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Saint-Louis a retrouvé son calme. Sur l’île, les habitants de cette ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco déambulent à nouveau le long du fleuve Sénégal qui coule lentement jusqu’à l’océan Atlantique. Plus loin, dans le quartier populaire de Pikine, la station essence Elton a rouvert, mais la boutique attenante est toujours vide, ses vitres brisées et les rayons dévalisés. « Toute cette avenue était bondée de jeunes manifestants, c’est ici qu’ont été brûlés des pneus », indique Papis Lam, un résident du quartier, en montrant du doigt un tas de poussière noire sur le goudron.
A 250 kilomètres au nord de Dakar, la ville de Saint-Louis a elle aussi été saisie par la colère après l’arrestation de l’opposant politique Ousmane Sonko le 3 mars pour « trouble à l’ordre public ». Le politicien, arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2019, se rendait au palais de justice de Dakar accompagné d’un cortège de partisans pour y répondre d’une plainte pour « viols et menaces de mort ». Une affaire qui a déclenché une vague de contestation d’une violence inédite sur tout le territoire sénégalais, jusqu’à ce qu’il soit remis en liberté sous contrôle judiciaire le 8 mars.
« Ousmane Sonko a été le déclencheur, mais il n’est pas le mobilisateur. Ce qui a mobilisé, c’est le mal de vivre d’une jeunesse face à un avenir en pointillé et un quotidien sans relief », affirme Seydou Guèye, porte-parole de la présidence. Une façon d’expliquer pourquoi la région de Saint-Louis – dont 41 % de la population a moins de 15 ans – n’est pas restée à l’écart des troubles, comme en 2011-2012, quand le combat populaire contre le troisième mandat du précédent président Abdoulaye Wade se jouait à Dakar.
L’insatisfaction de la jeunesse s’exprime clairement à Pikine, quartier meurtri par le décès de plusieurs dizaines de candidats à l’émigration clandestine en octobre 2020. Dans le labyrinthe de ruelles qui mène à la maison familiale, Papis Lam, 35 ans, désigne chacun de ses voisins pleurant un proche mort dans le naufrage de pirogues à destination de l’Europe.
« Trouver de quoi manger est le plus dur »
« J’ai moi-même perdu deux frères en mer. Ils cherchaient du travail », raconte-t-il. Cet enseignant dans un lycée public est maintenant le seul de sa famille élargie à toucher un salaire, de quelque 600 euros par mois. « Nous avons toujours des difficultés à partir du 15 du mois, trouver de quoi manger est le plus dur », témoigne Papis Lam, qui se sent délaissé par l’Etat.
A Saint-Louis, les deux piliers de l’économie – la pêche et le tourisme – sont en berne, à cause de la raréfaction des ressources halieutiques et de la pandémie de Covid-19. Une baisse d’activité qui pèse durement sur cette région dont le tissu industriel et les infrastructures sont peu développés. « Tout se concentre entre Dakar et Thiès, il n’y a pas de volonté politique de décentralisation de l’économie », critique Diarra Sow, membre du bureau du Pastef-Les Patriotes de Saint-Louis, le parti politique d’opposition dirigé au niveau national par Ousmane Sonko.
Dans cette région qui compte un million d’habitants, le taux d’activité des personnes en âge de travailler n’atteint même pas 42 %. « Les jeunes travaillent surtout dans l’informel, à eux de trouver les outils pour s’en sortir en se formant à d’autres métiers. Il faut une diversification de l’emploi, en dehors de la pêche », estime Papa Ibrahima Faye, conseiller municipal de Saint-Louis. Ce membre de l’Alliance pour la République (APR), le parti du président Macky Sall, place une partie de ses espoirs dans la future exploitation gazière et pétrolière qui doit débuter à partir de 2023 au large des côtes saint-louisiennes.
A la présidence, on rappelle que 700 milliards de francs CFA (quelque 1 milliard d’euros) ont été investis pour l’emploi et l’insertion des jeunes depuis 2012. Macky Sall a indiqué le 10 mars qu’au moins 350 milliards de francs CFA seront encore mobilisés sur trois ans pour appuyer la jeunesse, et il a demandé une accélération de la réalisation de centres de formation professionnelle.
« En colère et frustrés »
Autant d’arguments et de promesses qui ne convainquent pas les étudiants de l’université Gaston-Berger (UGB). Eux aussi sont sortis dans les rues après l’arrestation d’Ousmane Sonko, bloquant la route nationale qui mène à leur campus, à 12 kilomètres du centre-ville de Saint-Louis. Ibrahima Coly, étudiant de 21 ans en géographie, manifestait pour la première fois de son existence. « Cela dépasse le cas Sonko, on était en colère et frustrés. On étudie pendant des années sans avoir de perspective d’emploi », lance l’étudiant.
Sur le campus, beaucoup se plaignent du manque d’accessibilité aux financements des agences de l’Etat qui leur sont normalement destinés. Leur mécontentement se nourrit aussi des conditions de vie précaires à l’université, passée de 3 000 étudiants en 1990 à 16 000 aujourd’hui. Logements insuffisants, absence de WiFi, retard de distribution des bourses, réseaux d’assainissement vétustes… De quoi transformer l’université en véritable foyer de contestation.
« Les étudiants se sont soulevés en masse suite à l’arrestation injuste d’Ousmane Sonko. Il y a eu un engouement car c’était pour la survie de notre démocratie », estime pour sa part Amadou Badji, coordonnateur du Pastef-UGB. Un « front de résistance des étudiants » a été créé pour « élargir et continuer le combat contre les injustices ». Ses fers de lance promettent que la lutte se poursuivra tant que l’Etat n’aura pas répondu aux exigences du mouvement estudiantin qui a rejoint le Mouvement de défense de la démocratie (M2D), un collectif créé après l’arrestation de M. Sonko.
Egalement membre du M2D, le Pastef-Saint-Louis insiste sur la nécessité de tenir des élections locales en 2021. Avec l’espoir de prendre la tête de la mairie, alors qu’Ousmane Sonko était arrivé en deuxième position à Saint-Louis lors de la dernière présidentielle.
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