroyable de littérature anti-communarde grossière pour ne pas dire stupide. Elle présentait les communards comme la lie de la société et une bande de dégénérés ». Parmi ces plumes hostiles au soulèvement populaire, on retrouve les grands écrivains de l’époque, Gustave Flaubert, Alphonse Daudet ou encore George Sand. Du côté de ceux qui sympathisent avec ses idéaux, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine ou encore Victor Hugo font figure d’exception. Mais plus tard, c’est au tour de « la légende rouge » de revisiter cet épisode de l’histoire. « Elle est venue contrer la légende noire avec notamment une inflation du chiffre des morts et des célébrations totalement acritique de la Commune », explique Michel Cordillot.

« On lui a retiré sa dimension subversive révolutionnaire »

De nos jours, cette récupération politique est toujours aussi vivace. De tous bords, à droite comme à gauche, chacun se réapproprie cet événement qui ne dura pourtant que 72 jours.  « C’est assez étonnant car il y a eu des tentatives, ces dernières années, d’intégrer la Commune au patrimoine républicain », note l’historienne Ludivine Bantigny. « On lui a retiré sa dimension subversive révolutionnaire. En 2003, le président du Sénat, Christian Poncelet, de tradition chiraquienne, avait imposé une plaque dans les jardins du Luxembourg en hommage aux morts massacrés de la Commune. On avait même vu les lectrices du Figaro Madame désigner Louise Michel (une militante anarchiste, figure de la Commune, NDLR) comme l’une de leurs héroïnes préférées ! », souligne l’auteure de « La Commune au présent. Une correspondance par-delà le temps » (La Découverte).

Plus récemment, de Nuit debout aux Gilets jaunes, en passant par les ZAD, les références à la Commune se sont multipliées. « Il y a une recrudescence de son intérêt et de sa mémoire. Je pense que c’est lié à l’effervescence autour des ‘Communs’, qui prônent une démocratie directe par des assemblées populaires. Le capitalisme et le néolibéralisme sont de plus en plus contestés y compris dans une partie de la jeune génération », estime Ludivine Bantigny. Pour cette historienne, il existe ainsi des correspondances entre cette période et ce qu’il se passe aujourd’hui. « Les hommes et les femmes de cette époque ont des choses à nous dire par-delà le temps. Toutes les réflexions qu’ils ont menées sur tellement de sujets restent d’actualité : la place des femmes, la démocratie, l’art, la culture, le travail, le partage des tâches etc… », énumère-t-elle. « Cela résonne aujourd’hui à un moment où il y a un peu moins de confiance dans le personnel politique et alors que les promesses ne sont pas tenues. Cela fait revivre les espoirs de l’époque ».

Pour cette spécialiste de la Commune, il est donc nécessaire de commémorer le 150anniversaire de cet événement « qui a été très en avance dans bien des domaines ». Un avis partagé par sa consœur Laure Godineau. « L’intérêt autour de cette période nous dit peut-être quelque chose sur le questionnement qu’on peut avoir aujourd’hui sur ce qui se passe politiquement et sur ce que doit être notre république et notre démocratie », décrit l’auteure de « La Commune de Paris, par ceux qui l’ont vécue (Éditions Parigramme) ». « Les commémorations nous permettent aussi de réfléchir à ce qu’il s’est passé en 1871. On connaît de la Commune un certain nombre de choses, les barricades, Louise Michel, le 18 mars, la semaine sanglante, mais en réalité sur ce qu’ont été les communards et les communardes, il y a parfois une très grande imprécision ».

Au-delà des querelles mémorielles politiques, cette historienne espère donc que ces commémorations seront l’occasion d’enrichir le débat historiographique. Pour preuve, dans les librairies, les publications fleurissent à l’approche de cet anniversaire. La recherche ne cesse de se renouveler. « On s’intéresse beaucoup désormais au local, à l’histoire au ras du sol, mais aussi à ce qui s’est passé à cette période sur l’ensemble du territoire national », se félicite Laure Godineau. « C’est toujours nécessaire de connaître notre histoire. Il ne s’agit pas forcément d’en tirer des leçons, mais de réfléchir à ce qu’a été cette révolution, aux violences et à la répression qu’elle a engendrées, tout en évitant les anachronismes. La Commune s’est déroulée au 19e siècle », rappelle-t-elle.

 

Source

L’article Les 150 ans de la Commune de Paris : “Les passions ne sont pas éteintes” est apparu en premier sur zimo news.