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La mort d’un militant birman met en lumière les accusations de torture contre la junte

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Publié le : 17/03/2021 – 18:50

The Guardian a eu accès à des photographies attestant de la mort dans des conditions très violentes, en détention, d’un militant du parti d’Aung San Suu Kyi. Très apprécié dans son quartier, Zaw Myat Lynn était devenu trop populaire. Sur Facebook, il n’hésitait pas à dénoncer les violences de la junte militaire.

Dans son quartier de la banlieue de Rangoun, Zaw Myat Lynn était de toutes les manifestations. Téléphone en main, ce membre actif de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi en Birmanie, diffusait chaque jour les vidéos des protestations et de leur violente répression en direct sur Facebook. Son absence depuis le 8 mars a laissé un grand vide. Sur sa page du réseau social, les vidéos ont laissé place à une multitude d’hommages.

L’enseignant de 46 ans, père de deux enfants et grand-père d’une fillette de 10 ans, est mort dans la nuit du 8 au 9 mars, au cours d’un interrogatoire après avoir été interpellé dans son école, selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Les jours suivants, les médias étatiques ont assuré qu’il était décédé après avoir fait une chute de neuf mètres sur une clôture métallique en tentant de s’échapper. Une façon de mettre en garde ceux qui donneraient une autre version. Quant à sa famille, à qui l’armée a restitué le corps de Zaw Myat Lynn, elle a reçu l’ordre d’incinérer ses restes au plus vite.

Une semaine après sa mort, des photographies, auxquelles le Guardian a pu avoir accès, ont révélé la nature réelle des blessures ayant conduit au décès de Zaw Myat Lynn. Le militant aurait été ébouillanté ou défiguré par des produits chimiques, comme en attestent les images consultées par les journalistes britanniques sur lesquelles la peau du visage se détache. La bouche est édentée et la langue fondue, ce qui pourrait confirmer l’hypothèse de la torture chimique. Le Guardian rapporte également un coup de couteau à l’abdomen qui aurait pu causer la mort.

Des vidéos témoignant des violences

Dans le dernier message posté avant son arrestation, Zaw Myat Lynn diffusait en direct un rassemblement en faveur de la démocratie près de l’école dans laquelle il habitait avec sa famille. Ce soir-là, d’après les médias britanniques, les habitants ont érigé des barricades à l’aide de sacs de sable. Les soldats ont fini par mettre la main sur Zaw Myat Lynn tôt dans la matinée du 8 mars, après avoir pénétré l’enceinte de l’école.

Participant actif et lanceur d’alerte, Zaw Myat Lynn partageait régulièrement les vidéos des protestations sur sa page Facebook, dont des images montrant des tirs à balles réelles et des passages à tabac des manifestants. Cet enseignant engagé appelait à combattre la “dictature militaire” jusqu’au dernier souffle. À la suite du coup d’État du 1er février, il n’avait pas hésité à qualifier les membres de la junte de “terroristes” et de “chiens”.

Sa mort suit de peu celle de Khin Maung Latt, dirigeant local du parti d’Aung San Suu Kyi à Rangoun, qui aurait, lui aussi, succombé à ses blessures en détention. Un membre de la chambre haute du Parlement, dissoute après le coup d’État, Ba Myo Thein, a déclaré que des informations faisaient état de traces de coups sur la tête et le corps de Khin Maung Latt, suscitant des soupçons de mauvais traitements.

“Le mouvement de désobéissance civile est déstructuré. Hormis Aung San Suu Kyi, aucune personnalité ne fédère, et c’est aussi parce que cette dernière – réputée autoritaire – a fait le ménage autour d’elle quand elle était au pouvoir. La junte voudrait éviter que de nouvelles personnalités émergent, qu’une nouvelle génération de militants propose des alternatives”, commente Laurent Amelot, enseignant à l’Institut libre d’étude des relations internationales, et chercheur associé à l’institut Thomas More. 

Une personnalité populaire et appréciée des jeunes

Zaw Myat Lynn faisait-il partie de ces personnalités gênantes car trop populaires ? L’enseignant avait déjà rencontré Aung San Suu Kyi. Il travaillait pour sa fondation humanitaire. “Il était respecté et bien connu dans le mouvement de désobéissance civile », selon un militant proche, cité par le Guardian. Dans les mois qui ont précédé le coup d’État militaire, il avait activement participé à la lutte contre le Covid-19 en Birmanie au côté de la population. Enseignant de japonais, Zaw Myat Lynn était aussi proche de la jeunesse. Son école offrait des cours gratuits d’informatique, de langue et de mécanique aux jeunes du quartier. Trois étudiants ont d’ailleurs été arrêtés en même temps que lui et des ordinateurs, des téléphones et l’argent de l’école ont été confisqués, selon un autre enseignant bénévole.

Plus de 200 civils ont été tués depuis le putsch et près de 2 200 ont été arrêtés. La répression se faisant de plus en plus meurtrière à mesure des semaines qui passent, une partie des manifestants pourraient basculer dans la clandestinité et passer sous la protection des minorités vivant aux frontières avec la Chine et la Thaïlande. C’est déjà le cas des dirigeants de la LND, comme le rappelle Laurent Amelot : “La junte a arrêté l’essentiel des cadres du parti d’Aung San Suu Kyi, tous ceux qui avaient un pouvoir véritable au sein de l’appareil d’État. Ceux qui ont échappé aux arrestations du 1er février parce qu’ils n’étaient pas à leur domicile ce jour-là ont basculé dans la clandestinité, ainsi que les personnalités nommées au sein d’un gouvernement parallèle. Certains pourraient s’être réfugiés chez les Karens et les Kachins, qui ont se sont dit prêts à leur accorder leur protection”.

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