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Dix après le début du conflit en Syrie, le constat d’échec est sans appel pour l’opposition syrienne, qui, malgré ses efforts, n’a pas réussi à s’imposer comme une alternative, ni à faire trembler le régime du président Bachar al-Assad. Marginalisée par ses propres parrains étrangers, dupée par Damas et divisée en plusieurs courants, elle n’a finalement jamais pesé sur les événements. Décryptage.
Toujours empêtrés dans d’interminables négociations avec le régime syrien et marginalisés par leurs propres parrains étrangers focalisés sur leurs intérêts particuliers, les groupes d’opposition syriens n’ont pas réussi à faire plier Bachar al-Assad, dix ans après le début du conflit en Syrie.
Pis, alors que nul ne semble en mesure d’écarter du pouvoir le président syrien, victorieux sur le terrain militaire grâce aux interventions de ses alliés russes et iraniens, l’opposition en exil n’aura réussi à répondre à aucune des attentes de la population qui s’était mobilisée contre le régime à partir de mars 2011.
Reléguée au second plan de l’attention occidentale à partir 2014, beaucoup moins pressée d’exiger le départ de Bachar al-Assad après la complexification de la guerre et la montée en puissance des groupes jihadistes en Syrie, comme l’organisation État islamique (OEI), elle semble même n’avoir jamais vraiment eu voix au chapitre.
« Encore plus qu’hier, aujourd’hui les oppositions syriennes n’ont malheureusement plus leur mot à dire en Syrie, car elles n’ont plus aucune influence et ne constituent aucune menace pour le régime de Damas », explique à France 24 Ziad Majed, professeur à l’université américaine de Paris et l’un des auteurs de « Dans la tête de Bachar al-Assad », publiés aux éditions Actes Sud.
Un défaut de représentativité et de leadership
« L’opposition politique censée prendre le relais de la population qui s’était courageusement soulevée dans un pays verrouillé par le régime, n’est pas réellement représentative et n’aura jamais réussi à s’organiser totalement, ni à unifier ses rangs pour peser sur le cours des événements tout au long des dix années qui viennent de s’écouler », indique pour sa part Antoine Mariotti, journaliste à France 24 et auteur de « La Honte de l’Occident – Les Coulisses du fiasco syrien », publié le 11 mars aux éditions Tallandier.
Un défaut de leadership et de représentativité – les mouvements kurdes ayant notamment fait cavaliers seuls – qui a contribué à rendre inaudible son discours à l’intérieur du pays, alors que lorsqu’elle s’était soulevée, la population attendait l’émergence d’une opposition structurée et organisée pour défendre les intérêts et les droits du peuple syrien. Avant de déchanter, selon Ziad Majed.
« Dès 2012, les intellectuels opposés au régime de Bachar al-Assad et les activistes de la révolution syrienne ont cessé de considérer l’opposition officielle en exil, comme leurs représentants ou ceux de la cause syrienne, précise-t-il. Mais en raison de la répression barbare du régime qui s’abattait sur eux, ils ont estimé que leur priorité restait la chute de Bachar al-Assad, et ont donc préféré s’abstenir d’engager une bataille de légitimité contre cette opposition-là ».
Contrairement à ce que l’on avait vu du côté des Palestiniens avec Yasser Arafat, ou chez les Sud-Africains avec Nelson Mandela, aucun leader ne s’est imposé à la tête de l’opposition syrienne, argumente Ziad Majed. « Le régime de Bachar al-Assad n’est pas étranger à cela, puisqu’il avait très bien compris qu’il fallait interdire coûte que coûte l’émergence d’un leadership, en éliminant tous ceux qui avaient le potentiel de jouer un tel rôle à l’intérieur du pays », précise-t-il.
L’enseignant-chercheur rappelle à titre d’exemple l’assassinat de Mechaal Tamo, un responsable politique kurde très engagé dans la révolution syrienne, ainsi que la série d’éliminations ayant visé des cadres qui commençaient à émerger au niveau de la mobilisation pacifique contre le régime, comme Ghiyath Matar et Yahya Charbaji, ou encore la disparition en 2013 de l’opposant Fayek al-Mir, figure de la gauche laïque.
« D’autres opposants sont portés disparus depuis plusieurs années, comme l’avocate Razan Zeitouneh et ses compagnons de route, alors qu’ils se trouvaient dans des zones contrôlées par des mouvements armés de l’opposition, rappelle-t-il, en référence aux frictions internes au camp anti-Assad. D’un autre côté, en raison de la férocité de la répression, d’autres opposants ont été obligés de quitter le pays et à œuvrer depuis leur exil à l’étranger, ce qui a provoqué une altération de leur influence avec le temps ».
Une opposition officielle basée à l’étranger coupée du terrain
Selon Ziad Majed, « la destruction du champ politique qui renaissait en Syrie à la faveur du soulèvement de 2011 » a laissé la place libre à l’opposition officielle basée à l’étranger, composée notamment de Frères musulmans et de membres de courants islamistes et salafistes, bannis en Syrie, d’opposants de longue date issus de la gauche laïque, d’intellectuels et de journalistes exilés.
Parmi ceux-ci, certains ont cherché à jouer les premiers rôles aux dépens de leurs concurrents, alors qu’ils n’avaient pas mis les pieds dans le pays depuis longtemps en raison de la répression, indique Antoine Mariotti. « Coupé du terrain, sans solide relais sur place, ils étaient donc déconnectés en quelque sorte avec la Syrie de 2011, ce qui fait que cette opposition en exil, en proie aux influences étrangères, n’a jamais réussi à s’imposer dans le paysage national, ni à pouvoir commander les opérations militaires des groupes rebelles sur le terrain ».
Et d’ajouter : « Il faut rappeler que les promesses non-tenues et les tergiversations des puissances occidentales, notamment la reculade du président américain Barack Obama, qui avait fixé une ligne rouge au régime en 2012 sans pour autant passer à l’action lorsque celle-ci a été franchie avec l’utilisation d’armes chimiques, ont contribué à décrédibiliser l’opposition et poussé un certain nombre d’opposants déçus des Occidentaux dans les bras des courants islamistes ».
L’opposition officielle qui avait un temps constitué, en partie, le Conseil national syrien, puis la coalition nationale des forces de la révolution et de l’opposition syriennes a également payé ses rapports de force internes, estime Ziad Majed. « Les divisions affichées par les différents courants islamistes et civils, parfois à l’intérieur de ces mêmes courants, et les divergences entre Arabes et Kurdes ont coupé l’élan de cette opposition et l’ont empêché d’asseoir sa légitimité à l’intérieur du pays, alors que les opposants locaux étaient anéantis par le régime ».
Une opposition marginalisée par ses propres parrains étrangers
L’opposition officielle, reconnue fin 2012 comme « seul représentante du peuple syrien » par plus d’une centaine de pays, a également été très affaiblie, lorsque le cadre national du conflit syrien s’est fracturé au fil du temps, considère Ziad Majed. Et ce, au profit de quatre acteurs importants que sont la Russie, l’Iran, la Turquie et les États-Unis, qui contrôlent directement ou à travers leurs alliés des zones du territoire syrien. « La question s’est complexifiée avec l’évolution du conflit et n’était plus seulement, comme au début de la révolution, celle d’acteurs syriens qui voulaient changer un régime en place depuis 1970 ».
En 2011, pointe Antoine Mariotti, « malgré les remontées d’informations en provenance du terrain des services de renseignements étrangers, tout le monde était persuadé, à tort, que Bachar al-Assad allait tomber en quelques mois », et que l’opposition allait rapidement prendre les commandes du pays. « Cette perspective a aiguisé les appétits de certains pays de la région en quête d’influence, comme la Turquie ou certains pays du Golfe qui ont parrainé, dans un premier temps, puis récupéré des groupes d’opposants, afin de faire avancer leurs propres agendas au détriment des aspirations de la population syrienne ».
« D’abord instrumentalisée par les Saoudiens et les Qataris, l’opposition officielle a basculé dans le giron de la Turquie, qui contrôle directement ou indirectement une grande partie des territoires qui échappent encore au contrôle de Damas et de Moscou, et qui orchestre toutes les actions de l’opposition officielle, tranche Ziad Majed. Finalement, à l’instar du régime de Damas qui est contrôlé par ses alliés russes et iraniens, elle n’est plus qu’un paravent au service des intérêts d’Ankara »
Une récupération aux frais de la défense des droits du peuple syrien qui ne sont malheureusement plus le principal sujet de discussions lors des rounds de négociations consacrés à la Syrie, estime Ziad Majed.
Fin 2015, le Conseil de sécurité avait adopté à l’unanimité la résolution 2254, indiquant qu’un processus politique dirigé par les Syriens et facilité par l’ONU devait mettre en place, « dans les six mois », « une gouvernance crédible, inclusive et non sectaire ». Toujours en vertu de cette résolution, un calendrier devait être arrêté, les modalités d’une nouvelle Constitution définies et des élections « libres et régulières » organisées « dans les dix-huit mois », sous la supervision de l’ONU.
Or aujourd’hui, les négociations de Genève sous l’égide de l’ONU et le même processus dit d’Astana, mis en route par Moscou pour parasiter les Nations Unies, mais paralysé par les différends entre l’Iran et la Turquie, sont dans l’impasse. Alors que l’opposition avait fait l’effort de gommer ses divisions, six ans après le début du conflit syrien… Ainsi, le Haut Comité des négociations (HCN), le « Groupe du Caire » ou encore le « Groupe de Moscou » ont uni leurs rangs en 2017 pour former une seule délégation aux négociations avec le régime. Sans résultat.
« En réalité, face à une opposition marginalisée, le régime s’est contenté de faire semblant de la prendre en considération et a fait croire qu’il était disposé à jouer le jeu de la négociation, sachant qu’il était protégé par ses alliés russes et iraniens », décrypte Antoine Mariotti.
« Une opposition d’un nouveau type »
Selon Ziad Majed, il ne reste, dix ans après le soulèvement de 2011, « que ce qui a émergé des décombres de la Syrie, et surtout dans les pays d’exil, c’est-à-dire une certaine société civile syrienne et une opposition d’un nouveau type, que l’on peut apercevoir à travers les procès en cours en Allemagne et qui vont s’ouvrir dans plusieurs pays européens envers les crimes contre l’humanité commis par le régime, et à travers la vie culturelle et la production intellectuelle ».
Le 24 février, la Haute cour régionale de justice de Coblence, en Allemagne, a condamné Eyad al-Gharib, un membre des services de renseignement syriens, à quatre ans et demi de prison pour « complicité de crimes contre l’humanité ». Ce procès était le premier au monde à se pencher sur des exactions imputées au régime de Bachar al-Assad.
Si elle n’a aucune influence politique et ne se fait aucune illusion quant à sa capacité à changer de régime en Syrie, poursuit-il, cette société civile opposée à Damas marque sa présence dans la lutte juridique contre l’impunité, ainsi que dans les recherches et la production intellectuelle qui ont pour objectif de préserver la mémoire de la révolution de 2011.
Et de conclure : « Il s’agit pour eux de gagner la guerre du récit face au régime et à ses relais, et empêcher la normalisation avec Bachar al-Assad au nom de la realpolitik, afin de ne pas laisser ses crimes impunis ».
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