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Editorial du « Monde ». Rompre avec son propre continent en quittant l’Union européenne suppose pour le Royaume-Uni de se réinventer une place dans le monde. Ce dessein central du Brexit, vendu aux électeurs britanniques sous le slogan ronflant de « Global Britain » (« Grande-Bretagne mondiale »), n’a jamais eu de contenu clair. Le premier ministre britannique, Boris Johnson, a tenté, mardi 16 mars, de lui en donner un, en présentant sa « Revue stratégique en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère », censée définir les orientations gouvernementales pour les dix ans à venir.
Plus de cinquante ans après avoir choisi d’intégrer l’Europe en proclamant son retrait « à l’est de Suez », et renoncé ainsi à son ambition d’être en elle-même une puissance planétaire, M. Johnson semble faire machine arrière. Quasi muet sur les rapports avec ses voisins européens, le document prospectif prône une « bascule » diplomatique et militaire vers la zone indo-Pacifique, et affirme l’ambition britannique de jouer, de nouveau en solo, un rôle mondial. Le premier ministre se dit « profondément confiant » en la capacité de son pays à « façonner le monde de l’avenir ».
Tout en désignant la Chine comme une menace étatique contre le Royaume-Uni, Londres souhaite intensifier ses relations commerciales avec Pékin. M. Johnson insiste aussi sur le formidable débouché économique que constitue toute la zone en pleine expansion comprise entre l’Inde, le Japon, la Chine et l’Australie. Soucieux de renforcer le statut de puissance nucléaire du Royaume-Uni en tant qu’allié des Etats-Unis, il annonce d’autre part que le pays se dotera de 80 nouvelles têtes nucléaires, portant son arsenal à 260 têtes.
Stratégie solitaire hasardeuse
La légitimité du Royaume-Uni, membre du Conseil de sécurité des Nations unies et pièce importante de l’OTAN, à choisir librement sa politique étrangère ne se discute pas. En tant qu’Européen, on peut cependant s’étonner de voir un voisin vous tourner ostensiblement le dos pour adopter une stratégie solitaire floue et hasardeuse, où la nostalgie impériale côtoie l’habileté stratégique et où les prétentions planétaires sont utilisées pour masquer le choc économique du Brexit. Que signifie, en outre, l’ambition britannique de redevenir le champion du libre-échange au moment même où la pandémie interroge le bien-fondé d’une mondialisation à tout-va ?
Boris Johnson se présente en défenseur de relations internationales fondées sur le droit. Cela ne l’empêche pas d’annoncer un renforcement de son armement nucléaire, au risque de contredire le traité de non-prolifération dont Londres est signataire. Au moment même où il recherche activement de nouveaux alliés en Asie-Pacifique, il tend à s’aliéner ceux qu’il ne cesse d’appeler ses « amis européens ».
La veille des annonces stratégiques du premier ministre, l’Union européenne lui a adressé une mise en demeure pour violation du protocole irlandais contenu dans l’accord du Brexit. En refusant les contrôles sur l’arrivée de marchandises en Irlande du Nord, Boris Johnson, qui se veut le champion du respect du droit, renie sa propre signature et instrumentalise l’instabilité irlandaise. Moins de trois mois après avoir été conclu, l’accord sur le Brexit est bafoué. Le divorce entre voisins, partenaires naturels et, de fait, amis, est devenu un champ conflictuel dont personne n’entrevoit l’issue. Difficile, dans ces conditions, de voir, dans les annonces planétaires de M. Johnson, autre chose qu’une inquiétante fuite en avant.
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